La Chine en 4 tableaux contrastants

2021/03/28 | Par Pierre Jasmin

Le dangereux déclin de la nature : un taux d’extinction des espèces sans précédent qui s’accélère (GIEC-ONU). Dans un article du mois de mars 2020[i], nous avions publié la photo ci-contre en craignant la proximité de chauve-souris sanguinolentes avec cet animal que nous décrivions ainsi : « la chair délicate du pangolin est prisée par les gourmets chinois et vietnamiens, tout comme le sont ses os, ses écailles et ses organes par la médecine traditionnelle asiatique ». Photo Sam Yeh/AFP

  1. La Chine et l’ONU, un tableau mitigé

D’une part, la Chine n’est pas seule à ignorer l’ONU qui appelle à des « changements transformateurs » pour éviter « d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier ». Cette alerte par l’historique rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, élaboré par 145 experts issus de 50 pays, avec des contributions additionnelles apportées par 310 autres experts, visait à protéger un million d’espèces menacées d'extinction, dans des écosystèmes envahis par un développement économique ne tenant pas compte de ses impacts sur la nature : trop facile, mais tentant, d’accuser Wuhan, foyer présumé d’éclosion du Coronavirus, de ne pas avoir tenu compte des recommandations de la plénière de l'IPBES, réunie du 29 Avril au 4 mai 2019 à Paris. Au lieu d’attaquer la Chine, ne pourrait-on pas s’en faire ami et l’imiter dans sa maîtrise de la COVID-19?

D’autre part, les dernières informations biaisées par The Economist démontrent l’existence d’une attaque concertée par les puissances guerrières occidentales contre l’ONU et ses Casques Bleus (nos nombreux articles avaient déjà lancé l’alarme à ce sujet). Richard Gowan qui supervise les plaidoiries de l’International Crisis Group aux Nations Unies, en liaison avec des diplomates et des fonctionnaires de l’ONU à New York, montre en un article nuancé récent[ii] une Chine engagée dans des unités de Casques Bleus, par exemple au Soudan; il déplore que cet engagement minime mais positif entraîne, au lieu de l’approbation, la méfiance du Canada et des États-Unis qui contrairement à la Chine ne sont pas, loin de là, dans les dix premiers pays car ils ont tous deux réduit leurs contributions aux Casques Bleus à d’infinitésimales unités policières, principalement. Heureusement, le Groupe des 78, Walter Dorn et Peggy Mason répondent au Canada aux attaques contre les Casques Bleus avec des faits qui démontrent leur nécessité. Est-ce que M. Trudeau écoute, lui qui a réduit scandaleusement la contribution canadienne à cet effort de paix?

 

  1. La Chine se compare avantageusement à nos politiques outrageusement guerrières

Si on excepte l’appui de la Chine au Myanmar qui s’enfonce dans la répression criminelle d’opposants démocrates et rohingyas, la Chine, puissance paisible, ne mérite pas l’ostracisme prononcé par les Michael Chong et Justin Trudeau (qui devrait écouter les leçons prochinoises de son père et de son frère), relayé sur un ton propagandiste par Radio-Canada et son invité privilégié quoique hargneux, l’ex-ambassadeur Guy St-Jacques. Permettez juste que je ressuscite un fait survenu il y a bientôt deux ans, le 5 avril 2019, quand devant sa congrégation en Géorgie, Jimmy Carter à 94 ans révélait sa conversation avec Donald Trump, inquiet de constater que la Chine était en train de devancer les États-Unis : « C’est vrai et savez-vous pourquoi? J’ai normalisé nos relations diplomatiques avec Pékin il y a quarante ans. Depuis 1979, savez-vous combien de fois la Chine a été en guerre avec qui que ce soit ? Pas une seule fois. Et nous sommes restés en guerre. Les États-Unis sont la nation la plus belliqueuse de l’histoire du monde, parce nous avons tendance à imposer nos valeurs américaines aux autres pays. La Chine, elle, investit ses ressources dans ses infrastructures telles que les chemins de fer à grande vitesse qui couvrent 18 000 milles [wikipedia : les lignes ferroviaires à grande vitesse chinoises couvrent à la fin 2020 plus de 38 000 km - plus de 80 % du total mondial]. Combien de milles avons-nous ? » « Aucun », a répondu la congrégation. « Nous avons gaspillé 3 000 milliards de dollars en dépenses militaires. La Chine n’a pas gaspillé un cent pour la guerre, et c’est pourquoi elle est en avance sur nous dans presque tous les domaines. Et si nous avions pris 3 000 milliards pour les mettre dans les infrastructures américaines, on aurait un chemin de fer à grande vitesse. On aurait des ponts qui ne s’effondrent pas. On aurait des routes correctement entretenues. Notre système éducatif serait aussi bon que celui de la Corée du Sud ou de Hong Kong [Carter aurait dû mentionner un système de santé aussi bon que celui du Canada].

Chez nous, en 2016, Trudeau déclarait qu’un écotrain électrique Québec-Windsor coûterait trop cher, pourtant estimé alors à 20 milliards de $, pour rester dans la thématique soulevée par Carter. Mais surtout, suggérions-nous, combien de $ assureraient l’eau potable aux Premières Nations, ce que nous n’avons pas encore réussi, alors qu’un pays comme la Chine l’a réussi pour ses 1400 millions d’habitants?

Rappelons que le ministre de la Guerre Harjit Sajjan a refusé le mémoire des Artistes pour la Paix[iii] pour imposer sans entrave son budget de $100 milliards d’acquisition d’armes agressives (bateaux de guerre Irving/Lockheed Martin et chasseurs-bombardiers). Ces armes, comme celles que nous exportons à l’Arabie Saoudite, multiplient les réfugiés, comme l’avait fait l’attaque aéroportée du général Bouchard de 2011 sur la Libye.

En frappant aux portes de l’Occident, ces réfugiés enflent une réaction raciste d’extrême-droite, alors que nos députés fédéraux continuent de se taire à propos des dépenses militaires agressives d’un ministre sexiste incapable de choisir un chef d’état-major non impliqué dans un cas d’intimidation sexuelle. Le Haut-Commissariat pour les Réfugiés de l’ONU, à qui je viens de donner 200$, estimait encore à 80 millions d’individus parmi lesquels des Ouïghours, le nombre de réfugiés qui ont besoin de notre aide urgente.

 

  1. La Chine affairiste encouragée par nos conservateurs

Inscription à l'aut'hebdo : https://lautjournal.info/newsletter/subscriptions

Bruce Livesey du Guardian attaquait le 1er juin 2018 les $12 milliards décidés par Trudeau en vue de la nationalisation de Kinder Morgan: « Le désir féroce de Trudeau de construire le pipeline à n’importe quel coût » [s’oppose] bizarrement au fait que l’oléoduc acheminera du pétrole non raffiné aux États-Unis et en Chine, ce qui coûtera à l’économie canadienne l’avantage d’emplois de raffineries où la majorité des emplois pétroliers se trouvent et accroîtra le phénomène de leurs fermetures.

Sans compter que le développement des sables bitumineux force le Canada à rater, par une marge catastrophique génératrice de réchauffement global, ses engagements à la COP21 de réduire ses émissions à gaz à effet de serre de 30% pour 2030.

La logique trudeauesque procède du Canada-China Foreign Investment Promotion and Protection Agreement (Fipa), négocié par le gouvernement Harper sans être passé par un vote du Parlement et restant en vigueur jusqu’en 2045 (l’ONU s’est objectée à ce genre de deals secrets forcés par des multinationales échappant aux lois mondiales): l’entente assurait à la Chine qu’un pipeline serait construit à partir de l’Alberta jusqu’en Colombie-Britannique, en « récompense » de ses lourds investissements dans les sables bitumineux, la Chine ayant acheté en 2009 60% de 2 projets et surtout en 2013, à travers le CNOOC qu’elle contrôle, la 3e compagnie pétrolière du Canada, NEXEN, au coût de 15.1 milliards de $!

Admirons l’hypocrisie des Conservateurs du Canada qui ont concocté, avec Michael Chong, la motion accusant la Chine de génocide ouïghour[iv], dont elle se défend en disant préparer la route de la soie ferroviaire profitant à l’économie du Xinjiang. Il serait intéressant - mais hélas impossible - de procéder à un sondage non biaisé montrant l’opinion des Ouïghours face à ce projet économique porteur d’emplois de qualité, contrairement au projet de GNL-Saguenay heureusement torpillé cette semaine par notre BAPE. Il n’en reste pas moins que les Chinois sont sur la scène internationale des affairistes conservateurs, à l’image de leur praesidium suprême qu’on voit en réunion d’un millier de mâles en costumes noirs d’affaires, avec des femmes en trop petit nombre pour pouvoir influencer humainement Xi Jinping.

 

  1. Sinophobie nord-américaine

Un millier de personnes se sont rassemblées au centre-ville de Montréal au premier jour du printemps 2021, à l’initiative du Groupe d’entraide contre le racisme envers les Asiatiques et de l’organisme Chinois progressistes du Québec. Le groupe femmes de diverses origines est alarmé par les sept féminicides québécois en six semaines, par les fusillades dans des salons de massage à Atlanta qui ont fait huit morts, dont six femmes d’origine asiatique, par le statut précaire des immigrantes asiatiques ainsi que par de nombreux actes de vandalisme perpétrés dans le quartier chinois de Montréal.

Selon Le DEVOIR (article de Sarah Champagne), la conseillère de la Ville de Montréal Cathy Wong a affirmé « cette marche est un devoir d’histoire » et Bochra Manaï, première commissaire à la lutte contre le racisme à Montréal, a insisté sur l’aspect systémique, alors que le ministre responsable de la Lutte contre le racisme présent, Benoît Charette, s’est vu reprocher de ne pas en reconnaître le caractère « systémique ».

Le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière s’était fait mettre en boîte par Patrick Huard à TVA dans son excellente émission La tour qui vient de remporter la zapette d’or d’animation à TéléQuébec! Pierre-Yves Lord a magistralement renchéri sur ce racisme systémique non reconnu par la CAQ, dans une entrevue récente avec Melissa Mollen-Dupuis d’Idle no more. À mon avis, on ne peut nier que le racisme antichinois s’est envenimé par la politisation de l’affaire Meng Wanzhou : lire l’article[v] à qui certains lecteurs ont reproché de ne pas appuyer les deux Michael emprisonnés en Chine. On l’avait pourtant fait le 24 juin dernier[vi], en relayant une solution apportée en vain par Louise Arbour.

PHOTO AGENCE QMI, GENEVIÈVE QUESSY lors d’Un rassemblement autochtone pour joyce ECHAQUAN