Des lettres persanes à twitter

2021/05/14 | Par Michel Rioux

S’il s’était trouvé ces jours derniers, par le plus grand des hasards, un être habitant une planète inconnue et arrivant ici, ou encore un individu en provenance d’une contrée non encore touchée par ce qu’on appelle la civilisation, quelle n’aurait pas été sa difficulté d’expliquer à ses congénères ce qui s’y passe vraiment.

L’actualité fournit en effet son lot d’incongruités qui ne trouvent d’explication que dans la profonde torpeur dans laquelle on se retrouve, bombardés pourtant par un flot d’informations plus saugrenues les unes que les autres.

Pareil visiteur peu habitué aux mœurs du lieu s’était exprimé au 18e siècle sous la plume du comte de Montesquieu. Dans Les lettres persanes, Usbek raconte ceci : « Il y a une espèce de livres que nous ne connaissons point en Perse, et qui me paraissent ici fort à la mode : ce sont les journaux. La paresse se sent flattée en les lisant : on est ravi de pouvoir parcourir trente volumes en un quart d’heure. »

On croit rêver !                                                                                                                                 

Pendant que les journaux sont sur la pente douce du déclin, ce sont les réseaux sociaux – dont on pourrait aussi dire qu’ils sont asociaux ou encore antisociaux – qui imposent leur loi, qui consiste à ramener l’esprit critique au niveau des caniveaux.  Donald Trump étant le prototype le plus achevé de cette déchéance.

Mais en dépit de leur déclin, les journaux nous en apprennent encore de belles, ici et ailleurs.

  • Le président Afghan accuse les talibans. Les talibans accusent Daesh, l’État islamique. C’est bien connu, ces messieurs aiment les femmes bien voilées et déguisées en courant d’air. Sans doute parce que cela risquerait de remettre en question leur virilité, ils ne peuvent endurer que des femmes soient éduquées. Pour bien se faire comprendre, une bombe a été déposée devant une école pour filles à Kaboul. Trente victimes, cinquante blessées. Il y a des sujets avec lesquels on ne plaisante pas chez les intégristes religieux…
     
  • Rome a son Circus Maximus. Ici, nous avons Maxime Bernier, celui-là même qui avait distribué des Joe Louis à Kaboul. En santé et en forme, il se dit à l’abri de la Covid. Son sport préféré, ces temps-ci : collectionner les contraventions. À Peterborough le 25 avril. Une amende de 2800 $ le 8 mai à Régina. Et si les policiers de Montréal avaient été plus alertes le 1er mai, il en aurait reçu une de plus.

    À Québec, c’est Éric Duhaime qui sévit. Et le « mystère Québec » de continuer de s’épaissir. Un sondage met en effet son parti conservateur en deuxième place si des élections s’étaient tenues à ce moment-là. C’est le même histrion qui à la radio encourageait les gens à aller au Mega Fitness Gym, un lieu d’où la Covid s’est répandue comme une traînée de poudre.

    Bernard Landry avait de très grandes qualités. Mais quand il a engagé Bernier et Duhaime dans son cabinet, il y a une vingtaine d’années, il avait certes oublié son jugement au vestiaire…
     

  • Les sœurs de Sainte-Croix sont très âgées. Elles sont une centaine qui vont déménager à 200 mètres de leur couvent, dans une résidence propriété de Sedna, qui a acheté un terrain près de la résidence que vont quitter les sœurs. Syndiquées, les travailleuses qui prennent soin d’elles gagnent 20,50 $ l’heure. Dans un CHSLD privé que possède Sedna, on paye les employées 14,25 $ l’heure à l’embauche. L’entreprise plaide que ce sont « deux entités distinctes ». Ça nous rappelle de triste mémoire Raymond Malenfant, le « tough de La Malbaie » qui, ayant acquis le Manoir Richelieu en 1985, soutenait n’avoir acheté que des murs, pas un syndicat.

 

Superfluités

Dans une autre lettre, Usbek écrivait à son ami Rhedi : « Pour qu’un prince soit puissant, il faut qu’il travaille à procurer à ses sujets toutes sortes de superfluités avec autant d’attention que les nécessités de la vie. »

  • Un dossier du Journal de Montréal nous apprenait récemment comment le ministre Pierre Fitzgibbon ne niaise pas avec la puck. En deux coups de cuillère à pot, il a réglé la question du Grand Prix de Montréal.  Et c’est Bell, milliardaire qui pèse 52 milliards $, qui a mis la main sur le gros lot. En cinq ans, des améliorations de 164 millions $ ont été effectuées sur l’île Notre-Dame, dont 78 millions pour les paddocks et la zone hospitalité. Des installations qui, soit dit en passant, ne servent que deux jours par année. Et c’est pas fini ! Sans que Bell ne déverse un sou, Québec et Montréal vont verser d’ici 2031 de 18,5 $ à 26 millions $ par année pour assurer la présentation de la course.

Cette fois, Montesquieu s’est mis le doigt dans l’œil. Ce ne sont pas les « sujets du prince » qui fréquentent le Grand Prix. C’est une faune bien nantie merci chez qui l’argent coule entre les doigts. Comme c’est le cas pour ministre ! Avec notre argent !

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