En as-tu vraiment besoin?

2021/04/19 | Par Marc Brullemans et Jacques Benoit

Marc Brullemans*, Ph.D. Biophysique, Membre du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste et les enjeux énergétiques au Québec

Jacques Benoit*, D.E.S.S. Développement économique communautaire

Ce texte fait partie d’une série de 15 articles qui visent à faire connaître le Plan des Chantiers de la DUC, élaboré par l’équipe de GroupMobilisation (GMob) dans le cadre de la « Déclaration citoyenne universelle d’urgence climatique », qui a été reconnue par 525 municipalités représentant 80% de la population québécoise.

DES UNIVERSITAIRES (4 de 15) - “Quiconque croit que la croissance exponentielle peut continuer sans fin, dans un monde fini, est soit un fou, soit un économiste.” Cette citation de Kenneth Boulding, lui-même économiste, résume bien la contradiction dans laquelle nous nous enfermons, et qui, finalement, trouve de plus en plus écho dans les médias.

Nos modes de consommation de biens et services impliquent toujours plus de transport routier, maritime et aérien. La demande d’énergie et de matières pour leur fabrication, leur transport, leur recyclage et leur élimination va grandissante, générant toujours davantage de gaz à effet de serre (GES), et ce, en dépit de faibles gains d’efficacité, ici et là.

Ce cycle de consommation met en danger les organismes et leurs écosystèmes (les capacités biophysiques de la planète) dont forcément nous dépendons.

 

Quels sont les faits?

  • Nous devrions savoir, sinon apprendre que chaque individu a une empreinte écologique, et que chaque produit ou service que nous consommons cache ou renferme, notamment, une empreinte carbone.
  • L’empreinte écologique d’un individu peut être définie simplement par la trace qu’il imprime dans l’environnement. Cette trace provient de ce qu’il prend à l’environnement et de ce qu’il y laisse. Pour chaque individu, nation ou secteur économique, on peut distinguer une empreinte matérielle (quantité de matières en kilos), une empreinte carbone (quantité de GES en équivalent CO2), une empreinte énergétique (quantité de kWh), une empreinte eau (quantité en litres), mais celle qui les englobe toutes est l’empreinte écologique.
  • Inscription à l'aut'hebdo : https://lautjournal.info/newsletter/subscriptionsL’empreinte écologique (Rees, W. et Wackernagel, M. 1996) correspond à la quantité de surface de terre productive et d’écosystèmes aquatiques nécessaire pour produire les ressources utilisées et assimiler les déchets qui en résultent, selon un certain niveau de vie matériel, pendant un temps illimité. L’empreinte écologique peut être définie à l’échelle d’un pays, d’une ville, d’un individu ou d’un produit. 
  • Étant une quantité de surface, cette empreinte est exprimée en hectares globaux. Un hectare global est une surface carrée de 100 mètres de côté ayant la capacité de production de ressources et d’absorption de déchets égale à la moyenne de tous les hectares de la planète. Son évaluation permet de mettre en relation les « pressions » sur les ressources et la capacité de la biosphère à « répondre » à ces pressions (biocapacité).
  • L’empreinte écologique d’un Canadien compte parmi les plus élevées de la planète : si toute l’humanité consommait de la même façon que les Canadiens d’aujourd’hui, il faudrait plus de 4,7 planètes Terre pour répondre à la “demande”. 
  • Une étude de 2008 a montré que l’empreinte écologique des Canadiens est proportionnelle à leurs revenus, passant de 5 hectares globaux pour les plus pauvres à 15 hectares globaux pour les plus riches. Il existe peu d’études pour le Québec, mais celle du Vérificateur général de 2007 l’estimait à 10 hectares globaux par habitant. 
  • Or, considérant que nous n’avons qu’une Terre, la justice à l’échelle de l’humanité, selon la population actuelle, voudrait qu’elle soit d’environ 1,5 hectare global par habitant.
  • Un déficit écologique survient lorsque l'empreinte écologique de la population d'un territoire dépasse la biocapacité de ce territoire. La population concernée doit alors « importer » de la biocapacité (des produits et des services) en provenance de l’extérieur, sinon elle devrait entamer son propre capital écologique. 
  • Un déficit écologique au niveau de la planète ne peut évidemment pas être compensé par des importations : il se traduit alors par un dépassement écologique, comme actuellement, ce qui pourrait mener à un état d’effondrement. 
  • L’humanité est entrée en déficit écologique vers 1970 et ce déficit s’est amplifié depuis, au point où maintenant, 20 années sans rien produire ni consommer seraient nécessaires pour permettre à la biosphère de rétablir son équilibre, et combler notre dette écologique accumulée en 50 ans de surexploitation.
  • Les énergies fossiles sur lesquelles beaucoup de nos sociétés sont malheureusement basées contribuent à près de 60% à notre empreinte écologique.
  • Les émissions de GES réelles peuvent être converties en hectares globaux. Selon certaines recherches, les émissions de GES du Québec, incluant la consommation de biens achetés ailleurs (émissions cachées), mais excluant ceux exportés, sont de l’ordre de 150 mégatonnes équivalent CO2 au lieu des 80 de nos inventaires. Dans les deux cas, cela correspond à une empreinte bien au-delà de 1,5 hectare global par habitant.

C’est pourquoi…

  • Pour équilibrer notre budget écologique et endiguer notre dette écologique, nous devons minimalement éliminer les énergies fossiles.
  • Pour guider notre consommation, un étiquetage des produits et services indiquant l’empreinte écologique serait plus utile que la publicité, trop souvent outrancière.
  • Afin de réduire l’empreinte écologique, gouvernements et citoyens doivent appliquer une série de règles comme celle des 6 R : Refuser, Réduire, Réutiliser, Réparer, Recycler, Revaloriser.
  • La réduction de notre empreinte carbone doit être équitable et proportionnelle à nos revenus; ainsi, celle des plus hauts revenus devrait être beaucoup plus importante. Il en va de même pour la réduction de l’empreinte carbone de notre pays par rapport à celle des pays moins développés.

Concrètement, cela signifie que nos gouvernements doivent, par exemple:

  • Taxer fortement les produits à forte empreinte carbone et à forte empreinte énergétique, et rétablir une progressivité significative des taux d’imposition pour tenir compte de la plus forte empreinte écologique des gens à revenus élevés;
  • Adopter une loi pour bannir toute publicité de produits et services ayant une forte empreinte carbone; et promouvoir la sobriété dans la consommation.

Nos municipalités devraient, entre autres :

  • Atteindre la sobriété dans le fonctionnement et les approvisionnements de la municipalité.

Quant à nous, citoyennes et citoyens, nous pouvons, notamment:

  • Dénoncer les initiatives publicitaires incitant indûment les citoyens à une consommation irresponsable;
  • Adopter la sobriété dans notre consommation numérique, par exemple, en cessant la course au dernier modèle.

Répondre à l’urgence climatique, c’est respecter les capacités biophysiques de la planète. C’est aussi respecter notre place dans la biodiversité, et ça commence par vivre sans nuire (à suivre). 

(Tiré de la Fiche C-DUC 3 du Plan de la DUC)

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