Haïti : Une dictature se met en place

2021/03/22 | Par Luc Allaire

Exécutions sommaires en toute impunité des opposants et militants politiques, massacres dans les quartiers populaires, répression féroce des manifestations contre le pouvoir, contre les syndicats et contre les journalistes qui couvrent les manifestations, telle est la réalité quotidienne en Haïti.

Pourtant, personne ne dénonce cette situation sur la scène internationale. Au contraire, le président Jovenel Moïse, dont le mandat comme président s’est terminé le 7 février dernier, bénéficie du soutien du Core Group composé des ambassadeurs d’Allemagne, du Brésil, du Canada, d’Espagne, des États-Unis d’Amérique, de France, de l’Union européenne, du Représentant spécial de l’Organisation des États américains et de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies.

« Au lieu de plier à la loi et à la constitution, le président a préféré mettre en place une campagne terrible de répression en utilisant la police, l’armée, les gangs armés et les corps paramilitaires », affirme le président de la Confédération des Travailleurs et Travailleuses des Secteurs public et privé (CTSP) Jean Bonald Fatal.

Les dirigeants de l’État haïtien soutiennent un regroupement de neuf gangs appelé G 9 an fanmi en leur fournissant armes et argent, explique la secrétaire générale de la Confédération nationale des Éducateurs et des Éducatrices d’Haïti (CNEH), Magalie Georges. « Ces gangs attaquent les organisations syndicales. Ils sèment la terreur dans les quartiers populaires comme Cité Soleil et Village de Dieu pour ne citer que ceux-là. Ils dépouillent les paysans comme c’est le cas en Artibonite. Ils utilisent la violence et la terreur pour faire taire les opposants et les organisations de la société civile.  

Selon le président de la Confédération des travailleurs haïtiens (CTH), Jacques Belzin, cette situation rappelle les moments sombres sous la dictature des Duvalier avec des pratiques de disparition de personnes, d’exécutions sommaires, d’assassinats, de violations de droits de la personne. « Les Haïtiens pensaient que cette période était révolue et qu’ils ne verraient plus de situations aussi troublantes », déplore-t-il.

Pour les syndicats et les organisations de la société civile, il ne fait aucun doute que Jovenel Moïse a fait un coup d’État le 7 février dernier et qu’il s’est accaparé illégalement toute l’administration publique d’Haïti. Ils en donnent pour preuves le dysfonctionnement du pouvoir législatif à la suite du renvoi des deux tiers du Sénat et le bâillonnement du pouvoir judiciaire.

Devant cet état de fait, Concertation pour Haïti a envoyé une lettre au premier ministre Justin Trudeau demandant que le Canada cesse tout appui au gouvernement de Jovenel Moïse[i]. Cette lettre a été signée par vingt-cinq organisations dont les centrales syndicales (CSQ, CSN, CTC, FTQ, FIQ, SCFP...), l’AQOCI, le Centre justice et Foi, Alternatives, Développement et Paix, etc.

Par cette lettre, ces organisations manifestent leur appui aux groupes de la société civile haïtienne qui se mobilisent actuellement pour défendre une réelle démocratie et l’état de droit en Haïti et répondre à leur appel aux peuples du monde entier de « montrer leur solidarité avec le peuple haïtien dans ses efforts pour se débarrasser du régime criminel, rétrograde, corrompu et dictatorial » de Jovenel Moïse.

Elles demandent également que cesse le silence complice de plusieurs États, dont le Canada, sur la situation sociopolitique haïtienne et que ces États cessent d’appuyer le gouvernement de Jovenel Moïse.

Le rapport du Haut-commissariat de l’ONU du 19 janvier dernier soulignait des violations flagrantes de la Constitution et des droits de la personne en Haïti par le gouvernement faisant état « d’une épidémie d’enlèvements chaque jour. Parfois par dizaines, des élèves d’écoles publiques et privées sont enlevés contre rançon, les filles sont violées. Dans un même temps, des chefs de gangs armés manifestent sous la protection de la police et les victimes qui dénoncent ces crimes sont réprimées et arrosées de gaz lacrymogène. »[ii]

Les Fédérations syndicales internationales ont elles aussi lancé un appel en vue de mettre fin à l’effondrement de la démocratie en Haïti[iii]. Cet appel a été signé par la Confédération syndicale internationale (CSI), la Fédération internationale des journalistes, L’Internationale de l’Éducation, L’Internationale des Services publics, IndustriAll, etc.

« Jovenel Moïse est bel et bien un dictateur, dénoncent-ils. Il gouverne par décret depuis plus d’un an, étant donné qu’aucun des 119 sièges de la Chambre basse n’est occupé et que seulement un tiers des membres du Sénat ont un mandat élu. Le mois dernier, il a forcé trois juges de la Cour suprême à prendre leur retraite anticipée, ordonnant par la même occasion l’arrestation de l’un d’entre eux pour avoir osé contester la prolongation de son mandat. »

Les syndicalistes, soulignent-ils, font l’objet de répressions systématiques : vagues de licenciements, arrestations arbitraires et menaces de mort visant les travailleuses et travailleurs des quelques secteurs ayant eu la possibilité de créer des syndicats, comme l’éducation, le secteur public et les zones franches d’exportation.

Ce n’est qu’en brisant le silence au niveau international que la société civile haïtienne pourra unir ses forces pour restaurer la démocratie. Ces fédérations syndicales internationales demandent à leurs affiliés du monde entier d’intervenir auprès du Core Group et des autres gouvernements de la planète, en vue de suspendre immédiatement toute aide et assistance à Jovenel Moïse pouvant contribuer à la réalisation de ses objectifs dictatoriaux, qui consistent à adopter une nouvelle constitution et à organiser des élections non démocratiques en présence d’un conseil électoral dénué de toute légitimité.