Taxation des multinationales : Vers un impôt minimum mondial ?

2021/06/04 | Par Luc Allaire

La pandémie de la Covid-19 aura de lourdes conséquences pour les finances publiques des gouvernements du Québec et du Canada comme pour l’ensemble des pays. Les déficits seront très élevés attribuables à une baisse des revenus occasionnée par la mise sur pause de grands pans de l’économie et une augmentation des dépenses nécessaires pour combattre le coronavirus.

Cette pandémie aura aussi eu pour conséquence de mettre à jour une très grande iniquité en matière fiscale : le fait qu’un grand nombre d’entreprises multinationales ne paient pas leur juste part en impôts.

Mais comment obliger ces entreprises qui sont devenues maîtres en évitement fiscal de payer leur juste part ? Et comment convaincre les gouvernements à ne pas se livrer une concurrence fiscale qui tire vers le bas les contributions de ces entreprises au financement des États ?

S’il demeure possible pour les pays de mettre en œuvre des mesures unilatérales, l’idéal est une solution globale. Les gouvernements de plusieurs pays doivent s’entendre pour imposer une réforme fiscale internationale. C’est ce que propose actuellement l’OCDE dans le cadre des négociations d’un cadre inclusif visant à lutter contre l’érosion de la base d’imposition des multinationales, notamment en mettant en place un nouvel impôt minimum mondial.

Cette réforme est indispensable pour limiter la concurrence fiscale et pour lever d’indispensables revenus fiscaux à court et moyen terme. Pour être efficace, l'accord devrait comprendre un taux d’imposition effectif compris entre 20 et 25 % sur les profits des multinationales, ce qui correspond à la moyenne actuelle de l'OCDE.

Ce taux fait actuellement l’objet de débats intenses à l’OCDE depuis que l’administration Biden, en rupture complète avec l’administration Trump qui refusait toute réforme multilatérale, a proposé un taux de 21 %. Le Canada et le Japon appuient ce taux.

Tous les yeux sont maintenant tournés vers l’Union européenne qui semble avoir des difficultés à s’entendre sur une position commune. La France et l’Allemagne ont déclaré publiquement qu’ils ne s’opposeraient pas à un taux de 21 %, mais ce soutien est plutôt tiède. En effet, le ministre français des Finances, qui défendait un taux minimum de 12,5 %, a déclaré qu’un taux de 21 % était une perspective improbable, alors que l’Irlande a déclaré qu’elle veut un taux compatible avec son propre taux à 12,5 %.

 

La position syndicale

Pour les organisations syndicales membres de la Commission syndicale consultative de l’OCDE, mieux connue sous son acronyme anglais TUAC (Trade Union Advisory Committee), il est essentiel que le taux minimum soit de 25 %. Les secrétaires généraux du Comité syndical européen (CSE) et du TUAC ont d’ailleurs écrit au Commissaire de l’Économie de l’Union européenne pour lui demander son appui à un taux minimum de 25 %, notant qu’il regrettait qu’il demeure évasif sur cette question.

Le CSE souligne qu’un taux de 12,5 % est insuffisant pour arrêter la compétition fiscale entre les pays et limiter le transfert de bénéfices. « Plus important, soulignent le secrétaire général du CSE, Luca Visentini, et le secrétaire général du TUAC, Pierre Habbard, un taux de 25 % apporterait des revenus nécessaires à un moment où les pays sont à la recherche de solutions pour financer une reprise juste et durable. Ainsi, un taux de 15 % rapporterait, selon les estimations du Tax Justice Network, 100 milliards de dollars annuellement. Avec un taux de 25 %, les perspectives de revenus pourraient s'élever à 580 milliards de dollars, une différence 60 %. »

Le TUAC insiste également pour que les exceptions à un tel nouveau régime fiscal soient limitées au strict minimum, pour que le calcul du taux effectif d’imposition limite le plus possible le risque de manipulations comptables et d'arbitrage réglementaire. De plus, le principe de l'imposition là où les activités économiques ont lieu doit être à la base du nouveau régime.

Devant l’importance de cet enjeu pour les finances publiques, le TUAC a demandé à ses organisations affiliées de faire pression sur leur gouvernement afin de faire avancer ces négociations. Les rencontres prébudgétaires entre la ministre des Finances Chrystia Freeland et les organisations syndicales furent l’occasion de lui rappeler la déclaration qu’elle avait faite lors d’une conférence organisée par l’OCDE le 28 janvier. « Let’s get it done », avait alors lancé Mme Freeland, ajoutant que le cadre inclusif sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices était primordial. « Si jamais il n’y avait pas d’accord multilatéral, le Canada se verrait dans l’obligation d’aller de l’avant avec sa propre réforme fiscale, mais ce n’est pas souhaitable », avait-elle souligné.

Pour le collectif Échec aux paradis fiscaux, un regroupement d’organisations syndicales et civiles de la société québécoise, il y a urgence d’agir, car il en va de la pérennité de nos services publics et plus particulièrement de nos réseaux publics de l’éducation et de la santé.

Pendant longtemps, on nous a dit qu’une telle réforme était impossible. Mais aujourd’hui, les experts de l’OCDE ont convenu d’un mode d’emploi à suivre pour forcer les multinationales à payer une plus juste part d’impôt. Il ne manque plus que la volonté politique pour le mettre en pratique. La date limite pour en arriver à un accord qui était la mi-juillet a toutefois été repoussée à octobre 2021.

 

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