Un budget électoral anti-québécois

2021/05/20 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois

Le 19 avril dernier, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a présenté son budget. 841 pages contenant presque 150 milliards $ de nouvelles dépenses depuis son Énoncé économique de l’automne. Du jamais vu ! Même pour un budget électoral, car n’eut été de l’ampleur de la troisième vague de la COVID, surtout en Ontario et dans l’Ouest, le gouvernement aurait déclenché des élections ce printemps. Justin Trudeau est fébrile. Il a hâte de dissoudre la Chambre. Ce sera probablement au mois d’août.

Malgré le nombre inédit de mesures et le niveau historique de dépenses, le duo Trudeau-Freeland a réussi à dire Non à la seule demande du Québec ! Québec et les provinces demandent au fédéral de mieux financer la santé. D’élever sa contribution pour couvrir 35 % des dépenses, et cela sans condition. C’est le niveau nécessaire pour atteindre un équilibre fiscal. Sans cela, une fois la pandémie passée, Ottawa va engranger les surplus et les provinces, se retrouver aux prises avec un endettement toujours plus lourd. C’est le calcul produit par le Directeur parlementaire du budget, le Conference Board et le Conseil de la fédération.

Le refus d’Ottawa de financer sa part en santé, en pleine crise sanitaire, est un choix politique. Financer la santé sans condition, ça ne donne pas beaucoup de visibilité. D’autres mesures sont plus payantes électoralement.

 

Le Bloc demandait 110 $ de plus pour les aînés

Le Bloc Québécois avait deux demandes principales. Mieux financer la santé et plus de dignité pour les aînés. Cette dernière demande aurait signifié une hausse de 110 $ par mois du paiement de la Sécurité de la vieillesse pour les personnes de 65 ans et plus. Les libéraux ont plutôt annoncé une hausse de 63 $ pour les 75 ans et plus, à partir de l’année prochaine. Pour cette année, les 75 ans et plus auront droit à un paiement de 500 $ juste avant les élections, au mois d’août ! De quoi faire rougir Duplessis qui, lui, offrait un frigo !

Le journaliste économique Gérald Fillion rappelle que le Canada est l’un des pays où les revenus des gens subissent la plus importante baisse lors de leur retraite. Le « taux de remplacement » des revenus est de 50,7 %. Celui de l’Union européenne est de 63 %. La moyenne des pays de l’OCDE est 7 points plus élevée que le Canada. La proposition du Bloc ramènerait le « taux de remplacement » à la moyenne de l’OCDE. Mais le gouvernement a rejeté nos amendements en faveur des aînés et de la santé. Comptant sur l’appui indéfectible des néodémocrates, il se comporte désormais comme un gouvernement majoritaire.

Évidemment, avec 150 milliards $ de nouvelles dépenses, il y a plusieurs mesures intéressantes. Par exemple, la prolongation des mesures de soutien ou encore l’aide au déploiement d’une capacité de production de vaccins. L’importance de l’aérospatiale est enfin reconnue, même si on est encore loin d’avoir une politique industrielle.

Il y a aussi beaucoup d’argent pour l’environnement. Toutefois, sans qu’on puisse avoir accès aux détails pour l’instant, il est à craindre qu’Ottawa soutienne massivement les pétrolières dans leurs activités d’extraction, mais en polluant un peu moins, ou en subventionnant les projets de puits de carbone ou d’hydrogène gris. Des projets qui sont tout, sauf verts ! C’est à suivre.

 

La poursuite de l’ingérence d’Ottawa

Une constante dans les 841 pages du budget, la poursuite de l’ingérence d’Ottawa dans les champs de compétences des provinces. Il y a, bien sûr, le refus de financer adéquatement la santé, ce qui condamne le Québec et les provinces à la précarité, en laissant planer le spectre de l’austérité. La marge de manœuvre fiscale étant à Ottawa, le gouvernement a beau jeu de proposer aux provinces des programmes dans leurs champs de compétence, selon ses normes et ses critères.

Et c’est ce qu’il fait. La mesure phare du budget est le programme pancanadien de garderies. En échange d’un financement à hauteur de 50 %, Ottawa se permet de dire aux provinces « quoi et comment faire ». Heureusement, la ministre Freeland semble s’être gardé une petite gêne à l’égard du Québec et de ses CPE. Pour l’instant.

Toujours dans le budget, et sans que ça lui en coûte une fortune, Ottawa met en place une infrastructure qui lui permet de s'ingérer dans une foule de secteurs. Par exemple, on y trouve un cadre relatif aux soins en santé mentale, un cadre relatif à la santé des femmes et un cadre relatif à la santé reproductive. Tous dans des champs de compétence exclusifs au Québec et aux provinces ! Il y aussi un cadre pour l'extraction des minéraux nécessaires au virage vert. Nouvel empiètement dans un champ de juridiction provinciale. On remet à l’ordre du jour le projet pancanadien des valeurs mobilières pancanadiennes, encore une fois contre la volonté du Québec. Apparaissent aussi dans le budget un bureau fédéral pour la reconnaissance des diplômes étrangers, une agence canadienne responsable de la gestion de l'eau et un cadre fédéral pour la formation de la main-d'œuvre.

 

Un pays de plus en plus centralisé

Tout cela est très inquiétant. Toutes ces mesures, tous ces cadres et toutes ces politiques témoignent de l'intention d’Ottawa de mettre en place l’infrastructure pour poursuivre son objectif de centralisation. Le gouvernement utilise son pouvoir de dépenser pour se mettre le nez partout. La table est mise pour faire du Canada un pays de plus en plus un pays centralisé, où tout se décide à Ottawa et de moins en moins dans le cadre d’une fédération respectant l’autonomie des provinces.

Tout cela ne semble pas trop déranger la population dans le reste du Canada, mais il s’agit évidemment d’une attaque directe contre le Québec. Une façon de faire, dictée par papa Ottawa. Quant à l'autonomie, chère au Québec, on s'en balance.

À ce sujet et en réaction au budget, le journaliste Antoine Robitaille écrivait : « Mais comme souvent au Canada, lorsque quelque chose semble nécessaire et souhaitable, le grand frère fédéral se fout des règles constitutionnelles et prend l’initiative. Un programme pancanadien de garderie est évidemment un envahissement d’un champ de compétence des provinces. Je répète que, pour l'instant, Ottawa affirme qu'il n'imposera pas de règles au Québec. Or nous nous demandons pour combien de temps ce sera le cas. »

Difficile pour une nation comme le Québec de continuer de se développer en fonction de ses propres choix quand une telle dynamique devient la règle.

 

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