Négos-cégeps : Pourquoi tolérer tant de mépris ?

2021/04/12 | Par Alain Dion

L’auteur est professeur au cégep de Rimouski

Je l’avoue d’entrée de jeu, j’écris ces mots avec les jointures blanches et la mâchoire barrée.

Ainsi donc, au cours des derniers jours, nous avons reçu une nouvelle offre  patronale dans le cadre des négociations du secteur public. Selon la présidente du Conseil du trésor, Sonia Lebel, nous devrions nous réjouir. Le Gouvernement Legault aurait fait un effort supplémentaire afin de reconnaître la valeur de notre labeur avec cette nouvelle proposition.

Pourtant, ce beau geste magnanime du gouvernement ne permettra même pas de couvrir l’augmentation du coût de la vie. Et nous devrions les remercier un genou au sol peut-être?  Bien sûr, une fois que tu as offert une augmentation de 127 % au PDG d’Investissement Québec qui gagnera désormais plus d’un million de dollars par année, offrir 5% d’augmentation sur trois ans et quelques centaines de dollars en forfaitaires aux employés de l’État représente assurément un véritable geste de reconnaissance et de valorisation de notre travail.

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Et au sujet de nos conditions de travail, de nos conditions d’enseignement, qu’est-ce qu’il y a de nouveau ? RIEN. NIET. Nous en sommes toujours à négocier des «peanuts» et à endurer le mépris et la condescendance du Comité patronal de négociation des collèges (CPNC) qui, après plus de 40 rencontres de négociation, se contente de bêler les mêmes sempiternelles objections.

Ils n’ont qu’une enveloppe budgétaire représentant environ 200$ par prof pour trouver une entente. Deux cents généreux dollars par enseignante et enseignant pour répondre à l’ensemble de nos revendications syndicales. Expliquez-moi comment diminuer notre charge de travail, comment mieux soutenir les coordinations de stage et les coordinations départementales, comment augmenter les ressources de perfectionnement ou comment assurer un meilleur encadrement de nos élèves avec cette si charitable offre patronale ? Du mépris. Simplement.

Devant une pareille stagnation des négociations, on peut sincèrement se questionner sur la capacité du CPNC à faire les représentations nécessaires auprès du Conseil du trésor afin de dégager des sommes substantielles permettant d’améliorer la situation enseignante dans nos collèges. Depuis plus d’un an, le CPNC n’a pas réussi à soutirer une cenne de plus de la part du Conseil du trésor. C’est véritablement pitoyable.

À moins bien sûr que les porte-parole patronaux considèrent qu’il n’y a pas de problèmes à régler à l’enseignement collégial. Ce sont d’ailleurs ces joyeux lurons qui ont dit à la table de négociation qu’ils n’avaient pas le mandat de diminuer la tâche des profs. Au nom de qui faisaient-ils cette déclaration? Je voudrais bien le savoir…

 

Des millions oui, mais pas pour soutenir les profs

Nos représentantes et représentants syndicaux nous ont aussi appris au cours des dernières semaines que la grande préoccupation, la grande crainte des directions de cégep était de voir leur droit de gérance être restreint par certaines de nos revendications syndicales. On peut comprendre alors pourquoi ils sont si peu empressés de chercher des ressources supplémentaires afin de soutenir les profs?  Pourquoi faire des pressions auprès du gouvernement quand la peur de perdre leur droit de gérance guide leurs orientations ? Surtout que de l’argent à gérer, il en est tombé ces dernières années dans les cégeps. Des millions. Oui. Toutes sortes d’enveloppes parallèles et d’annexes budgétaires généreuses. De l’argent hors convention, ça il y en a. Partout. Sauf à l’enseignement.

Pas étonnant alors de constater que les cégeps adoptent de plus en plus un mode de gestion similaire à celui des petites entreprises, où la reddition de compte, l’administration pédagogique, la mise en marché, l’image de marque, «l’innovation» et le service à la clientèle semblent être devenu le leitmotiv dans nos institutions. Nous sommes bien loin des préoccupations liées à l’enseignement…

C’est à se demander parfois si la mission première des collèges d'enseignement général et professionnel, qui est d’offrir une formation de qualité, accessible à toutes et à tous sur l’ensemble du territoire, n’a pas été modifiée en sourdine, derrière des portes closes… 

 

À nous de répondre

Au cours des prochains jours nous devrons répondre à cette nouvelle fronde patronale. Personnellement, j’espère que notre réponse sera sans équivoque. Au moins aussi virulente que le mépris afficher par la partie patronale à la table de négociation. D’ailleurs, je ne comprends toujours pas pourquoi nous persistons à nous présenter à cette table où les représentants de la partie adverse n’ont plus aucune crédibilité. Ici, au Cégep de Rimouski, nous avons en poche des journées de grève à exercer. Nous devrions également envisager de nous retirer de tout comité non conventionné qui ne traite pas spécifiquement de l’enseignement. Nous devons reprendre l’initiative de la lutte. À la fois par dignité, mais également pour défendre les fondements même de l’enseignement collégial.

 

Et la réussite ?

En terminant, je poserais une question à la ministre de l’Enseignement supérieur, Mme Danielle McCann, qui lançait dernièrement une consultation sur la réussite à l'enseignement supérieur. Mme la Ministre, tous les millions investis dans les cégeps depuis plusieurs années devraient en grande partie servir à améliorer la réussite des élèves. Pourtant le taux d'obtention d'un diplôme stagne depuis 10 ans. Ça ne vous titille pas un peu ? Vous devriez peut-être envisager d’en investir une partie dans les classes et permettre aux enseignantes et enseignants d’avoir tous les outils nécessaires, le temps et l’énergie pour accompagner leurs élèves ?