Une journée type dans un cégep anglais

2021/06/11 | Par Jean-François Vallée

Monsieur Legault, le sondage Léger du 12 mai dernier vous a appris que 57 % des Québécois sont désormais « extrémistes », pour reprendre vos mots, puisqu’ils se déclarent en faveur de l’extension de la loi 101 au collégial.

Ce fait ne vous ayant pas fait broncher, je vais tâcher de vous en convaincre sous l’angle de la langue de travail et du point de vue d’un professeur francophone ou allophone type forcé d’enseigner dans un cégep anglais principalement à… des francophones et des allophones.

Je le sais pour l'avoir vécu.

Allons-y. L’horaire type de notre enseignant ressemble à ceci.

Le matin, en déjeunant, il lit les actualités en anglais : ainsi, croit-il, s’il devait en parler en classe, il pourra les commenter avec les termes anglais justes.

Après un avant-midi à préparer des cours en parcourant des manuels et des ouvrages anglais et à enseigner en anglais, le diner au salon du personnel se passe bien évidemment dans la langue officielle de ces institutions. Son après-midi obéit aux mêmes règles.

Au retour chez soi, le soir, après un souper en famille avec ses adolescents qu’il a « librement » envoyé étudier au cégep anglais où il enseigne, il soupe en franglais.

Après le repas, il file dans son bureau pour corriger des copies, toutes rédigées en anglais. Ou encore il prépare des cours dans la langue de Margaret Atwood.

Avant de s’endormir, il dévore d’ailleurs The Handmaid’s Tale en version originale, afin de continuer à « pratiquer son anglais », la précieuse langue de son gagne-pain…

Ainsi, ce n’est pas 8 h par jour en anglais dans lesquelles son travail le plonge, mais de 14 à 16 heures.

L’observateur attentif notera aussi que sa bibliothèque personnelle est presque uniquement composée de bouquins en anglais, comme les chansons et les films qu’il consomme.

Imaginez, dans ce contexte, dans quelle langue il rêve, la nuit venue…

Monsieur Legault, notre francophone, vous l’aurez compris, est clairement engagé sur la pente glissante de l’acculturation, prélude à l’assimilation de la génération suivante.

Imaginez maintenant qu’il s’agisse d’un immigrant indien, chinois, polonais ou mexicain. Pensez-vous qu’après des décennies de ce régime, il continuera longtemps à tenir au français, et qu’il déploiera des efforts pour franciser sa descendance ?

En ce moment, dans l’ensemble du réseau collégial, la réalité que je viens de vous décrire touche plus de 2000 employés, principalement concentrés à Montréal. Vous qui craignez comme la peste « d’interdire » l’accès aux cégeps anglais aux francophones, avez-vous pensé à ces milliers de travailleurs à qui vous « interdisez » de travailler en français ?

Alors, M. Legault, vous demandez aux Québécois de faire un effort pour défendre eux-mêmes leur langue… Mais comment voulez-vous qu’ils le fassent dans un contexte où vous les forcez à vivre 16 h par jour en anglais ?

 

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