Les vraies raisons de l’abandon de GNL Québec

2021/08/16 | Par Pierre Dubuc

Le gouvernement Legault a enrobé de belles déclarations environnementales sa décision de renier son soutien passé au projet de GNL Québec, responsable du projet d’exportation de gaz naturel liquéfié à Saguenay. Mais le véritable motif de cette décision est plutôt de nature économique.

Le projet avait pour objectif d’acheminer le gaz naturel de l’Alberta vers l’Allemagne. Une entente non contraignante avait d’ailleurs été signée avec l’entreprise belge Fluxys pour la construction d’un terminal à Hambourg dans le nord de l’Allemagne.

L’Allemagne est la plus grande importatrice de gaz naturel en Europe et la moitié de son gaz naturel provient de Russie. La société russe Gazprom vise à doubler ses exportations avec le nouveau gazoduc Nord Stream II, dont la construction est à 94 % terminée.

Les menaces de l’administration Trump

L’administration Trump s’opposait fermement à Nord Stream II et menaçait de sanctions les entreprises qui auraient œuvré à compléter les travaux du gazoduc. L’objectif américain était double. Premièrement, s’assurer que le flux du gaz naturel russe vers l’Europe emprunte toujours les oléoducs qui traversent l’Ukraine. Deuxièmement, ouvrir le marché allemand du gaz naturel aux entreprises américaines de gaz liquéfié. À noter que GNL Québec était contrôlé par des intérêts américains.

Nord Stream II constituait une sérieuse pomme de discorde entre les États-Unis et l’Allemagne. Dans ses Mémoires, The Room Where It Happened (Simon and Schuster), John Bolton, le conseiller à la Sécurité nationale dans l’administration Trump, raconte à de nombreuses reprises l’importance qu’accordait Donald Trump à l’interruption de ce projet et l’ampleur des pressions exercées par le président américain sur les dirigeants européens et plus particulièrement Mme Merkel, les menaçant même, si le projet n’était pas abandonné, de sortir de l’OTAN ! « Pourquoi payer pour la défense de l’Allemagne, alors que celle-ci ne consacre même pas 2 % de son budget aux dépenses militaires et va envoyer des milliards d’euros à Poutine en échange de son gaz ? »

Même si Démocrates et Républicains ont fait cause commune au Congrès pour l’application de sanctions aux entreprises impliquées dans la construction de cet oléoduc, Joe Biden en a décidé autrement et a laissé tomber la menace de sanctions.

En échange, selon The Economist (17 juillet 2021), Mme Merkel se serait engagée au nom du gouvernement allemand à fermer le gazoduc Nord Stream II si la Russie interrompait le transit du gaz naturel à travers l’Ukraine, qui perdrait ainsi d’importants revenus de droit de passage. Mme Merkel se serait aussi montrée ouverte à participer au financement de la Three Seas Initiative, un projet de modernisation des infrastructures pour accueillir du gaz naturel liquéfié américain dans douze pays de l’Est européen.

Les motifs d’un revirement

Le nouveau secrétaire d’État américain Antony J. Blinken n’est sans doute pas étranger à ce changement de cap de la politique américaine. En 1987, il publiait un ouvrage – Ally versus Ally (Greenwood Press) – portant sur l’Amérique, l’Europe et la crise du gazoduc sibérien.

Rappelons les faits analysés par Blinken. Au début des années 1980, la France et l’Allemagne négocient avec Moscou le doublement de la fourniture de gaz soviétique à l’Europe depuis un gisement en Sibérie. Le président américain Ronald Reagan redoute alors la dépendance européenne vis-à-vis de « l’empire du mal ». En décembre 1981, prenant prétexte de l’instauration de la loi martiale en Pologne, alors membre du Pacte de Varsovie, Washington prend des sanctions extraterritoriales contre l’URSS qui frappent durement les sociétés européennes impliquées dans le gazoduc. Mais l’Europe tient tête et Reagan reculera.

J. Blinken en a tiré, dans son livre, la leçon suivante : « La Maison-Blanche a eu tort de risquer de sacrifier la relation avec ses alliés européens à sa stratégie de pression maximale sur Moscou. C’est l’unité de l’Alliance qui aurait dû prévaloir ».

Aujourd’hui, l’Allemagne est un joueur encore plus important pour les États-Unis de Biden dans le cadre de son plan stratégique visant à bâtir une coalition face à la Chine. L’Allemagne est le principal partenaire commercial de la Chine avec des échanges de biens d’une valeur de 243 milliards $ l’an dernier. Volkswagen vend plus de 40 % de ses voitures en Chine.

Il y avait plein de bonnes raisons écologiques et économiques au Québec pour justifier l’opposition à GNL Québec. Mais la vraie décision s’est prise à Berlin. Avec la construction de Nord Stream II, le projet n’était plus rentable. Ses promoteurs l’ont bien compris, ce qui explique la timidité de leur réaction. Ils avaient devant les yeux l’exemple de la Lituanie. Lorsque ce pays s’est doté en 2014 de son premier terminal d’importation de gaz liquéfié, Gazprom a coupé de 25 % le prix du gaz naturel vendu à la Lituanie.

 

Édition numérique de l'aut'journal  https://campaigns.milibris.com/campaign/608ad26fa81b6a5a00b6d9fb/