Québec perd complétement le contrôle sur son immigration

2021/06/18 | Par Anne Michèle Meggs

Il y a un an exactement, en juin 2020, j’ai publié « Le système d’immigration est en train d’échapper complètement au contrôle du gouvernement du Québec ». Pourquoi ? Parce que le gouvernement canadien a pris dans les dernières années un virage précipité vers un système d’immigration à deux étapes – de temporaire à permanent – qui mine le contrôle, surtout sur l’immigration économique permanente, que le Québec avait obtenu, il y a trente ans, avec l’Accord Canada-Québec. Résultat : le 31 décembre 2019, il y avait quatre fois plus de personnes à statut temporaire au Québec que les 40 000 que le gouvernement avait admis cette année-là et qui constituaient une baisse de 20 % des admissions par rapport à 2018.

Je le répète. Le gouvernement du Québec a très peu de leviers pour influer sur les caractéristiques et le volume de l’immigration temporaire. Pourtant, l’immigration temporaire a été la trame de fond d’au moins trois sujets d’actualité au cours du dernier mois.

 

Les permis d’étude

Les permis d’études ont connu une croissance dramatique. L’éducation internationale est devenue la voie de prédilection vers l’immigration permanente. Après les études, le fédéral offre un permis de travail ouvert de trois ans aux personnes diplômées. Pendant et après les études, les conjointes et conjoints peuvent également obtenir des permis de travail ouverts.

Le 4 juin dernier, la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, a dévoilé les résultats d’une enquête visant les collèges privés non subventionnés. Un des constats était que « ces établissements ont des partenariats avec des firmes de recrutement dans le but d’attirer des étudiants étrangers dont l’intérêt principal n’est pas les études ». (italiques de l’auteure)

La ministre a l’intention de resserrer les règles encadrant ces collèges, notamment leurs pratiques douteuses de recrutement des étudiantes et étudiants étrangers. C’est très bien. Ce serait encore mieux si l’ensemble du phénomène de l’éducation internationale faisait l’objet d’un examen serré. Tous les établissements postsecondaires et même des commissions scolaires anglaises ont recours aux agences de recrutement. Il serait de mise d’encadrer l’ensemble des activités de ces agences et pas uniquement celles concernant les collèges privés non subventionnés. Il est essentiel de protéger ces jeunes et de les informer de leurs droits.

 

Les travailleurs saisonniers

À la fin mai, une autre manchette faisait référence aux « conditions insalubres dans lesquelles vivent les travailleurs étrangers à l’emploi des serres Demers ». Dans ce cas, le premier ministre Legault a indiqué lors d’une conférence de presse qu’il revient au gouvernement fédéral d’assurer les bonnes conditions de ces travailleurs étrangers. Ce n’est pas tout à fait exact. Les travailleuses et travailleurs agricoles, qu’ils soient saisonniers ou non, ont les mêmes droits que l’ensemble des travailleurs et sont couverts en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, peut-on lire sur le site du CNESST.

Deux ministres, celui du Travail, Jean Boulet, et celle de l’Immigration, Nadine Girault, ont affirmé, la semaine dernière, qu’il y a des négociations en cours avec le fédéral, à la demande du Québec, visant un plus grand rôle pour l’État québécois dans la gestion du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET). Notons que ces négociations sont en cours depuis le mandat de Simon Jolin-Barrette au ministère de l’Immigration. De toute évidence, elles n’avancent pas vite.

Il est clair que le gouvernement caquiste fait tout pour faciliter l’embauche de la main-d’œuvre étrangère « temporaire ». Mais le PTET est le plus petit programme d’immigration temporaire et le moins avantageux pour les personnes embauchées parce qu’il s’agit de permis qui lient les travailleuses et travailleurs à un seul employeur, créant le potentiel d’exploitation et d’abus. En principe, les conditions du programme prévoient l’obligation de la part de l’employeur d’obtenir une Évaluation d’impact sur le marché du travail, dont le but est de privilégier la main-d’œuvre locale. Mais des centaines de types d’emplois sont exclus de cette obligation.

 

La Réforme de la loi 101

Un troisième exemple où le spectre de l’immigration temporaire plane sur les ambitions du gouvernement est la réforme de la Charte de la langue française. Le projet met un accent important et justifié sur la langue du travail. Pourtant, il n’y a pas d’exigence linguistique liée aux permis de travail temporaires. Lisa-Marie Gervais a décrit récemment dans Le Devoir une initiative du gouvernement ayant pour objet l’élaboration d’un référentiel permettant de moduler les exigences langagières par métier ou profession pour l’immigration au Québec.

Pourtant, dans le même article, Véronique Proulx, présidente-directrice générale de l’organisme Manufacturiers et Exportateurs du Québec, est citée déclarant que « pour elle, l’exigence de la langue française ne sert pas du tout le secteur manufacturier ». Une avocate en immigration, basée à Thetford Mines, Krishna Gagné, renchérit : « Je n’ai jamais vu une entreprise qui me dit qu’elle ne va pas accepter un travailleur parce qu’il… ne parle pas français. C’est le dernier critère qui est pris en compte. »

Le projet de loi 96 prévoit une surveillance des exigences d’une autre langue que le français à l’embauche, mais va-t-on au moins exiger le français ? Va-t-on s’assurer que ces milieux de travail, ayant massivement recours à de la main-d’œuvre temporaire allophone, sont francisés ?

Cette croissance de l’immigration temporaire risque d’augmenter de façon importante le nombre de personnes ayant besoin de cours de français. Le gouvernement soutiendra que les mesures incluses dans le projet de loi 96 assureront la francisation de ces personnes. Permettez-moi de m’en douter. Il faut d’abord un intérêt. Les données les plus récentes (2016) démontrent que, même si le nombre d’adultes admis ne connaissant pas le français ne cesse de croître (de 11 077 en 2010 à 14 955 en 2013), le pourcentage d’entre eux inscrit dans un cours de francisation dans les deux ans suivant leur admission baisse (de 36,9 % en 2013 à 28,3 % en 2016).[1]

 

Une absence de planification

La planification pluriannuelle de l’immigration permanente a comme but avoué de déterminer le nombre de personnes à admettre en fonction de notre « capacité d’accueil ». L’exercice est loin d’être parfait, mais il ouvre le débat au public, aux chercheures et chercheurs et aux parties prenantes.

Il n’y a aucune planification de l’immigration temporaire. A-t-on tenu compte du taux d’inoccupation du logement locatif avant d’inviter en grand nombre les jeunes et leurs conjointes et conjoints à venir étudier, travailler et s’installer ici ? Ou du nombre de places dans les services de garde ? Les écoles ? Avons-nous la capacité et les mécanismes de suivi nécessaires pour les franciser ?

Le gouvernement exprime un intérêt pour contrôler le PTET, mais on n’entend rien concernant les programmes beaucoup plus importants d’études et de mobilité internationale (PMI), et c’est sans parler des demandeurs d’asile qui constituent un autre groupe important de main-d’œuvre essentielle en attente de permanence. Que ce soit l’éducation internationale, les politiques de travail et d’emploi, la langue commune, le développement régional, la culture, les politiques sociales ou les relations internationales, l’immigration temporaire sera toujours un enjeu. N’est-il pas temps que le gouvernement entreprenne une réflexion générale sur l’ensemble du dossier ?

 

[1] Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Rapport annuel de gestion 2015-2016.

 

Édition numérique de l'aut'journal  https://campaigns.milibris.com/campaign/608ad26fa81b6a5a00b6d9fb/