Forêts : La face à CAQ

2021/05/05 | Par Richard Desjardins et Henri Jacob

Henri Jacob est président de l’Action Boréale
Richard Desjardins est vice-président de l’Action Boréale

Comme ça, Monsieur le Ministre Benoit Charette, à vous entendre, le territoire du Québec sera couvert d’aires protégées à hauteur de 30 % dans une dizaine d’années ? À l’Assemblée nationale, les députés n’ont pas le droit de traiter quelqu’un de menteur même si c’est vrai. Décorum oblige. On va plutôt évoquer des « arguments fallacieux » ou parler d’« induire la population en erreur ». Alors que nous, à l’Action boréale, on n’est pas des députés…

Au bénéfice de nos lecteurs et du vôtre aussi, une aire protégée ou réserve de biodiversité est un espace naturel plutôt tranquille où on peut résider, pêcher, chasser ou simplement se promener. Mais où les opérations industrielles ne sont pas admises. Votre mandat politique consiste justement à en créer.

On peut cependant questionner votre sincérité quand vous associez une aire protégée à une « pénalité » pour les régions forestières. Quand, en essayant de calquer le style bravache de Couillard qui a dit : « Je ne sacrifierai pas une job pour un caribou », vous déclarez : « On ne fermera pas de village pour créer une aire protégée. »

Or, à notre connaissance, ce n’est jamais arrivé. Par contre, des villages abitibiens comme Champneuf, Rochebaucourt, Languedoc, La Morandière et d’autres sont devenus des villages anémiés par la décimation de leurs forêts de proximité. Lebel-sur-Quévillon a failli disparaître quand l’usine Domtar a fermé ses portes. Vous imaginez-vous le destin des localités autour de Mont-Tremblant si on abattait sa forêt ?

 

L’objectif de 17 %...

En décembre dernier, on vous a vu pavoiser devant les caméras pour annoncer que le Québec avait finalement atteint, et à temps, l’objectif de protéger 17 % de son territoire. Supposément qu’il honorait ainsi son engagement pris lors d’une convention internationale portant sur la biodiversité à Nagoya, au Japon.

Mais le Québec n’a pu y parvenir qu’en trichant sur les règles. L’une d’elles stipulait que les pays signataires s’engageaient à protéger 17 % de chacun de leurs grands écosystèmes. Mais pour combler « vite fait » votre retard, vous avez passé outre et simplement surprotégé le Nord, prétextant la complexité de préserver les régions plus boisées du Sud. Parce que, disiez-vous :

« ... plus au sud, ce sont des terrains qui appartiennent à des entreprises, à des organismes, à des particuliers, alors il faut en faire l’acquisition ».

Boulechite ! Il faut avoir du front tout le tour de la tête pour affirmer publiquement une telle chose. D’abord, à peine un cinquième du Sud est privatisé. Ensuite, cette petite phrase de vous, anodine, cherchait plutôt à tuer le travail d’une de vos équipes d’experts qui élabore depuis 20 ans un réseau d’aires protégées pour le sud du Québec. Plus d’une centaine de petits territoires ont été sélectionnés, tous en territoire public, Monsieur le Ministre ! Et nul besoin d’en faire l’acquisition…

Ce réseau a été conçu à partir de propositions émanant des régions. Elles été débattues localement, loyalement, dans des réunions où les gens côtoyaient les représentants des municipalités, des ministères concernés, industriels forestiers et miniers, des chasseurs, des Autochtones, etc. Un exercice démocratique comme on n’en voit quasiment plus. Les consensus obtenus ont fait émerger ce remarquable réseau d’aires protégées en territoire public.

Ne restait plus qu’à aller le défendre au Conseil des ministres, comme l’exige votre mandat de protecteur de l’environnement.

 

Édition numérique de l'aut'journal  https://campaigns.milibris.com/campaign/608ad26fa81b6a5a00b6d9fb/

 

Vous ne vous y êtes même pas présenté, Benoit Charette, laissant aux technocrates anonymes du ministère des Forêts le soin de reconduire ad nauseam la politique forestière de nos gouvernements antérieurs et actuel : pas un arbre de la forêt publique ne doit échapper à l’industrie.

Votre leadership rattaché à la fonction que vous occupez s’est ratatiné en une benoite soumission.

Vous avez « dompé » les projets promis d’aires protégées dans les solitudes sans arbre de la toundra. D’autant plus choquant que l’implantation de 83 aires projetées dans le Sud – que vous avez scrappées – n’aurait affecté que 5 % des réserves forestières concédées à l’industrie. (Celle-ci n’arrive même pas à récolter les volumes de bois qui lui sont octroyés année après année !)

 

Des aires protégées non protégées

Incapable de protéger 17 % du territoire en respectant les normes internationales convenues, vous avez donc annoncé que d’ici 10 ans, c’est maintenant 30 % qui seront sous protection. Pour ce faire, tadam ! Une nouvelle catégorie d’aires protégées : elles seront d’« utilisation durable », dites-vous, dans lesquelles les compagnies forestières pourront aller bûcher quand même. (Ah, juste un p’tit peu, de temps en temps, avec des abatteuses de 20 tonnes toutes fans de la microflore, ça paraîtra même pas, vous allez voir, faites-nous confiance, pis allez vous coucher, quin !) Des aires protégées non protégées. Le piège parfait de l’industrie.

Les 83 aires vont y passer. Si on ne s’en occupe pas.

Avant que cette risible farce des aires protégées non protégées n’acquière une importance démesurée, l’Action boréale demande l’arrêt de sa procédure et réclame la mise en oeuvre intégrale du plan de « réserves de biodiversité » tel que défini par les populations et finalisé par le ministère de l’Environnement lui-même, l’an passé.

 

Un moratoire

Nous demandons un moratoire immédiat sur toute coupe forestière prévue dans ces réserves de biodiversité. Nous demandons au Forestier en Chef du Québec de retirer de son registre les volumes de bois qu’il avait rendus disponibles dans ces secteurs, en vue de leur récolte commerciale.

Et, finalement, plutôt premièrement, nous encourageons fortement les gens vivant près de leurs forêts menacées à se regrouper – si ce n’est déjà fait – pour organiser une résistance effective à ce coup de force inqualifiable perpétré par celui qui est censé défendre notre territoire.

Monsieur le Ministre, vous ne transformerez pas le chien de garde qu’est le ministère de l’Environnement en chien de traîneau au service des extracteurs de ressources ou pour l’avancement de la carrière politique d’un béni-oui-oui comme vous.

Vous êtes au-dessus de vos affaires, à ce qu’il semble, ayant hérité du dossier spécial de l’antiracisme. Félicitations. Mais vous pourriez aider votre cause en évitant de vous faire haïr.