Parler au nom des travailleuses et des travailleurs

2021/08/31 | Par Pierre Dubuc

Elle vient d’être élue à la tête de la CSN, mais elle sait déjà comment elle aimerait que les travailleuses et les travailleurs se souviennent d’elle au terme de sa présidence : « Elle parlait pour nous autres ». Quand je lui signale que c’est exactement ce que disait ma mère de Michel Chartrand, lorsqu’il présidait les destinées du Conseil central de Montréal dans les années 1970, elle sourit. « Je n’ai pas la même verve, mais je peux aussi pousser un sacre à l’occasion. »

Détentrice d’un bac en littérature française, Caroline Senneville a enseigné au cégep Limoilou. Présidente de son syndicat local pendant quatre ans, elle a passé par la suite seize ans à l’exécutif de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ-CSN), dont cinq à la présidence, avant d’être élue à la vice-présidence de la CSN en 2017. Elle vient d’être élue à la présidence de la Centrale en remplacement de Jacques Létourneau.

Pour être en mesure de parler des travailleuses et des travailleurs, il faut les fréquenter, les côtoyer et les écouter. « C’est le défi personnel que je me suis fixé en accédant à la présidence. Je veux être sur le terrain, que les membres me parlent de leur travail, qu’ils me disent comment on peut l’améliorer. Aussi, quand je m’adresserai en leur nom au public, je pourrai décrire leurs conditions de travail, donner des exemples concrets. »

Cela nous amène au conflit chez Olymel, où les médias accordent plus d’importance à la santé des porcs qu’à celle des travailleurs. « J’invite les journalistes à venir passer ne serait-ce qu’une heure dans l’abattoir. Ils verront que c’est un travail extrêmement pénible : le froid, les odeurs, les objets tranchants, les cadences, les éclosions de la COVID… et un patron qui a exigé des baisses de salaire au cours des dernières années. »
 

La COVID

Lorsque je lui demande quels sont les principaux défis auxquels doit actuellement faire face la CSN, le sujet s’impose de lui-même : la COVID. « Nos membres ont été frappés très durement par la pandémie. Certains ont perdu leur emploi. D’autres, dans les services essentiels, entraient au travail la peur au ventre. Et le télétravail est devenu le lot d’un grand nombre. »

Au moment de notre entrevue, nous étions à quelques jours de la commission parlementaire sur le vaccin obligatoire. Quelle position sa Centrale va-t-elle y défendre? « Nous sommes pour la vaccination. Mais qu’est-ce qui arrive si quelqu’un refuse d’être vacciné? Le droit au travail est un droit fondamental que nous devons défendre. » Et qu’en est-il du passeport sanitaire? « Ce n’est pas du même ordre. Ce n’est pas un droit que d’aller au restaurant, au gym. Nous n’avons pas de position actuellement là-dessus. »

Caroline tient à saluer la décision du gouvernement de tenir une commission parlementaire sur la vaccination. « La crise est là, nous sommes en état d’urgence, mais la démocratie ne doit pas disparaître pour autant. » Le gouvernement devrait-il lever l’état d’urgence ? « Ce n’est pas à nous de le décider. Je reconnais que la situation n’est pas facile à gérer pour le gouvernement, mais il n’est pas nécessaire que toutes les activités tombent sous l’égide de l’état d’urgence. Il faut des balises. Mais, surtout, il faut mettre les gens dans le coup. »

Parmi les personnels les plus touchés par la pandémie, il y a les employées de l’hôtellerie dont bon nombre sont représentés par la CSN et dont le mouvement de grève prend actuellement de l’ampleur. « Je ne comprends pas les employeurs, déclare la présidente de la CSN. D’une part, ils se plaignent de faire face à une pénurie de main-d’œuvre, mais de l’autre il est difficile de leur faire reconnaitre l’importance de clauses de protection du lien d’emploi, qui permettent, par exemple, une réintégration du personnel licencié depuis le début de la pandémie. »

Le télétravail représente un nouveau défi pour le mouvement syndical. « Je compare cela au micro-ondes. Nous étions surpris – et certains méfiants – lorsque c’est arrivé sur le marché. Mais, aujourd’hui, on ne peut plus s’en passer. La productivité est là, mais l’être humain est un animal social. La créativité résulte souvent d’interactions personnelles. » Les réactions varient donc. « Certains aiment, d’autres pas, constate-t-elle. Dans l’enseignement, c’est certainement Non. Il faut que ça demeure un plan B. ». 

« Chose certaine, le télétravail va exiger des modifications aux conventions collectives et aux lois. Il y a les coûts des ordis, du branchement, des modifications à apporter à la loi sur la santé-sécurité au travail. Il y a aussi des dangers de recours à la sous-traitance ou de délocalisation. Une entreprise de Montréal peut recourir à un traducteur à St-Anne-des-Monts, mais aussi dans un autre pays », souligne-t-elle.
 

Les négos du secteur public

Caroline Senneville avait la responsabilité des négociations du secteur public. « Nos ententes de principe dans le domaine de la santé ont été entérinées très majoritairement par nos membres. Dans l’éducation, les assemblées générales doivent se tenir au mois de septembre. Je suis particulièrement fière d’avoir obtenu de meilleures augmentations pour les bas salariés. Avec des augmentations uniformes, les écarts se creusaient entre hauts et bas salariés. Au terme de ces négos, 75 % de nos membres auront plus que 2 % d’augmentation annuellement parce que la CSN représente plusieurs bas salariés. » Caroline ne manque pas de souligner qu’il reste à négocier les conventions collectives des personnels de l’aide juridique, des traversiers et de la Commission des droits de la personne.

Ces négos ont eu lieu en l’absence d’un front commun des centrales syndicales. Qu’est-ce que cela présage pour l’avenir? « Cela fera partie du bilan. On n’exclut rien pour l’avenir. Avec la pandémie, la situation était particulière. Mais les lignes de communication sont restées ouvertes entre les centrales. Il n’y a pas eu de chicane. Nous avons même tenu quelques actions intersyndicales ».

Au nombre des autres dossiers sur la table de la présidente, il y a l’appropriation des nouvelles lois qui résulteront de la révision en cours de la loi sur santé-sécurité au travail. « C’est une loi vieille de 40 ans. Elle avait besoin d’être dépoussiérée. Le monde a changé. La loi, par exemple, était muette sur la prévention en santé mentale, les burn-out, la surcharge de travail. Il faudra s’approprier ces nouvelles dispositions et former nos membres ».

Un autre dossier d’actualité est la lutte contre le racisme. Elle me renvoie au congrès du mois de janvier dernier où, entre autres résolutions, il est stipulé que la Centrale « favorise le développement d'indicateurs numériques pour assurer un suivi de la progression des personnes racisées et autochtones, dans les instances syndicales ».

« Il y a un formidable travail d’intégration des travailleurs nouvellement arrivés. D’une part, les milieux de travail ne sont pas exemptés de racisme. D’autre part, certains travailleurs sont méfiants à l’égard des syndicats. Ils ont eu une mauvaise expérience dans leur pays d’origine avec des syndicats progouvernementaux ou propatronaux corrompus. »
 

Les élections

On ne pouvait évidemment pas mettre un terme à l’entrevue sans parler de l’élection fédérale et des candidatures libérales de deux élues de la CSN, Pascale St-Onge et Ann Gingras. Caroline ajoute celle de Jacques Létourneau à la mairie de Longueuil. « J’ai beaucoup de respect pour les gens qui sollicitent un mandat public. Je trouve sain qu’on retrouve au sein des partis politiques des gens qui ne viennent pas seulement des milieux patronaux. »

Mais, nous rappelle-t-elle, les statuts de la CSN interdisent à la Centrale de se prononcer pour un parti politique. « Cependant, nous mettons nos revendications de l’avant. Dans le cas de l’élection fédérale, nous demandons une bonification de l’assurance médicaments; nous sommes le deuxième endroit au monde où les médicaments sont les plus chers. Nous voulons aussi une refonte de l’assurance-emploi; ce n’est pas normal que 40 % des gens qui cotisent ont droit à des prestations. »

La Centrale veut aussi intervenir sur la crise climatique. « Il ne peut pas y avoir d’économie saine dans un environnement malsain. Il faut des politiques à long terme et non pas en fonction des états financiers trimestriels des actionnaires. Les syndicats ont leur mot à dire sur cette question. »

Nous aurions aussi pu parler du centenaire de la CSN qui sera célébré cette année, mais le temps nous a manqué. Nous y reviendrons.

 

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