Le Québec est coresponsable de la situation des Autochtones

2021/06/16 | Par André Binette

L’auteur est constitutionnaliste

Dans sa nouvelle politique forestière annoncée il y a quelques jours, le gouvernement de la Colombie-Britannique avertit les compagnies forestières que certains de leurs baux ne seront pas renouvelés afin de permettre à des PME autochtones de réaliser jusqu'à 20 % des coupes dans la province. Voilà comment créer de l'emploi en milieu autochtone pour les sortir de la pauvreté. Rien de tel en vue au Québec, dont le ministère des Forêts agit depuis toujours comme un agent de l'industrie. L'obstacle principal n'est pas du tout la loi fédérale sur les Indiens, comme certains aiment le croire, mais bien les lois québécoises sur les forêts et autres ressources naturelles.

 

Le parlement du Canada-Uni

Il en était ainsi même avant la mise en place du fédéralisme canadien. Après le soulèvement des Patriotes, le futur Québec alors appelé le Bas-Canada a été comme on le sait uni de force en 1840 avec le Haut-Canada, le futur Ontario, dans une entité politique appelée le Canada-Uni. Huit ans plus tard, le gouvernement britannique a accédé dans ce nouveau cadre à une des principales demandes que les Patriotes avaient formulées pour le Bas-Canada : le gouvernement responsable.  Ce principe est au cœur de la Constitution canadienne depuis ce jour.

La particularité du droit canadien et du droit britannique est que cette règle fondamentale n’est inscrite dans aucun texte juridique. Elle a simplement consisté en une abstention, celle du gouverneur britannique qui a suivi les instructions de Londres et qui a annoncé qu’il n’imposerait plus son choix des ministres qui forment le gouvernement à l’assemblée parlementaire élue. Le principe du gouvernement responsable, qui avait été acquis au Royaume-Uni en 1832, était étendu pour la première fois à une colonie de l’empire, la colonie canadienne. La monarchie perdait ainsi tout pouvoir politique et le colonialisme britannique était affaibli. Ce fut un pas en avant majeur pour la démocratie.

Dans le parlement du Canada-Uni muni de ce nouveau pouvoir considérable, le poids politique des francophones du Québec, plus nombreux que les Ontariens, s’est fait sentir, si bien qu’il a fallu deux majorités parlementaires (pour chacun des Canadas) pour adopter les lois. Il fallait aussi deux co-premiers ministres et deux co-procureurs généraux. Pour la première et la seule fois de leur histoire, les Franco-Canadiens et les Anglo-Canadiens avaient un pouvoir politique relativement égal dans le cadre britannique.

De plus, l’autonomie du Canada-Uni recouvrait presque l’ensemble des attributions gouvernementales à l’époque, à l’exception de la défense militaire et des relations internationales. Cette autonomie recouvrait en particulier deux compétences législatives interdépendantes et complémentaires, celle sur les affaires autochtones et celle sur la gestion des ressources naturelles et des terres publiques. Ces compétences législatives étaient deux responsabilités majeures de l’État canadien en devenir.

 

Les lois de 1851

À peine trois ans plus tard, le nouveau gouvernement responsable du Canada-Uni n’a eu rien de plus pressé que d’adopter des lois qui créaient les premières réserves autochtones et qui sont devenues les fondements de la Loi sur les Indiens de 1876. Le but avoué des lois de 1851 était de vider le territoire du Nord du Québec afin de le rendre disponible pour l’industrie forestière en plein essor.

Les lois de 1851 ont créé le modèle de colonisation qui a été repris par la suite pour l’Ouest canadien et qui a ultimement inspiré l’apartheid en Afrique du Sud. C’est en 1851, et non en 1867 ou en 1876, que le colonialisme canado-québécois à l’égard des Autochtones est apparu. Le colonialisme canado-québécois a immédiatement remplacé le colonialisme britannique, et s’est avéré plus lourd pour les Autochtones que ce dernier.

Les lois de 1851 ont été votées par des parlementaires québécois pour le territoire du Québec avant la création du parlement fédéral. Elles ont notamment créé les deux plus grandes réserves du Québec, celles de Pessamit près de Baie-Comeau et de Kitigan Zibi près de Maniwaki. Ces réserves devaient à l‘origine être les seules des nations innues et anishnabées.

Elles devaient regrouper tous les membres de ces nations, même si leurs communautés étaient à des centaines de kilomètres les unes des autres. C’est pour cette raison qu’elles sont de taille plus importante. Elles devaient être et sont devenues pendant fort longtemps des prisons à ciel ouvert. Les Innus et les Anishnabés n’ont obtenu par la suite d’autres réserves de moindre dimension que parce qu’il s’est avéré impossible de les regrouper définitivement au même endroit.

 

L’ADN de l’État canado-québécois

Le développement du territoire et des ressources naturelles au mépris des droits ancestraux des Autochtones pourtant reconnus en théorie par le droit britannique a été une priorité existentielle pour nos élus et nos gouvernements dès qu’ils ont eu le pouvoir d’agir librement. Cette priorité n’a jamais été remise en question à ce jour. Les besoins de l’industrie forestière, plus tard minière et hydroélectrique, ont toujours passé en premier lieu. La création des réserves a été le moyen retenu pour laisser ces industries opérer.

La Constitution de 1867 a simplement changé la forme de ces interventions oppressives. Elle a réparti les compétences législatives sur les Autochtones entre deux ordres de gouvernement. La compétence sur les Autochtones a été attribuée au parlement fédéral, celle sur les terres publiques et les ressources naturelles à l’Assemblée nationale. C’étaient les deux mains du même État oppresseur dans la perspective autochtone. Une main exploitait leurs territoires ancestraux sans tenir compte de leurs droits. L’autre les enfermait dans des réserves.  C’est l’ADN de l’État canado-québécois.

Rien n’a changé depuis 1851, sauf pour les trois nations autochtones qui ont signé la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Ces trois nations ont bénéficié d’un rapport de force particulier. Quel que soit le parti au pouvoir, le gouvernement du Québec refuse systématiquement d’étendre le modèle de la Convention aux huit autres nations autochtones du Québec. Le modèle colonisateur de 1851, antérieur à la loi sur les Indiens, s’applique toujours à elles au sud du territoire de la Convention.

Aucun parlementaire québécois, que ce soit au parlement du Canada-Uni, au parlement fédéral ou à l’Assemblée législative provinciale, ne s’est distingué par son opposition aux lois de 1851, à la loi sur les Indiens de 1876 ou à la mise en place des pensionnats autochtones.  Nos élus québécois ont souscrit à ces lois et maintiennent toujours ce modèle injuste de développement. Ils refusent, pour les huit nations, de les inclure dans les décisions. Ils refusent de partager avec eux les profits du développement. Ils refusent de les compenser pour le génocide culturel et pour le saccage de leurs territoires et la destruction de leurs modes de vie.

Il est de bon ton pour nos nationalistes conservateurs, et pour de nombreux Québécois remplis de bonnes intentions, mais mal informés, de blâmer le fédéral et les Anglais pour l’ensemble des injustices commises à l’endroit des Autochtones. C’est ainsi que l’on entretient le mythe du bon Québécois en se référant à Champlain et aux coureurs des bois, des réalités disparues qui n’ont rien à voir avec le vécu autochtone depuis deux siècles. On excusera nos onze peuples originaires de ne pas adhérer à cette fabrication idéologique qui est complètement déconnectée de la réalité.

La vérité incontournable est que le Québec est coresponsable de l’oppression autochtone. Notre situation historique est complexe, car le peuple québécois est à la fois dominateur et dominé.  Pour changer la donne, les bons sentiments sont une condition nécessaire, mais insuffisante. L’oppression des nations autochtones a été depuis le début une affaire de pouvoir et de gros sous qui a foulé aux pieds les droits humains fondamentaux. Si l’argent et le pouvoir étaient anglais à l’origine, ils passent aujourd’hui par les lois du Québec.

 

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