Leçon de l’Afghanistan : la guerre ne crée pas la paix

2021/09/08 | Par André Jacob

Depuis des siècles, on recherche la paix en faisant des guerres.

Les conflits presque perpétuels en Afghanistan ne présentent de nouvelles perspectives pour la paix. Au-delà des considérations liées à l’actualité, regardons les débats au sujet de la crise en Afghanistan avec un regard un peu philosophique.
 

Un chaos violent planifié de longue date.

Dans le cas de l’Afghanistan, rappelons que les pays occidentaux, les États-Unis en tête, ont contribué à faire naître ce chaos depuis quelques décennies déjà, comme en Iran d’ailleurs. Il faut remonter à la « guerre froide » ou la lutte constante contre la Russie, grand producteur de pétrole, pays qui en alimente une bonne partie de l’Europe, pour en saisir les fondements. À l’époque de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), l’Occident, toujours inspiré par les vérités antisocialistes obsessionnelles du sénateur américain Joseph McCarthy (penseur de la peur rouge) poursuivait sa guerre anticommuniste virale sur toute la planète; il fallait réduire toute forme d’influence de l’URSS dans le monde. Même si l’URSS n’existe plus comme tel, l’acharnement anti-Russie prévaut encore aujourd’hui; le conflit en Afghanistan s’inscrit dans cette logique passéiste.

Dans un article percutant intitulé Question more,* John Pilger rappelle qu’en 1978 l’Afghanistan avait conquis sa liberté en élisant un gouvernement socialiste porté par le Parti démocratique du peuple (PDP); le renversement de la dictature de Mohamed Daub a surpris les gouvernements américains et britanniques qui perdaient ainsi un collaborateur et ils ont vite mis en œuvre des stratégies pour déstabiliser le nouveau gouvernement soutenu par l’URSS. Le nouveau gouvernement tentait de mettre en place un système d’éducation accessible à tous et à toutes, la promotion de la présence active des femmes dans la société et des services de santé publics basés sur l’établissement de politiques sociales plus justes. À titre d’exemple, à la fin des années 80, les femmes étaient très présentes dans les universités, particulièrement dans les facultés de médecine et d’éducation. Pour l’Occident, ce gouvernement représentait son talon d’Achille dans sa « gestion » de la région. Le gouvernement de Jimmy Carter a entrepris alors de financer largement des stratégies de déstabilisation du gouvernement progressiste de l’Afghanistan. L’URSS a réagi et a maintenu son soutien au gouvernement de l’époque alors que les États-Unis ont financé et armé les Moudjahidines, lesquels ont fini par provoquer la défaite du gouvernement. Du coup, les acquis progressistes ont disparu sous la férule des talibans et des seigneurs de la guerre qui ont pu établir leur dictature et préserver leurs privilèges découlant du trafic de l’opium et des armes.

Cette dictature talibane fortement imprégnée d’un sunnisme ultra-conservateur appuyé par l’Arabie Saoudite s’est retournée contre l’Amérique. Les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Centre de New York ont été le prétexte pour que les États-Unis décident de détruire le gouvernement taliban. Le gouvernement de Georges W. Bush, avec l’appui du gouvernement britannique dirigé par Tony Blair, a réagi avec autant d’arrogance que de violence et a envahi l’Afghanistan, l’Irak et la Libye, avec la prétention de libérer les peuples de dictatures en leur offrant le cadeau empoisonné de la démocratie à la manière américaine appliquée par des dirigeants locaux manipulés comme des marionnettes. Depuis, l’Afghanistan et les autres pays ruinés par les guerres vivent le chaos, les inégalités croissantes et le recul des droits des femmes, des enfants et des minorités ethniques et religieuses. On connaît la suite, aujourd’hui, les talibans reviennent en force et imposent leur loi et leur credo.

Le départ des États-Unis et de leurs alliés de l’Afghanistan représente un échec retentissant et l’abandon d’un champ de ruine sur tous les plans sans que l’on puisse identifier clairement des acquis démocratiques ni de paix à l’horizon.
 

L’histoire semble se répéter.

Parmi les tribus primitives, on se battait pour voler le butin (nourriture, outils et même des êtres humains pour en faire des esclaves). Notre monde a grandement besoin d’un appel à la sagesse. Les dirigeant.e.s contemporains des pays devraient adopter comme principe que la recherche de la justice sociale devrait être le principe moteur derrière toutes les décisions qui affectent les habitants de la planète. C’est un truisme élémentaire, pourrait-on dire, mais ça ne va pas de soi. J’entends déjà les hauts cris des promoteurs de guerres, au nom des dogmes imposés dans les sociétés de consommation dites civilisatrices, répéter ad nauseam qu’il s’agit là d’ouvrir la porte au socialisme; ce concept qui heurte tellement les convictions profondes des puissances occidentales. Ces pays riches, imbus de leur supériorité, forment un club des décideurs qui croient détenir la vérité des choses du monde; le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni), constitue un puissant levier d’influence sur les affaires du monde en détenant 45 % des richesses du monde. Est-ce possible que sept pays détiennent pratiquement la moitié du monde entre leurs mains ? Il y a de quoi avoir le vertige quand on réalise que le reste de la population mondiale n’est pas ou très peu représenté là où se dessinent les grandes orientations du monde, les guerres et la paix.

Pour protéger leurs intérêts, ils entretiennent une mentalité guerrière fondée sur l’illusion de « croire » que l’on est du côté du bien et de la vérité pour justifier les actions et les exactions qui font partie d’une manière intrinsèque des conflits savamment entretenus. Les talibans croient aussi qu’ils se situent du côté du bien alors que les Américains et leurs alliés justifient leurs interventions en vertu de leurs croyances en leur type de démocratie et en la supériorité de leur système économico-militaire. Nous voilà donc devant une dynamique manichéenne. En somme, il est légitime de nous demander si le monde reste captif des anciennes dynamiques guerrières brutales comme lors des éternelles guerres de religions (Croisés contre Sarrazins ou catholiques contre cathares et Huguenots comme au Moyen-Âge) ? Ou encore, l’Occident est-il condamné à répéter l’histoire des conquêtes colonialistes guerrières ?
 

Bâtir la paix exige d’autres perspectives que celles qui mènent à l’échec et à l’injustice.

Dans un monde idéal, la recherche de la justice sociale, de l’égalité entre les peuples et de leur autodétermination devrait remplacer les jeux d’intérêts politiques, économiques et culturels des pouvoirs dominants qui engendrent les guerres colonialistes d’invasion et de domination. Utopie, dira-t-on. Le néocolonialisme de type capitaliste prédateur des ressources humaines et matérielles ne veut pas changer; il croit en sa supériorité immuable. Ses croyances mises en application génèrent encore et toujours misère, génocide, inégalités sociales et économiques de même que l’impuissance et la soumission des peuples devant des puissances disproportionnées. Les faits historiques ne mentent pas : esclavage, tentatives d’élimination des peuples des Premières Nations dans les Amériques, nombreux coups d’État dans différents pays pour mettre en place des gouvernements fantoches voués aux intérêts des groupes dominants, sanctions économiques permanentes (embargo, etc.) pour étouffer les pays insoumis (Cuba, Venezuela, Iran, etc.) et les agenouiller devant les veaux d’or et les illusions du bonheur et de la liberté dans les paradis de la consommation.

Aujourd’hui, avec plus de 800 bases militaires réparties sur tous les continents, les États-Unis se prétendent les gendarmes du monde et s’arrogent le titre de promoteur et défenseur de LA démocratie à leur image et à leur ressemblance. Comme le chantait Jean-Pierre Ferland : God is an American

À elle seule l’histoire de l’après-guerre démontre que les modèles de société ne s’exportent pas et ne s’imposent pas davantage par la force militaire; à titre d’illustrations, rappelons quelques échecs américains flagrants : Cuba, Viet Nam, Argentine, Chili, Salvador, Libye, Irak, Iran, Afghanistan.

 

Édition numérique de l'aut'journal  https://campaigns.milibris.com/campaign/608ad26fa81b6a5a00b6d9fb/