Privatisation de l’aide internationale : le Canada doit y mettre fin

2021/04/07 | Par SCFP

Le SCFP s’oppose à la volonté du gouvernement libéral de privatiser l’aide internationale et d’ainsi utiliser les fonds publics destinés à la lutte planétaire contre la pauvreté, les inégalités et les changements climatiques pour aider des investisseurs privés à réaliser des profits. Ce virage dangereux serait nocif pour les citoyens et les services publics.

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Le gouvernement libéral a adopté un modèle qu’on appelle « le financement mixte ». Celui-ci permet d’utiliser l’aide publique pour attirer et subventionner des investissements privés dans des projets qui prétendent promouvoir le développement durable.

Le SCFP fait partie d’une coalition qui s’oppose aux efforts déployés par le Canada pour privatiser l’aide internationale. Un webinaire organisé pour lancer la coalition contre le Projet de financement mixte, a mis en évidence les raisons pour lesquelles la privatisation nuirait aux efforts mondiaux en vue de réaliser les objectifs de développement durable des Nations Unies d’ici 2030, soit mettre fin à la pauvreté, lutter contre les changements climatiques et combattre les inégalités. Selon les oratrices invitées, il faut plutôt miser sur l’allègement de la dette, la justice fiscale et le financement public pour répondre à ces besoins mondiaux qui sont de plus en plus pressants.

 

L’expérience européenne met en évidence les échecs du financement mixte

Bien que relativement nouveau au Canada, le financement mixte existe depuis plus d’une décennie en Europe. Selon la panéliste Maria José Romero d’Eurodad du Réseau européen sur la dette et le développement, le financement mixte n’a pas réussi à soutenir les pays et les peuples qui en ont le plus besoin.

Elle estime que, bien qu’il ait attiré beaucoup d’attention, le financement mixte n’a pas entraîné un flot d’argent privé. Dans certains cas, les fonds publics subventionnent des investissements privés qui se seraient produits de toute façon. Cela prive les approches de développement qui ont fait leurs preuves de ressources publiques.

De plus en plus, les décisions sont prises par de riches gouvernements donateurs, des entreprises privées et des investisseurs, le tout en coulisses, a-t-elle expliqué. Les conflits d’intérêts abondent, puisque les décisions sont motivées par le profit plutôt que par les besoins de la population. Les pays pauvres sont contraints de conclure des accords où l’aide doit être dépensée en biens et services provenant des pays riches, une politique connue sous le nom d’« aide liée ».

 

La privatisation bafoue les droits de la personne

Privilégier les intérêts privés et garantir des profits au privé ne fait que creuser les inégalités, limiter l’accès aux services publics et nuire au bien-être et aux droits des personnes, a ajouté la panéliste Jennifer del Rosario-Malonzo. Elle est directrice générale d’IBON International, une organisation non gouvernementale qui œuvre auprès de mouvements sociaux et de groupes de la société civile du monde entier, en particulier dans l’hémisphère sud et auprès des communautés marginalisées.

En se concentrant sur ce que veulent les investisseurs, on en arrive à voir le développement strictement comme une question financière, estime-t-elle. Ce changement éloigne l’individu et ses besoins du processus de développement, notamment en coupant court à toute discussion sur le respect et la promotion des droits de la personne.

Dans des pays comme les Philippines, où vit Jennifer del Rosario-Malonzo, les peuples autochtones et les autres opposants à la privatisation du développement sont confrontés à la répression, à la criminalisation et à d’autres menaces. Les personnes les plus touchées sont les moins consultées ou entendues. Même que, selon elle, les gouvernements bénéficiant de l’aide internationale ne participent pas pleinement aux décisions concernant les accords de financement mixte.

 

Les infrastructures sont ciblées

L’économiste du SCFP Angella MacEwen a décrit une réunion de l’ONU sur les programmes de financement mixte à laquelle elle a participé. Elle y a vu des investisseurs à la recherche de projets clés en main, à faible risque et à haut rendement. Or, de nombreux projets de développement communautaires ne correspondent pas à ces critères. Les investisseurs préfèrent plutôt des infrastructures et des services privatisés, notamment dans les domaines de l’eau, de l’énergie, de la santé et des installations portuaires.

Ce passage à des projets générateurs de profits achemine les dollars de l’aide publique vers des pays à revenu intermédiaire et cible des personnes à revenu élevé qui ont les moyens de payer des frais d’utilisation pour des services privatisés. En même temps, les travailleurs du secteur public perdent de bons emplois et l’aide ne sert pas là où elle serait le plus utile, a exposé Angela MacEwen.

Elle a souligné les tentatives de privatisation verte menées par des entreprises, y compris un projet sud-africain récent qui a permis de subventionner l’investissement privé dans une infrastructure « verte » qui a conduit à la perte d’emplois et de services publics au profit du développement d’énergies renouvelables privées.

 

Justice fiscale et effacement de la dette : la voie à suivre

Les panélistes se sont penchées sur des solutions de rechange qui aideraient les pays à lutter contre les inégalités dans le monde et à atteindre les objectifs de développement durable des Nations Unies.

Les trois oratrices ont souligné qu’il fallait mettre fin à l’évasion et à la fraude fiscales, s’attaquer aux flux financiers illicites, instaurer l’imposition progressive des entreprises et des riches et éliminer les allègements fiscaux et autres incitatifs destinés à l’entreprise privée afin de générer des revenus qui financeront des projets axés sur les personnes. Selon Jennifer del Rosario-Malonzo, l’aide publique au développement doit aider les pays à réduire leur dette et non servir de catalyseur au financement privé.

Elle a appelé à l’annulation des dettes et à un financement sans condition. Ces mesures contribueraient à favoriser une reprise post-pandémie équitable et résiliente qui permettrait aux gouvernements de renforcer leurs systèmes publics en comptant moins sur l’investissement étranger.

Angela MacEwen a mentionné les banques publiques comme un modèle prometteur. La privatisation a échoué au Canada. Notre syndicat ne veut pas que le gouvernement libéral exporte ce modèle bancal vers d’autres pays. Nous devrions plutôt parler de ce que nous voulons faire des fonds publics et nous assurer que nos caisses de retraite ne profitent pas de la privatisation, au Canada ou à l’étranger, a-t-elle déclaré.

Pour en savoir plus, consultez le site Web de la coalition contre le Projet de financement mixte. Cette coalition est composée d’organisations de la société civile, de syndicats et d’universitaires inquiets, dont le SCFP.