La croisade de MBC contre l’inquisition woke

2021/06/23 | Par Pierre Dubuc

Bien en vue à la librairie Renaud-Bray de la rue St-Denis à Montréal trône une oriflamme d’une vingtaine de pieds arborant la photo de Mathieu Bock-Côté avec ces mots : La Révolution racialiste. Essai sur l’inquisition woke.

Habituellement, un auto-collant « Coup de cœur » sur le livre suffit pour mousser les ventes. Mais la popularité du livre et de son auteur en France a sans doute contribué à convaincre le libraire d’en rajouter. Le livre n’est pas dénué d’intérêt. Loin de là. Tous les termes nouveaux des dernières années (diversité, racialisé, woke, décolonisation, safe place, fragilité blanche, cancel culture, antifa, etc.) sont analysés et ordonnés dans une théorie qui serait celle de la Révolution racialiste qu’il faut, selon MBC, « aborder comme un basculement dans l’histoire d’une civilisation ». Rien de moins.

Les révolutions ne surgissent pas sans raison dans l’Histoire. Les universités américaines ont beau être « le noyau idéologique du régime diversitaire » que la Révolution racialiste veut instaurer, les révolutions ont des substrats sociaux plus larges que des étudiants en « ethnic studies » américains. L’angoisse de MBC provient de la disponibilité présumée des sociétés occidentales à ce qu’il appelle « une reconfiguration de leur imaginaire autour de la question raciale » par une « mutation démographique sous la pression d’une immigration massive ».

Que les populations migrantes, dont les pays ont été dévastés par les guerres impérialistes ou les politiques de la Banque Mondiale et du FMI, posent la question de la décolonisation et obligent les pays occidentaux « à questionner leur mythes fondateurs » est une horreur sans nom pour MBC.

Déjà, le discours original de la décolonisation de l’après-guerre lui répugne. Ainsi, par exemple, la bataille de Diên Biên Phu est, à ses yeux, une défaite de la France et non une victoire de la lutte de libération nationale du peuple vietnamien. Il serait aussi erroné, selon lui, d’associer la lutte d’émancipation du peuple québécois dans les années 1960 au mouvement général de décolonisation de l’époque.

Le questionnement des « mythes fondateurs » est pourtant un phénomène sain et inévitable. Nous l’avons déjà fait en troquant, par exemple, Dollard des Ormeaux contre les Patriotes. Nous réexaminons actuellement nos relations avec les Autochtones. Une démarche historique qui ne ferait que glorifier notre passé ne serait pas une démarche historique.

 

Le rôle central des Afro-Américains

MBC a bien saisi qu’au cœur de sa Révolution racialiste se trouve le mouvement des Afro-Américains, comme en a témoigné la résonnance mondiale de la mort de George Floyd. En posant la question raciale, ce mouvement mettrait en procès les privilèges de l’homme blanc, mais prônerait également « l’abolition de la race blanche », nous alerte MBC.

Cette nouvelle irruption raciale aux États-Unis est incompréhensible pour MBC. La guerre civile américaine ne s’était-elle pas terminée, affirme-t-il, par une « réconciliation nationale accompagnée de la célébration des héros des deux camps » ? La révolution des droits civiques des années 1960 n’a-t-elle pas permis « l’intégration des Noirs dans la nation américaine ? »

De quelle « réconciliation nationale » parle-t-il ? Un rappel historique s’impose. Au lendemain de la proclamation d’émancipation des Noirs de Lincoln en 1863 s’ouvre une période connue sous le nom de « Reconstruction ». Dans les anciens États esclavagistes, les Noirs affranchis participent activement à la vie politique. Ils élisent leurs représentants aux différentes instances de pouvoir. Seize d’entre eux sont même élus au Congrès à Washington avec un programme pour l’éducation publique, l’égalité des droits, la redistribution des terres et l’interdiction du Ku Klux Klan.

Le président Andrew Johnson, qui succède à Lincoln, est réfractaire à ces idées. Mais le véritable tournant a lieu avec le Compromis de 1877, connu aussi sous le nom de « La grande trahison ».  Après une élection présidentielle qui ne fait pas de gagnant entre le démocrate Samuel Jones Tiden et le républicain Rutherford Hayes, les démocrates acceptent de reconnaître la victoire de Hayes à la condition que les troupes fédérales soient retirées des anciens États confédérés, laissant ainsi le champ libre aux revanchards sudistes, au Klan et à l’instauration d’un régime de terreur et de ségrégation raciale. Les troupes fédérales seront redirigées vers la conquête de l’Ouest et l’extermination des peuples autochtones.

Quant à « l’intégration des Noirs dans la société américaine » célébrée par MBC, un récent dossier du magazine The Economist (22-28 mai 2021) soutient que la ségrégation entre les Blancs et les Noirs est aussi présente aujourd’hui qu’au moment de la lutte pour les droits civiques.  Voilà des faits historiques et des données socio-économiques qui « échappent » à MBC.

 

La petite loterie

Une révolution a pour objectif de renverser une classe dirigeante ou de chasser une puissance étrangère. Mais, dans le cas de sa Révolution racialiste, MBC constate que « le milieu de l’entreprise privée, loin d’y résister, s’en fait le vecteur, en assure la publicité, comme s’il s’agissait d’une image de marque ».  Même le New York Times a lancé en 2019 son « projet 1619 » – année de l’arrivée des premiers esclaves aux États-Unis – qu’il veut placer au centre même du « récit national » américain, déplore MBC.

La réaction de la classe dirigeante américaine est du « déjà vu ». C’est, pour l’instant, la carotte du duo bâton-carotte. Elle essaie de neutraliser le message au moyen de symboles (plus de Noirs dans les publicités télévisées) et de contrer le mouvement en cooptant un certain nombre de leaders noirs. La Maison-Blanche multiplie les subventions pour les entrepreneurs noirs. Le Canada fait de même.

Cette petite loterie trouve toujours preneur. Nous avons connu les George-Étienne Cartier et le « French Power » à Ottawa. Aujourd’hui, un « Black Power » du même acabit est en gestation dans la capitale fédérale. En condamnant l’ouvrage de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, certains leaders autoproclamés de la communauté noire ont voulu signifier à la classe dirigeante que leur lutte n’avait rien à voir avec celle des Black Panthers, qui avaient invité Vallières à prononcer le discours de clôture à la conférence internationale Hemispheric Conference to Defeat American Imperialism, qui s’est tenue à Montréal le 29 novembre 1968. D’autres ont comparé la loi 21 sur la laïcité à l’infâme Loi sur les Indiens. Le message a été reçu 5 sur 5. Ils commentent aujourd’hui l’actualité à la télévision de Radio-Canada.

 

Une même lutte de libération nationale

Il y aurait encore beaucoup à dire sur la soi-disant Révolution racialiste de MBC. Sur son succès dans les cercles de la droite et de l’extrême-droite françaises. Sur l’absence de la distinction fondamentale entre les nations oppressives (la France) et les nations opprimées (le Québec) chez MBC. Sur le rôle des GAFAM dans la quête subite d’identité et la fragilité mentale du woke.

Il y a tout autant à dire d’une certaine gauche incapable d’assumer le double statut du Québec, comme le reflète bien cet extrait d’un texte signé par 280 personnes provenant de différents cégeps et universités paru dans Le Devoir en février 2020 : « Désigner les Québécois(e)s comme des victimes d’une subordination face à l’État canadien occulte le fait qu’en 2020, notre rôle est bien davantage celui de l’oppresseur, tant envers les communautés autochtones et les personnes issues de l’immigration qu’envers les personnes afrodescendantes. »

Vallières, les Black Panthers et les 1500 délégués de toutes les régions des Amériques présents à la Conférence de Montréal de 1968 avaient, eux, compris l’importance d’unir les luttes de libération nationale et sociale dans un même front commun contre l’impérialisme. Leur exemple devrait nous inspirer.

 

Édition numérique de l'aut'journal  https://campaigns.milibris.com/campaign/608ad26fa81b6a5a00b6d9fb/