Les portes tournantes du rapport d’impôt unique à Ottawa

2021/04/20 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois.

À Ottawa, les députés peuvent présenter, à titre individuel, des projets de loi qui seront débattus et votés. Un tirage au sort détermine l’ordre de présentation. Ayant eu la chance d’être sélectionné au troisième rang, j’ai présenté un projet cher au Bloc Québécois : un rapport d’impôt unique administré par le Québec.

Le gouvernement libéral y a opposé une fin de non-recevoir. Mais le gouvernement étant en situation minoritaire, le projet a pu être transmis au Comité des finances, grâce à l’appui des néodémocrates et des conservateurs. Au cours de son étude, il a été dépecé en mille morceaux. Les conservateurs ayant choisi de s’abstenir, ils laissaient aux libéraux – devenus pour l’occasion majoritaires – la possibilité de rayer, biffer, raturer chaque article. Ils s’en sont donné à cœur joie, s’en prenant même au titre du projet de loi ! À noter que le NPD a alors voté en faveur du projet.

 

Je suis pour, donc je vote contre

C’était là un véritable coup de théâtre de la part des conservateurs, qui s’étaient déclarés favorables au rapport d’impôt unique. Dans l’objectif de faire des gains au Québec, ils avaient présenté une motion en ce sens à la Chambre des communes à l’hiver 2019, puis adopté une motion favorable à leur congrès à Halifax et, enfin, avaient même inscrit ce projet dans leur dernière plate-forme électorale. Bref, un appui pour courtiser le Québec, mais un reniement quand la table est mise.

Une fois le projet de loi battu, le chef conservateur a fait volte-face. Lors du congrès virtuel de son parti, il redonne son appui au rapport d’impôt unique administré par le Québec ! Devant cette pirouette mystificatrice, j’ai décidé d’en appeler de la décision du comité à la Chambre des communes. Il s’agit d’une démarche assez inusitée à laquelle les conservateurs n’avaient certainement pas pensé.

Inscription à l'aut'hebdo : https://lautjournal.info/newsletter/subscriptions

Pris de court, le lieutenant conservateur québécois affirme, durant le débat en Chambre, que son parti était pour l’idée, mais contre le projet de loi ! Et que son parti allait voter contre même s’il était pour ! Le projet de rapport d’impôt unique est assez technique, et les arguments avancés par le lieutenant québécois ne tiennent pas la route. Soit on est pour, soit on est contre. Puis, nouveau coup de théâtre, lors du vote final, son parti choisit de voter en faveur du projet de loi !

 

Double retournement de veste

C’est qu’entre temps, les conservateurs avaient compris que le NPD allait voter contre, même s’il s’était prononcé pour au sein du comité ! À constater le manque de sérieux des conservateurs et néodémocrates, notamment sur ce projet de loi, il n’est pas étonnant que Justin Trudeau ait terriblement hâte de déclencher des élections.

L’argument avancé par le dernier député néodémocrate au Québec est que son parti ne veut pas défaire les projets de loi en comité. Mais c’est là un argument inventé après coup pour tenter de justifier leur incohérence.

Donc, on comprend que les conservateurs et les néodémocrates sont contre le projet de loi, mais veulent dissimuler leur retournement de veste pour ne pas déplaire au Québec. Voyant que les conservateurs avaient pris le singe sur leur épaule lors du vote en comité, le NPD a appuyé le projet, le sachant battu. Puis, comprenant que le NPD voterait contre en Chambre et que le projet serait battu, les conservateurs ont voté en sa faveur. Ça résume encore une fois la place du Québec à Ottawa : on peut toujours lui faire de petits accommodements, pourvu que ça ne dérange pas les intérêts de la nation dominante.

 

Les milliards bonis d’Ottawa

Les conservateurs ont compris, durant les débats, que l’Agence du revenu du Canada est une très grosse machine et qu’accommoder le Québec serait compliqué. Ils ont aussi réalisé qu’Ottawa fait de l’argent sur le dos des provinces. Hors Québec, Ottawa perçoit les impôts pour les provinces. La seule exception est l’Alberta qui perçoit les impôts des entreprises. C’était la même chose pour l’Ontario jusqu’en 2009. Alors quand Ottawa affirme qu’elle leur rend ce service en bon samaritain, l’étude au comité nous a révélé le contraire.

En réalité, les accords de perception fiscale sont truqués en faveur d’Ottawa. Selon ces accords, le fédéral doit remettre aux provinces la totalité de l’impôt perçu pour elles sans trop faire d’efforts. Dès que l’Agence fait des vérifications supplémentaires, Ottawa garde la différence pour lui tout seul. En cinq ans, le fédéral a engrangé 4,5 milliards $ en impôt provincial qu’il a gardé dans ses coffres. Pratiquement un milliard par année.

Permettre une déclaration unique d’impôt administrée par le Québec serait prendre le risque d’inciter les autres provinces à s’occuper de leurs affaires et menacer ce milliard boni encaissé par Ottawa.

 

425 millions $ d’économies

Il est bon de rappeler que ce projet de déclaration de revenus unique émane d’Yves Séguin, lorsqu’il était ministre des Finances sous le gouvernement de Jean Charest. Plus récemment, le Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ) a mené une solide campagne en sa faveur, suscitant notamment l’appui de la CSQ.

En 2018, l’Assemblée nationale a voté une motion unanime en soutien au projet et le premier ministre Legault en a fait officiellement la demande à Ottawa. Le projet bénéficie d’un appui considérable de la population québécoise. Le Québec inc. le réclame également. L’Institut de recherche sur l’autodétermination des peuples et les indépendances nationales (IRAI) a publié une étude chiffrant à 425 millions $ les économies annuelles d’un rapport d’impôt unique administré par Québec, notamment par l’élimination des dédoublements. Mais le gouvernement libéral, les conservateurs et les néodémocrates lèvent le nez sur ces économies.

Toutes les études, sauf une, démontrent le bien-fondé de l’administration des deux déclarations de revenus par Québec plutôt que par Ottawa. La seule exception est l’étude de la Commission Robillard, entachée par des erreurs de calculs basiques et tournée en ridicule dès sa parution. L’étude avait notamment omis de prendre en considération les dépenses supplémentaires occasionnées par la perception par le Québec de la TPS et de la TVQ. Que la crédibilité cette étude ait été invalidée n’a pas empêché les députés libéraux de s’y référer. Par mauvaise foi ou ignorance? À vous de choisir.

 

Les emplois préservés

L’argument commun aux trois partis fédéralistes a trait aux emplois éliminés à l’Agence du revenu avec la fin du dédoublement, bien que le projet de loi ait été rédigé de façon à obliger le gouvernement à se préoccuper du maintien des emplois. La fonction publique fédérale étant en sous-effectif et trop concentrée à Ottawa, les employés en régions pourraient être réaffectés à d’autres fonctions.

La transition ne serait pas simple et les inquiétudes sont fondées. Cependant, à ce sujet, le SFPQ est venu rappeler au comité qu’il est possible de maintenir le même nombre d’emplois. Il a aussi donné trois exemples où des employés d’un niveau administratif ont été transférés à un autre niveau, tout en conservant leur propre échelle salariale et les mêmes avantages. Mais les arguments du syndicat n’auront pas réussi à convaincre les partis fédéraux. Le NPD, par calcul politique, trouve plus avantageux de se ranger du côté des employés de l’Agence du revenu que du côté du Québec.

Mon projet de loi visait à nous simplifier la vie. Un rapport d’impôt plutôt que deux. Il s’appuyait sur un large consensus québécois. Son rejet démontre, une fois de plus, le prix à payer lorsqu’on laisse le voisin décider à notre place. Il illustre aussi remarquablement la légèreté avec laquelle les partis fédéralistes traitent les demandes de notre nation à Ottawa.