Assez robergé

2021/08/20 | Par Josiane Cossette

Conceptrice-rédactrice et citoyenne engagée, l’autrice est présidente du conseil d’établissement d’une école primaire. Elle a aussi enseigné la littérature au collégial et collabore à la revue Lettres québécoises.

Sourire au visage, d’un enthousiasme ahurissant, Jean-François Roberge nous a présenté mercredi midi sa mise à jour du plan sur la rentrée scolaire. « Un grand travail d’équipe », le résultat d’une « grande consultation ». Eh bien ! Chez de nombreux parents et enseignant(e)s, particulièrement du niveau primaire, c’est plutôt une flambée d’inquiétude qui précède la flambée (si prévisible !) des cas.

Le 11 août 2020, le Québec enregistrait 95 nouveaux cas et un décès. Cette année à pareille date, on en était à 365 nouveaux cas et un décès, alors que le variant Delta constituait déjà 30 % des transmissions ; on prévoit que ce taux sera de 50 % dans quelques semaines. Il faudrait jouer très fort à l’autruche pour penser que la quatrième vague restera à nos portes sans oser entrer.

À l’instar des plans pour les établissements collégiaux et universitaires, le plan de la rentrée au secondaire s’avère discutable. Pas de masque en classe, pas de bulle-classe (bonjour les dîners en groupe à la cafétéria), pas de demi-groupes, relance du parascolaire avec passeport vaccinal requis pour certaines activités ; on mise vraiment tout sur la vaccination, malgré la ventilation déficiente et certaines variables encore inconnues. Le fait d’être doublement vacciné empêche-t-il le développement de la COVID longue durée si l’on attrape le virus, le vaccin ne protégeant que des formes graves de la maladie ? De 10 à 30 % des personnes atteintes de la COVID, même dans les formes légères qui ne requièrent pas d’hospitalisation, seront touchées par la forme longue qui hypothéquera lourdement leur vie — y compris celle des jeunes.

Mais ce même plan, lorsqu’appliqué au primaire, est encore plus aberrant, voire affolant. Car à l’absence de masques, de bulles-classes, de procédures particulières au service de garde, de ventilation adéquate et de capteurs de CO2 pendant une grande partie de l’automne, il faut ajouter une variable cruciale : le taux de vaccination qui avoisinera les 0 %, la très grande majorité des élèves du primaire ayant onze ans ou moins. Recette parfaite pour une catastrophe annoncée ?

Un honteux mensonge

C’est qu’on n’apprend pas, quand on vit dans un pays peuplé de licornes, où l’on attend d’avoir le nez dans le fumier, aussi multicolore soit-il, pour agir. « Nos écoles sont des milieux de vie qui sont sains et sécuritaires », a déclaré le ministre Roberge. Un honteux mensonge qu’il semblait croire lui-même, alors qu’il sait très bien que seuls 44 % des immeubles sont dans un état acceptable au Centre de services scolaire de Montréal ! On ne parle pas d’écoles flambant neuves conçues par un trio de vedettes du LAB-École, mais bien d’écoles qui ont pour seuls mérites de n’être pas vétustes, d’être libres de moisissures, d’amiante et de plomb, et pourvues d’un système électrique qui ne flanche pas quand on part deux micro-ondes en même temps.

La méthode scientifique échapperait-elle à monsieur Roberge ? Ne sait-il pas qu’en reproduisant une expérience avec les mêmes ingrédients que l’an dernier, il obtiendra les mêmes résultats ? En décembre 2020, juste avant les Fêtes, notre école primaire a vécu une grosse éclosion, malgré le scrupuleux respect des règles sanitaires alors en vigueur qui impliquaient des bulles-classes étanches. Tout cela n’a pas empêché 87 personnes d’être contaminées (sans compter les parents et fratries) ! Le virus s’est répandu comme une traînée de poudre alors qu’il était plusieurs fois moins contagieux que le variant Delta qui circule aujourd’hui.

Pourquoi n’arborons-nous pas toutes les armures que nous avons en notre possession ? On sait que le variant Delta sera dominant. On sait que le fait d’être vacciné n’empêche pas entièrement de l’attraper ni de le transmettre. On sait qu’il envoie plus d’enfants à l’hôpital, et que les anticorps neutralisants des enfants ayant eu la COVID déclinent vite quatre mois plus tard. Les miens, qui ont eu la « chance » d’attraper le virus en décembre dernier, pourraient donc le contracter de nouveau (yé !). Dans une forme plus grave (formidable !). Mon plus jeune est bronchite-asthmatique (jackpot !). Mais bon, tout comme la COVID longue durée, ce doit faire partie de « la balance des inconvénients » qu’a évoquée Roberge en réponse à un journaliste qui remettait en question ce « retour à la normalité » dans un contexte qui n’est manifestement pas sécuritaire.

« Un virus plusieurs fois plus contagieux que celui de septembre 2020 qui rentre dans un groupe de personnes 0 % vaccinées va très probablement se répandre assez rapidement. Voilà pourquoi ça prend une solide approche, tenant compte de la transmission aérienne, surtout au primaire », a tweeté Alain Vadeboncœur, que le gouvernement gagnerait à écouter davantage. Qu’est-ce qui est le plus facile à gérer ? Le port du masque en classe (auquel les jeunes s’étaient pour la plupart habitués) ou la valse des fermetures de classes-tests de dépistage-isolements prolongés-école à distance, possiblement doublée d’une hausse des hospitalisations et du jeu dangereux des délestages ? Et on trace comment ? Et les élèves immunodéprimés, on en fait quoi ? On leur dit de manger de la brioche ? Les écoles primaires sont un important vecteur de transmission communautaire. Après dix-huit mois de pandémie, avec un variant extrêmement contagieux, il est irresponsable de ne pas en tenir compte.

Au nombre de fois où l’on nous a répété « pour le moment » en conférence de presse cette semaine, autant pour le passeport vaccinal que pour cette mise à jour sur la rentrée, espérons que ce plan qui relègue le masque aux déplacements en milieu scolaire s’inscrive dans une stratégie qui vise à attiser le sentiment d’urgence face à la vaccination. Et que, d’ici la rentrée, on nous annonce que le port du masque sera requis en classe, minimalement au primaire, surtout en l’absence de capteurs de CO2 qui attestent (ou non) que chaque local d’enseignement est sécuritaire. Assez « robergé ».

 

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