Il faut un moratoire sur la récolte forestière

2021/04/02 | Par Richard Desjardins et Henri Jacob

Richard Desjardins est vice-président de l’Action boréale
Henri Jacob est président de l’Action boréalei Jacob Président de l’Action boréale

Début décembre 2020, la COVID-19 progresse. Le premier ministre Legault a certainement d’autres choses à faire que de protéger des bouts de territoires. Protéger son peuple, par exemple. Devra-t-il l’enfermer à Noël ? Ou pas ? Rien que ça.

Et puis il y a le reste. Comme gérer le Québec au jour le jour, par exemple.

Chaque matin, son secrétaire général, Yves Ouellet, le grand patron de la fonction publique, lui soumet donc quelques dossiers politiquement hot à régler. L’un d’entre eux traînasse depuis vingt ans, et le temps est venu de s’en débarrasser. Il s’agit de l’engagement international pris par Québec de protéger 17 % de son territoire avant la fin de l’année 2020. Protéger contre l’intrusion industrielle.

Les cartes sont étalées. Plus d’une centaine de territoires à protéger sont proposés par le ministère de l’Environnement.

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Depuis vingt ans qu’il y travaille.

Ces « échantillons » régionaux se veulent représentatifs de la biodiversité environnante. Tel est le sens profond de l’exercice. Pour en arriver à les sélectionner, des assemblées publiques ont été tenues pendant toutes ces années, partout au pays. Il y avait là des « verts », bien entendu, des citoyens intéressés par la chose, mais aussi des élus des MRC, des industriels en ressources naturelles, des fonctionnaires associés aux forêts, aux mines, à l’environnement, etc. Or malgré les intérêts parfois les plus divergents, ces assemblées ont réussi à trouver des compromis, puis des consensus.

 

Une centaine de territoires

C’est ce remarquable résultat démocratique que le premier ministre a devant les yeux, ce matin de décembre dernier. Une centaine de petits territoires prêts à être confirmés dans leur statut de protection. Un plan qui, par ailleurs, n’affecterait que 5 % de la forêt dite « commerciale ». Cela ne devrait pas trop déranger l’industrie forestière qui n’arrive jamais à récolter ce que le gouvernement lui concède année après année, et ce, depuis toujours.

À ce qu’on a su : dans le but de conseiller le premier ministre, son secrétaire général, Yves Ouellet (supérieur hiérarchique de tous les sous-ministres du gouvernement qu’il tient par les…) a convoqué Mario Gosselin, sous-ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) et chef du bunker de technocrates qui décident de tout en forêt québécoise. (Son propre ministre, le plus qu’erratique Pierre Dufour, est tenu à l’écart, poursuivant le rêve de garder son poste le plus longtemps possible, rémunéré 210 000 $ annuellement). Quant au maître d’oeuvre du projet, le ministère de l’Environnement, aucun de ses responsables n’a été invité au décisif. Son titulaire, Benoit Charette, n’a pas insisté plus qu’il ne faut. Ce n’est pas dans sa nature, semble-t-il, préférant « scrapper » le plan 17 % plutôt que de compromettre sa prometteuse carrière de béni-oui-oui. meeting

 

Exploitation et conservation

Nous savons tous que deux courants majeurs s’affrontent face à l’orientation e notre gestion forestière. Celui de l’exploitation de la ressource et celui de sa conservation. Or ce matin-là, dans le bureau du premier ministre, aucun porte-parole du milieu de la conservation n’est présent pour évoquer l’importance se doter d’un réseau d’aires protégées. Aucun. Mario Gosselin et ses ingénieurs forestiers du « bunker » ont alors le champ libre. Ils ont probablement rappelé au PM qu’un arbre est plus payant couché par terre que debout. Et que dans ces aires qu’on voudrait protéger, il y a de beaux mètres cubes de bois dormant inutilement tout près des usines. Ces mètres cubes, il faut les réserver à l’industrie. Final bâton.

Gosselin ajoute alors que le 17 % de protection demeure quand même souhaitable si on l’étale en grande partie sur la toundra où il n’y a pas d’arbres. (Le Plan Nord aura donc finalement servi à quelque chose…)

Finalement, des grenailles de territoires sont protégées au sud. Et 83 projets de protection sont passés à la trappe.

Legault se doute bien qu’il vient de trahir la volonté d’une partie de son peuple. Mais il ne réalise peut-être pas que le Québec dénature ainsi l’esprit de la convention internationale qu’il a signée et qui stipule que chacun des grands écosystèmes d’un pays doit être protégé à hauteur de 17 %.

Il a été long, laborieux, le processus québécois pour en arriver à la désignation des aires protégées. Mais tous les intervenants sociaux, économiques et environnementaux qui y ont participé ont apporté leur sincérité et leur souci de respecter les procédures. Tous, sauf un, celui-là même qui les a établies, ces procédures : le gouvernement.

 

Des joyaux à préserver

C’est ainsi que des abatteuses ont obtenu la liberté d’attaquer de véritables bijoux naturels du Québec. Entre autres :

■ Le domaine forestier de la légendaire rivière Péribonka, l’affluent principal du lac Saint-Jean.

■ Le territoire de la rivière Magpie sur la Côte-Nord, beauté reconnue même par le National Geographic.

■ La forêt Cyriac, près de Chicoutimi. Abritant un peuplement de bouleaux jaunes de plus de 300 ans.

■ Quatre territoires de l’Outaouais, que le gouvernement avait déjà formellement promis de protéger.

■ L’aire projetée Masko Cimakanic Aski, en territoire Attikamek. Longuement négociée avec le gouvernement.

■ Le parc régional de la riche forêt Ouareau jouxtant le mont Kaaikop, perles des Laurentides.

■ Le lac à la Truite au Témiscamingue.

L’Action boréale réclame un moratoire immédiat sur toute récolte forestière prévue dans les 83 aires protégées que le gouvernement vient de rejeter cavalièrement. En outre, et par conséquent, nous demandons au Chef forestier du Québec de retirer immédiatement ces territoires de la « possibilité forestière ».

L’Action boréale encourage les citoyennes et les citoyens qui se sont mobilisé(e)s pour la sauvegarde de territoires proches d’eux, à ne pas lâcher, à se réunir pour organiser une résistance réelle à ces « vendeux de pays » qui ont le loisir d’enfreindre lois et règlements puisqu’ils les écrivent eux-mêmes et les réécrivent à leur convenance.

Le puissant lobby forestier du Québec pense avoir gagné cette bataille. Peut-être. Mais pas la guerre. Encore moins la paix.

Nota bene : Toujours garder en mémoire que la COVID-19 découle d’une biodiversité chamboulée.