Guy Rocher ramène le débat sur l’unilinguisme dans l’affichage

2021/04/06 | Par Pierre Dubuc

Dans une entrevue au journal Le Devoir, le sociologue Guy Rocher, un des auteurs de la loi 101, soutient que « le ministre Simon Jolin-Barrette n’a d’autre choix que d’imposer l’usage exclusif du français dans l’affichage public, en plus d’étendre la loi 101 aux cégeps ainsi qu’aux petites et moyennes entreprises (PME) pour assurer la vitalité du français face à ‘‘la puissance de l’attrait de la langue anglaise dans tous les domaines’’ ».

Dans notre livre Le SPQ Libre et l’indépendance du Québec, co-écrit avec Marc Laviolette, nous revenons sur l’histoire du PQ et de la loi 101.

 

Un peu d’histoire

Pendant longtemps, l’affichage commercial a fait de Montréal une ville à visage anglais. À partir des années 1960, le français prend timidement sa place au côté de l’anglais, jusqu’à ce que le docteur Camille Laurin propose dans la Loi 101 une solution draconienne : l’affichage unilingue français.

Inscription à l'aut'hebdo : https://lautjournal.info/newsletter/subscriptions

René Lévesque appuie cette mesure. Il déclare : « À sa manière, chaque affiche bilingue dit à l’immigrant : ‘‘Il y a deux langues ici, l’anglais et le français ; on choisit celle qu’on veut. » Elle dit à l’anglophone : "Pas besoin d’apprendre le français, tout est traduit.” » 

Mais, en décembre 1988, la Cour suprême du Canada, s’appuyant sur les articles de la Constitution de 1982 concoctés précisément dans ce but, invalide l’article de la Charte de la langue française sur l’affichage. Par l’arrêt Ford, la Cour statue que la notion de liberté d’expression comprend les messages commerciaux, et que l’interdiction d’employer une autre langue que le français est incompatible avec le droit à l’égalité garanti par les chartes. Cependant, magnanime, la Cour considère comme justifié le fait d’exiger la présence du français dans la publicité commerciale et les raisons sociales. Elle affirme que l’exigence de la nette prédominance du français serait juridiquement et constitutionnellement admissible.

Le Québec se soulève en bloc contre ce jugement. Sous la pression populaire, le gouvernement de Robert Bourassa fait adopter en décembre 1988 la loi 178. En s’appuyant sur la clause dérogatoire prévue dans la Constitution fédérale, la loi édicte que l’affichage, à l’extérieur des établissements, devait continuer de se faire uniquement en français, mais que l’affichage à l’intérieur des établissements pouvait se faire en français, ou à la fois en français et dans une autre langue, à condition que le français soit nettement prédominant. La décision du gouvernement Bourassa d’invoquer la « clause nonobstant » soulève un tollé au Canada anglais.

Les anglophones de Montréal mènent une campagne internationale contre la loi 178 et s’adressent au Comité des droits de l’Homme des Nations Unies qui, en mars 1993, en arrive à la conclusion qu’elle viole la liberté d’expression garantie à l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Aussi, cinq ans après l’adoption de la loi 178, soit à l’échéance de la clause dérogatoire, le gouvernement Bourassa bat en retraite et décide de donner suite à l’arrêt Ford. La loi 86 modifie la Charte de la langue française pour permettre l’usage d’une autre langue, pourvu que le français soit nettement prédominant.

Quand le Parti Québécois prend le pouvoir en 1994, son programme prévoit le retour à l’unilinguisme français dans l’affichage et l’extension des dispositions de la Loi 101 au cégep, mais la décision est différée après la tenue du référendum de 1995.

Lorsque Lucien Bouchard remplace Jacques Parizeau, il s’empresse de rassurer la communauté anglophone, lors de son célèbre discours au Centaur, en s’engageant à ne pas donner suite à ces promesses. Au congrès du Parti Québécois de novembre 1996, Bouchard affronte les militants sur ces questions en affirmant qu’il ne pourrait se regarder dans le miroir s’il respectait leur volonté. Les militants lui rendent la monnaie de sa pièce avec un vote de confiance d’à peine 76,2 % et Bouchard menace de démissionner.

Étant donné cet arrière-plan historique, il n’était pas étonnant que des militants ramènent la question de l’affichage unilingue à l’ordre du jour du Congrès de 2011. La proposition émane d’une circonscription de la Rive-Sud et est adoptée par une très large majorité au Congrès régional de la Montérégie. Elle est inscrite dans le cahier des propositions du congrès et amenée pour débat dans l’atelier dédié à la question linguistique. Fait surprenant, les journalistes n’y prêtent pas attention. La majorité d’entre eux préfèrent se rendre dans l’atelier qui débat de la démarche vers la souveraineté.

Dans l’atelier consacré à la question linguistique, toute l’attention est centrée sur l’adoption de la proposition sur l’extension des dispositions de la Loi 101 au cégep, parrainée par Pierre Curzi. La proposition sur le retour à l’affichage unilingue français est adoptée à l’unanimité, sans susciter de débats. Les députés Maka Kotto et Yves-François Blanchet votent en sa faveur. Pierre Dubuc est désigné comme porte-parole de l’atelier pour présenter et défendre la proposition, lors de la plénière du lendemain.

Mais, ô surprise, qui ne voit-on pas, lors de cette plénière, se présenter au micro des opposants à la proposition !? Nuls autres que Maka Kotto et Yves-François Blanchet ! « Nous avons réfléchi au cours de la nuit », disent-ils pour justifier leur virage à 180 degrés. En fait, nous avons appris par la suite qu’ils s’étaient fait nommément sermonner devant les membres du caucus. Un événement rarissime. Cependant, manifestement peu convaincus de la valeur de leur nouvelle position, ils se montrent peu convaincants et les délégués, plus sensibles aux arguments des Pierre Dubuc, Marc Laviolette, Charles Castonguay et des autres intervenants favorables à la proposition, votent aux deux tiers pour son adoption, déclenchant une véritable onde de choc.

Jusque là somnolents, dans un congrès qualifié de « sans histoire », des journalistes réalisent subitement la portée de ce vote. Et la panique qui s’empare de la direction du parti aura tôt fait de réveiller les autres. Les échanges de textos se multiplient. La direction du parti sonde, par l’intermédiaire des députés et du personnel politique, les chances de réussite d’une « reconsidération du vote », une disposition prévue dans les statuts du congrès. Finalement, quelques heures plus tard, la « reconsidération » est demandée et accordée. La chef Pauline Marois et un Pierre Curzi manifestement mal à l’aise plaident pour un rejet de la proposition.

Pierre Dubuc et d’autres militants la défendent, mais le congrès ne veut pas servir de gifle à celle à qui ils ont donné la veille un vote de confiance de 93 %. La proposition est donc rejetée. Mais une solide minorité maintient son appui. Plus tard, Pierre Curzi déclarera regretter amèrement cette intervention, qui allait à l’encontre de ses principes, et il est certain qu’elle a joué un rôle important dans sa démission du Parti Québécois.

 

L’affichage unilingue, l’aut’journal et Paul Rose

Ajoutons à cet extrait du livre Le SPQ Libre et l’indépendance du Québec, une anecdote concernant l’aut’journal et Paul Rose.

Quand, au mois de décembre 1988, la Cour suprême du Canada invalide les dispositions de la loi 101 sur l’affichage unilingue, la réaction au Québec est virulente. Assemblées, manifestations, dénonciations. Un incendie s’étant déclaré dans les locaux d’Alliance Québec, son directeur, Royal Orr, insinue que Paul Rose et Hans Marotte, qui collaboraient à l’aut’journal à l’époque, portent la responsabilité de cet incendie.

Royal Orr déclare aux médias: « Nous nous adressons à nos concitoyens de langue française : est-ce là le genre de société que vous voulez? Une société où un nombre inquiétant de gens prennent pour modèles Paul Rose et Hans Marotte. »

Paul veut répliquer, mais sans convoquer directement les journalistes. Il propose un subterfuge. Convoquer les médias sous prétexte de leur présenter le plan d’action de l’aut’journal pour l’année qui vient en soulignant la présence de Paul et Hans.

Les médias accourent et les questions, évidemment, portent uniquement sur les déclarations de Royal Orr. Le lendemain, La Presse titre « Marotte et Rose volent la vedette à l’aut’journal ». Nous avons bien ri! C’était précisément le but de l’opération!