« Pousse, mais pousse égal ! »

2021/06/07 | Par Marc Brullemans et Jacques Benoit

Marc Brullemans, Ph.D. Biophysique. Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste et enjeux énergétiques au Québec
Jacques Benoit, D.E.S.S. Développement économique communautaire

DES UNIVERSITAIRES / (11 de 15) L’agriculture est le secteur qui peut le plus facilement se prêter à la compréhension des effets du réchauffement planétaire. Les extrêmes météorologiques qui en découlent, sécheresses, inondations, tempêtes de grêle, gels tardifs ou neiges précoces, viennent frapper de plein fouet les agriculteurs, qui se rabattent sur la Financière agricole et autres institutions afin d’éviter la faillite. L’impact se reflète jusque dans le panier d’épicerie, affectant au premier chef les plus démunis.

Au Québec, sous l’effet du réchauffement climatique, le « sud » se déplace vers le nord à raison de 10 km par année (soit 27 mètres par jour). À ce rythme, les écosystèmes se disloquent. Or, à peine 2 % de nos terres (33 000 km2 sur 1,666 million de km2) sont cultivées et elles sont situées essentiellement à l'extrême sud du territoire. On ne peut les déménager ni en créer d’autres aux latitudes élevées. Les superficies agricoles au Québec ne cessent même de diminuer à cause de l’étalement urbain, passant de 4,0 millions d’hectares en 1978 à 3,3 millions en 2016.

La gestion de l’eau, essentielle à l’agriculture, sera de plus en plus difficile. Anne Blondot, du consortium Ouranos, explique que «les précipitations tomberont plus sous forme de pluies intenses, suivies de périodes plus sèches. L’air chaud favorisera aussi l’évaporation, ce qui accentuera le stress hydrique.» Des cultures devront être remplacées par d’autres, ce qui aura des effets sur les producteurs au niveau des certifications et devis.

Si l’agriculture écope, elle participe malheureusement aussi au problème.

L’agriculture industrielle dégrade les sols, et est en grande partie dépendante des énergies fossiles. L’utilisation massive d’engrais, d’herbicides et de pesticides (comme les néonicotinoïdes), fabriqués pour la plupart à partir de pétrole et de gaz naturel, l’emploi de combustibles fossiles dans les machineries, et les émissions directes de méthane et de protoxyde d’azote font que l’agriculture et l’élevage intensifs génèrent d’importantes quantités de GES.

La mise en culture de forêts et de savanes (exemple le plus courant de changement d’affectation des terres) contribue aussi au réchauffement de la planète parce qu’elle affecte les puits de carbone.

 

LES FAITS

  • Sur la planète, les terres émergées représentent 14,9 milliards d’hectares. Environ les deux tiers sont des terres habitables, et de ces deux tiers, la moitié est consacrée à l’agriculture.
  • Selon l’IPBES, une plateforme intergouvernementale scientifique, depuis 1970, la dégradation des terres, causée principalement par des pratiques d’agriculture intensive, a entraîné une réduction de la productivité sur 23 % des terres émergées, soit les 2/3 des superficies agricoles.
  • À l’échelle mondiale, on évalue que les activités agricoles, incluant la réaffectation des sols, contribuent à hauteur de 15 % à 20 % des émissions totales de GES anthropiques. Au Canada, en 2018, le secteur de l’agriculture aurait émis 60 millions de tonnes d’équivalent CO2 (MtCO2e), soit moins de 10% des émissions totales canadiennes. L’élevage est responsable de 60 % de ces 60 MtCO2e.
  • Selon l’inventaire du Québec, le secteur de l’agriculture aurait émis 9 MtCO2e, soit environ 10% du total de nos émissions. L’élevage du bétail compterait pour les2/3 des émissions du secteur. 
  • Ces 9 MtCO2e se subdivisent selon les principaux GES émis, soit 45 % pour le protoxyde d’azote, 43 % pour le méthane et 12 % pour le CO2, démontrant l’importance de réduire les émissions de protoxyde d’azote (engrais azotés) et de méthane (lisiers et ruminations). 
  • Au Québec, on produit quatre fois plus de porc qu’on en consomme. Or, la production porcine requiert jusqu’à 3 kilos de moulée par kilo de viande. Il en résulte, selon un ex-sous-ministre “qu’à peu près 70 % des meilleures terres du Québec servent à faire pousser du maïs et du soya pour l’alimentation des porcs”. 
  • L’avènement de nouvelles pratiques d’élevage et l'utilisation de biocharbon pour amender les sols pourraient permettre une plus grande séquestration de carbone, mais les réductions mondiales de GES pouvant en découler (2 Gt par an) ne dépasseraient guère 20% des émissions annuelles de ce secteur (10 GtCo2e), ou 3 % des émissions totales mondiales.

 

C’EST POURQUOI…

  • On doit cesser d’ignorer l’impact grandissant du réchauffement planétairesur l'agriculture.
  • L’agroécologie(sylvopastoralisme, permaculture, agriculture bio, agriculture régénératrice) doit être favorisée et encouragée. Il faut revaloriser la profession, tout en faisant en sorte que coexiste une forme familiale ou communautaire d’agriculture.

Conséquemment (tiré de la Fiche C-DUC 9 du Plan de la DUC)...

 

Nos gouvernements doivent, par exemple,

  • Encadrer beaucoup plus sévèrement l’usage des  pesticides, herbicides et engrais chimiques, pour en minimiser l’utilisation et bannir les plus toxiques pour l’environnement;
  • Fournir les ressources nécessaires aux agriculteurs et agricultrices pour développer une agriculture soutenable et à échelle humaine.
  • Promouvoir avec d'importantes ressources la permaculture biologique.
  • Protéger la vocation alimentaire des terres agricoles et bannir toute production vouée à un biocarburant, tel l’éthanol.
  • Légiférer pour faciliter l’accès à la propriété des terres agricoles pour la relève et le démarrage des petites productions.

 

Nos municipalités devraient, notamment,

  • Modifier la réglementation municipale pour soutenir et encourager l’agriculture urbaine, sous toutes ses formes. 

 

La population, quant à elle, peut, entre autres,

  • Privilégier l’utilisation d’aliments produits régionalement et à partir de pratiques favorisant la santé des sols.
  • Réclamer que soit affichée l’empreinte carbone des produits alimentaires mis en marché.

Si nous désirons des sols en santé et une agriculture pérenne, nous devons avant tout protéger les terres arables.

En janvier 2020, la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, déclarait: «Il faut freiner l’étalement urbain. [...] Considérant les changements climatiques, on ne peut plus fermer l’œil».

Un an et demi plus tard, le premier ministre fonce “les deux yeux fermés ben dur” avec son projet de troisième lien entre Québec et Lévis, qui fera exactement le contraire. Il persiste, avec son “urgence pragmatique”, à nier l’urgence climatique qui se fait pourtant plus pressante.

De quoi dire à ce gouvernement: pousse, mais pousse égal!

(Dans un prochain texte, nous traiterons de questions liées à l'alimentation.)

 

* Membres du regroupement Des Universitaires

Questions ou commentaires?
Ce texte fait partie d’une série de 15 articles qui visent à faire connaître le Plan de la DUC, élaboré par l’équipe de GroupMobilisation (GMob) dans le cadre de la «Déclaration citoyenne universelle d’urgence climatique », qui a été reconnue par 525 municipalités représentant 80% de la population québécoise.