Ray-Mont Logistique, un projet indigne du XXIe siècle

2021/09/18 | Par Orian Dorais

Dans ma circonscription fédérale d’Hochelaga, le marathon électoral bat son plein. Le comté est l’un des plus chaudement contestés de l’ensemble du Québec, la lutte est serrée entre la députée libérale sortante et son rival bloquiste, Simon Marchand. Depuis le début de l’élection, un enjeu local a pris une place de plus en plus importante dans la campagne, jusqu’à prendre une importance nationale. Des politiciens municipaux, provinciaux et fédéraux se sont prononcés. Il s’agit du projet Ray-Mont Logistique, qui viserait à construire un immense terminal industriel dans un terrain vague d’Hochelaga, au grand dam des habitants et des organismes écologistes. Je m’entretiens avec le candidat Simon Marchand, qui a développé une connaissance très fine du dossier et propose des pistes de solutions pour résoudre le conflit.

O. : D’abord, M. Marchand, pouvez-vous nous dire en détail ce qu’est Ray Mont Logistique ?

Ray-Mont Logistique c’est une compagnie de logistique et de transbordement qui a acheté un terrain vague de deux millions de pieds carrés dans le quartier Viauville, un terrain sur lequel passe un chemin de fer. Maintenant, la compagnie a comme projet d’amener cent wagons de trains quotidiennement sur ce terrain-là et transborder le contenu des wagons dans plus d’un millier de camions par jour ! Les véhicules rouleraient vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, donc ça créerait une pollution visuelle, sonore, odorante et aérienne constante, tout ça à moins de cent mètres de zones résidentielles.

O. : J’en déduis que vous êtes contre ?

S.M. : Oh oui ! Ray-Mont raserait toute la végétation du terrain vague, pour créer un terrain asphalté de deux millions de pieds carrés – donc, un des plus gros ilots de chaleur de Montréal, alors qu’on vient de vivre plusieurs étés caniculaires – qui serait un immense puits de carbone. Ça augmenterait la circulation routière dans l’est de Montréal, alors qu’à notre époque on doit viser la transition écologique. Ça développerait des problèmes importants de vermine, parce que plusieurs wagons contiendraient du grain. Ray-Mont ferait perdre de la valeur aux maisons environnantes, nuirait à la santé mentale et physique des citoyens, puis, à terme, risquerait de réduire l’espérance de vie des gens du quartier. C’est un projet indigne du XXIe Siècle, dans un quartier qui subit déjà des injustices économiques, sociales et environnementales importantes. Tout ça pour créer quelques dizaines de jobs. Ce genre de projet là n’aurait jamais passé dans l’ouest de Montréal, mais comme c’est Hochelaga, les promoteurs s’en permettent.

O. : En mai dernier, j’ai rédigé un article sur les débardeurs du port de Montréal, qui sont allés en grève à cause d’une charge de travail excessive. Est-ce que le projet pourrait leur nuire ?

S.M. : Selon moi, oui, plusieurs des camions de Ray-Mont vont se rendre au port ; le terrain a été choisi pour sa proximité des quais. C’est certain que l’arrivée constante de camions va ajouter un stress aux débardeurs, qui ont déjà une charge de travail excessive. D’ailleurs, la députée libérale d’Hochelaga a voté en faveur d’une loi spéciale inconstitutionnelle qui forçait ces mêmes débardeurs à retourner au travail dans des conditions épouvantables, sans respect pour leur droit de grève. Le Bloc a voté contre.

O. : Que pouvez-vous faire contre le projet ?

D’abord, porter la voix des citoyens d’Hochelaga au Parlement, dire qu’il y a une forte opposition dans la communauté face à ce projet-là. Ensuite, Denis Coderre a dit qu’il serait prêt à racheter le terrain vague. Projet Montréal a peur que le rachat coûte trop cher, mais ce ne serait pas un problème si le fédéral fournit une partie de la somme. Il existe plusieurs fonds fédéraux pour la décontamination des sols, pour le logement social et pour la relance économique, qui pourraient être utilisés dans un montage financier pour racheter le terrain. Le propriétaire, Charles Raymond, a publié un communiqué disant qu’il serait prêt à considérer une offre.

O. : Et qu’est-ce qu’on ferait du terrain ?

C’est certain que si on utilise des fonds fédéraux destinés au logement social pour contribuer au rachat du terrain, on va utiliser une partie du terrain pour… du logement social ! On a cruellement besoin de nouvelles habitations dans Hochelaga, donc moi je vais me battre pour qu’il y ait une part de logement social dans un éventuel projet de rachat. Sinon, c’est sûr qu’il faut conserver les espaces verts du terrain vague, je vais insister là-dessus en chambre. Aussi, le Canada a conclu un accord avec Moderna, pour qu’une usine soit construite à Montréal. Encore une fois, si le fédéral contribue au rachat du terrain, il pourrait s’entendre pour que l’usine soit construite sur une partie du terrain. Je rappelle que c’est un immense terrain, il y a de la place pour des zones boisées, des blocs de logements et l’usine Moderna, qui est de l’industrie légère et créerait plusieurs centaines d’emplois.

En plus, au moment où on se parle, le REM de l’Est est en train d’être développé et il y a une hésitation à construire la station Viauville, qui desservirait Hochelaga. Cette station-là est encore considérée comme « optionnelle », mais si on avait une usine Moderna dans le quartier, je crois que ça convaincrait les développeurs provinciaux du REM de la pertinence de cette station, qui passerait très proche du terrain.

O. : Qu’est-ce que vos adversaires disent du projet ?

On a une députée libérale qui a évité de se prononcer le plus longtemps possible et qui dit aujourd’hui être personnellement contre le projet, mais qui ne fera rien pour essayer de l’empêcher. Elle se limite à dire qu’il faut « mitiger » les effets négatifs du projet, comme si c’était une fatalité, comme si le projet était inarrêtable. C’est faux. Elle reste floue sur comment elle va limiter les conséquences.

Même flou du côté du NPD, la candidate dit qu’elle veut exproprier Ray-Mont, sans trop dire comment, puisqu’une simple députée n’a pas ce pouvoir. Le NPD a peu de chance de former le prochain gouvernement, donc il semble qu’elle et son parti devraient convaincre soit Trudeau, soit O’Toole d’exproprier l’entrepreneur… Alors qu’aucun acteur municipal, provincial ou privé ne souhaite cela. C’est peu crédible. Il faudrait aussi qu’elle clarifie ce qu’elle souhaite faire avec le terrain après avoir exproprié Ray-Mont.

Je pense que c’est clair que c’est uniquement le Bloc qui a un plan réaliste non seulement pour empêcher le projet, mais aussi sur quoi faire avec le terrain. Les gens d’Hochelaga méritent un député qui va se lever en chambre pour réclamer que les fonds fédéraux de la relance et du logement servent au rachat du terrain, puis au développement de nouveaux projets. Tout ça en partenariat avec la Ville, bien entendu.
 

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