Le mythe de la Nouvelle-France

2021/09/01 | Par André Binette

Je ne déteste pas votre réplique, qui a des éléments de vérité. Vous ne paraissez pas contredire les faits que j’ai mentionnés. Vous êtes plutôt en désaccord avec mon approche générale, que  j’assume entièrement.

Votre texte contient quelques faussetés. Je crois qu’il faut étendre le modèle de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois à la quasi-totalité du Québec, là où cinq nations, qui ne comprennent pas les Mohawks, n’ont pas cédé leurs droits ancestraux.

Le personnage de Champlain est pour moi remarquable, mais unique dans notre histoire. Ses écrits et ses actes témoignent aussi d’un penchant colonisateur; il se mêlait par exemple d’imposer un chef aux Innus. Je crois, comme Montaigne et Henri IV dont il était peut-être le fils naturel, qu’il était un humaniste et un visionnaire qui avait troqué le protestantisme pour le catholicisme, mais que le fanatisme des guerres de religion dans la France de sa jeunesse horrifiait. Tous trois étaient issus des environs de Bordeaux au sud-ouest, une région protestante qui acceptait mieux la diversité, mais qui était aussi un haut lieu de la traite des Noirs. Leur sagesse n’a pas duré. Vous avez raison de voir en Champlain un modèle de tolérance dans le contexte colonial de son époque.

Mon propos est de révéler une vérité occultée par le nationalisme traditionnel au Québec : la contribution importante du Québec au racisme systémique canadien, ce sur quoi je ne céderai pas d’un millimètre. Je ne veux nullement affaiblir notre identité nationale, mais la renforcer au moyen de la décolonisation, qui ne se fera toutefois pas sous le gouvernement actuel qui y est farouchement opposé. Rassurez-vous, elle n’aura pas lieu à court terme mais elle se fera. Le Québec a été la dernière province à se donner une charte des droits, mais la culture politique a changé et nous sommes fiers à juste titre de la nôtre aujourd’hui, qui est à mon avis la meilleure. Vous faites partie de la dernière génération qui ne prend pas les droits autochtones au sérieux.

Ma définition de notre nation comprend toutes les minorités, sauf les nations autochtones. Elle est donc, par essence sociologique, multiculturelle même si le discours officiel actuel ne veut pas l’admettre. Comme le Canada, le Québec est non seulement multiculturel, mais multinational. Il a donc lui aussi le défi de la coexistence et de la diversité profonde, qui est, avec la crise climatique, l’un des deux grands problèmes universels du 21e siècle. Le Québec doit non seulement se comporter de manière morale, mais il doit se donner l’ambition d’être un exemple positif pour l’humanité là où le Canada a échoué malgré des efforts superficiels et contradictoires. C’est la meilleure justification de l’indépendance.

Les nations autochtones ne sont pas des minorités parce qu’elles ont des droits sur le territoire qu’elles partagent avec la nation québécoise. Ces droits s’accentuent et sont mieux définis avec le temps. Cette tendance lourde est à mon avis irréversible. L’Assemblée nationale l’a endossée par la résolution de reconnaissance de ces nations et de leurs droits que René Lévesque a fait adopter deux mois avant son départ en 1985. Cette résolution demeure avant-gardiste à plus d’un titre et est un l’un des éléments les plus importants de l’héritage de Lévesque, que je sais que vous admirez comme moi. Si vous êtes en désaccord avec cette partie de son héritage, ayez la franchise de le dire ouvertement. Je suis fermement d’avis que plusieurs nationalistes conservateurs le pensent mais n’ont pas le courage de le dire. Leur vision ethnocentrique de la nation est complètement dépassée et tombera dans les rebuts de notre histoire commune. Je crois, non pas malgré cela mais à cause de cela, au renforcement de notre langue et de la laïcité.

Quant aux enragés qui suffoquent en me lisant et qui envoient des messages colériques à l’aut’journal, je dis ceci : la haine des petits esprits a toujours confirmé les vérités qui tardaient à être dites.

Je prends un grand plaisir au combat des idées, mais les attaques personnelles n’auront que le mépris qu’elles méritent.
 

Poursuite des échanges

Roméo Bouchard : Je vous signale que dans le manifeste qui conclut mon livre sur Le rêve de Champlain, de Papineau et de Lévesque, nous envisageons le Québec comme une sorte d'État plurinational, dans lequel les Premières nations sont des nations autonomes qui s'autogouvernent  et avec lesquelles l'État québécois négocie les règles de partage de l'usage du territoire et de cohabitation, de même que le partage éventuel de services, comme les services de santé et d'éducation,  à l'exemple des ententes de la Baie-James et du Nunavik. Ce nationalisme n'a plus rien à faire avec le nationalisme ethnique et le souverainisme référendaire et partisan du PQ: il se fonde d'abord et en tout sur la souveraineté du peuple et son pouvoir constituant.

Je vous signale aussi que les Patriotes, en général, préconisaient aussi cette alliance de nations égales avec les nations autochtones. C'est une constante qui va de Champlain à Papineau à René Lévesque, avec bien sûr tous les compromis volontaires ou involontaires de parcours, comme les pensionnats.

Je crois juste qu'il est important de ne pas monter les Québécois contre les Autochtones et les Autochtones contre les Québécois: nous sommes faits pour nous entendre plus que partout ailleurs, car très tôt, les premiers Canadiens et ceux qui ont suivi se sont clairement écartés des visées et de la culture colonialiste de la France dans leur  vie quotidienne et leurs contacts avec les Indiens, et sous le régime anglais, ils ont eux-mêmes été victimes du colonialisme grossier des Britanniques, bien qu'une certaine élite réformiste se soit collée à l'occupant pour tenter d'en tirer profit personnel. La question autochtone est unique au Québec et il faut éviter de l'accoler au révisionnisme historique à la mode en ce moment, en provenance le plus souvent des milieux anglophones. Le multiculturalisme diversitaire et racialiste, qui ramène tout aux races et au colonialisme, n'a que peu à faire avec le type de citoyenneté et de démocratie égalitaire profondément ancré au Québec.

André Binette : Excellente réponse. Nos visions ne sont pas si éloignées.
 

Édition numérique de l'aut'journal  https://campaigns.milibris.com/campaign/608ad26fa81b6a5a00b6d9fb/