Loi 101 aux cégeps : Le faux radicalisme de Jean-François Lisée

2021/04/13 | Par Pierre Dubuc

À la Une du journal Le Devoir du samedi 3 avril 2021, Guy Rocher souhaitait à « Simon Jolin-Barrette, c’est d’être le Camille Laurin de la CAQ ». Parmi d’autres mesures, il prônait d’étendre les dispositions de la loi 101 aux cégeps.

Le mardi suivant, Le Devoir publiait une chronique de Jean-François Lisée  (« Le grave danger des demi-mesures ») « diffusée de manière exceptionnelle » en réponse aux propos de Guy Rocher !  Qu’est-ce qu’il y avait-il de si urgent à publier cette chronique ? Pourquoi ne pas avoir attendu la chronique régulière de Lisée publiée chaque samedi ? Qu’est-ce qu’il y avait de si condamnable dans la chronique de Guy Rocher pour justifier une intervention aussi pressante?

Était-ce parce que les propos de Guy Rocher allaient trop loin? Que non ! C’était, selon Lisée, parce que la proposition de Guy Rocher était « l’exemple même de la demi-mesure ». Sa proposition donnait faussement « l’impression de la fermeté » et elle ratait « complètement la cible ». L’extension de la loi 101 aux cégeps ou encore la réduction du financement des cégeps anglophones est, selon Lisée, « non seulement inutile, mais, à la marge, il est contreproductif ».

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Quelle est donc la solution ? Transformer « Dawson et les autres établissements anglophones, sur dix ans, en cégeps francophones ! Le but recherché ? Faire en sorte, selon Lisée, que chaque future cohorte de diplômés de Dawson, de McGill et des autres établissements postsecondaires anglophones ait acquis : 1) une excellente maîtrise du français écrit et oral ; 2) la conviction que la nation québécoise tient mordicus à ce que le français soit la langue commune, que cela plaise ou non ».

Difficile d’imaginer proposition plus radicale.

 

Du « Déjà vu », comme disent les Anglais

Cette proposition de Lisée n’est pas nouvelle. Il nous l’avait déjà servie, sur son blogue du magazine L’Actualité, à la veille du Conseil national du Parti Québécois de la fin novembre 2009, au cours duquel Pierre Curzi allait présenter sa proposition d’extension de la loi 101 aux cégeps.

C’était avec le même radicalisme. Coiffé du titre « Cégeps français : un peu d’ambition que diable », Jean-François Lisée jugeait la proposition Curzi « frileuse et défensive », comme la proposition Rocher aujourd’hui.

Cependant, il y a une différence notable entre le Lisée 2009 et le Lisée 2021. Du moins, en apparence. La version 2021 est amputée d’une partie importante de la version 2009. Jean-François Lisée proposait alors la création d’un réseau unique bilingue de cégeps. Il proposait de fusionner les cégeps « en un seul réseau de la prédominance du français » où tous les cégépiens, francophones, anglophones et allophones, recevraient « les trois quarts de leur formation en français et le quart en anglais ».

Il nous assurait, à l’époque, que sa proposition assurait « un gain linguistique net pour le français ». À ce moment-là, 82% des cégépiens étaient inscrits au cégep français et 18% au cégep anglais. Au total, donc, 82% de l’enseignement collégial se faisait en français et 18% en anglais. L’application de la loi 101 au cégep aurait fait passer à 89% la part du français et à 11% celle de l’anglais. La proposition Lisée – trois quarts de l’enseignement en français et un quart en anglais – aurait réduit la part du français à 75% et augmenté celle de l’anglais à 25%. Nous avions alors posé la question : À vos calculettes : des deux solutions, laquelle assure « un gain linguistique net pour le français »?

Dans sa proposition d’un seul réseau collégial, Lisée spécifiait que les francophones, après avoir suivi leurs cours en français pendant les trois premières sessions auraient un enseignement intensif en anglais dans la dernière session, « y compris sur leurs sujets d’étude ». Autrement dit, ils auraient leurs cours d’histoire nationale en anglais avec, bien entendu, des manuels anglais !

 

Le chat sort du sac

Tout cela n’était qu’une vulgaire manœuvre de diversion pour faire dérailler la proposition Curzi, comme le révélait son blogue du 18 novembre 2009. Le chat sortait du sac. Jean-François Lisée écrit alors que d’étendre la loi 101 aux cégeps « serait punitive pour les francophones, en leur interdisant l’option du cégep anglophone pour compenser la faiblesse de l’enseignement de la langue seconde au secondaire. Cela aurait pour effet de mécontenter une part de l’électorat francophone autrement sympathique au PQ, même celle, majoritaire, qui ne compte pas utiliser ce droit ». Peut-on être plus clair?

Qu’en est-il aujourd’hui? C’est le même faux radicalisme pour miner la proposition la plus « ambitieuse », pour reprendre le qualificatif de Lisée. Mais Lisée se montre aujourd’hui un peu plus futé. Contrairement à 2009, il omet sciemment de préciser la part de l’anglais dans son réseau unique. Mais, une fois la boucane dissipée, l’objectif apparaît clairement : préserver le statu quo.

 

De la « nette prépondérance » à la langue commune

Jusqu’à tout récemment, Lisée défendait le concept de « nette prédominance du français » plutôt que celui du « français, langue commune », comme on le voit dans sa proposition de réseau unique bilingue de 2009.

Les deux concepts sont fort différents. Celui du « français, langue commune » provient de la Charte de la langue française. Celui de « nette prépondérance du français » origine de l’arrêt Ford de 1988 de la Cour suprême qui invalidait l’affichage unilingue français.

Dans son livre Sortie de secours (Boréal), publié en 2000, Jean-François Lisée écrit que « la Charte de la langue française dans sa version 2000 n’interdit aucune langue » et « insiste sur la prédominance de la langue majoritaire ». Ce qui est faux. Lisée suggère même « de constitutionnaliser le principe de prédominance du français dans l’affichage, pour établir cette réalité une fois pour toutes » dans une future constitution québécoise.

En 2007, dans un livre intitulé Nous (Boréal), Jean-François Lisée en fait l’axe central d’une nouvelle politique linguistique. Dans un chapitre intitulé « La prédominance du français : un concept rassembleur collé sur le réel », il incite le gouvernement « à ajouter dorénavant à ces objectifs (de français langue officielle et langue commune) le concept-clé de prédominance du français ».

Dans Sortie de secours, parmi les droits des anglophones qu’il faudrait s’engager à enchâsser dans une future constitution québécoise, il incluait le droit à un réseau d’enseignement en anglais du primaire à l’université et le droit pour la communauté anglophone de gérer ses établissements. Comment concilier cela avec sa nouvelle proposition d’un réseau unique de cégeps ?

Le concept de « nette prépondérance du français » ayant été battu en brèche par les Charles Castonguay, Frédéric Lacroix, la SSJB-Montréal, le Mouvement Québec français et autres défenseurs du français, Lisée le laisse discrètement tomber sans aucune autocritique. Il se justifiera en disant que les choses ont changé, que la situation du français s’est détériorée, blablabla, blablabla. Mais, en fait, le laisse-t-il vraiment tomber ou le dissimule-t-il?

Alors, posons la question : À quel jeu joue Jean-François Lisée? À quel jeu joue Le Devoir en diffusant de « manière exceptionnelle » la chronique de Lisée? Faire avorter une éventuelle réforme de Jolin-Barrette comme on a voulu couler celle de Curzi ?