La CAQ et l’immigration : inefficace et incohérente

2021/09/29 | Par Anne Michèle Meggs

Que faut-il comprendre des sorties du gouvernement de la CAQ sur l’immigration depuis son arrivée au pouvoir ? Lors des élections de 2018, le slogan entraînant « En prendre moins, mais en prendre soin » soulevait déjà des questions. Il fallait voir. On voit.
 

Moins de personnes immigrantes. Vraiment ?

Moins de personnes ont reçu leur résidence permanence au Québec en 2019 :   autour de 40 000, soit 20 % de moins. Mais, à la fin de cette même année, il y avait quatre fois plus de personnes étrangères au Québec avec un permis temporaire (tous programmes confondus*) délivré par le gouvernement fédéral ! Jamais les économistes et les lobbys des employeurs n’auraient osé suggérer des seuils d’immigration de 153 000 !

Dans la planification des seuils de l’année suivante, le gouvernement avait déjà recommencé à les hausser sans faire la démonstration qu’en un an, il avait trouvé la façon de mieux « en prendre soin ». Aujourd’hui, il occulte la réalité du nombre de personnes étrangères arrivant au Québec en misant sur une immigration temporaire non planifiée et non comptabilisée dans les seuils d’immigration permanente.
 

En prendre soin. Vraiment ?

Le ministre de l’Emploi réclame plus de pouvoirs en immigration temporaire, mais il cible le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), le programme fédéral le moins important en termes de volume et le plus critiqué par les groupes et les syndicats qui essaient justement de prendre soin des travailleuses et travailleurs étrangers.

Ce programme est entièrement utilitaire. Il laisse aux agences de recrutement – aux pratiques parfois douteuses – ainsi qu’aux employeurs, le soin de sélectionner notre immigration. Les permis de travail de ce programme sont fermés : l’employée ou l’employé est lié au patron qui l’embauche, ce qui ouvre la porte à l’exploitation. Il faut plus de ressources gouvernementales pour encadrer, inspecter et sanctionner les agences et les employeurs fautifs. Entretemps, la personne fraîchement arrivée au Québec demeure à statut précaire, incapable de bien planifier son avenir et ne pouvant souvent parler ni le français ni l’anglais.

Le premier ministre veut des personnes immigrantes à haut salaire, mais le gouvernement annonce une entente avec le fédéral qui augmenterait le nombre de travailleuses et travailleurs étrangers temporaires à bas salaire et peu scolarisés.

Les délais du traitement des demandes de résidence permanente soumises au fédéral par les personnes sélectionnées par le Québec s’allongent, en partie à cause de l’inefficacité du fédéral, mais aussi parce que le Québec maintient ses seuils d’admissions si bas. Au lieu d’insister sur une accélération de la délivrance des visas de résidence permanente et d’augmenter temporairement les seuils d’admission pour baisser les inventaires de demandes, le gouvernement de la CAQ s’entend avec le fédéral sur la livraison de permis de séjour ouverts, mais temporaires, à des gens qui respectent entièrement les critères de sélection du Québec ! De la précarité inutile.
 

Des pouvoirs pour protéger le français. Vraiment ?

Le premier ministre réclame tous les pouvoirs sur la catégorie de regroupement familial pour protéger la langue française, une revendication qui s’est élargie à tous les pouvoirs en immigration, pour la même raison. Selon Radio-Canada, il a même reproché aux gouvernements fédéraux successifs d’avoir fait en sorte que la moitié des nouveaux arrivants ne parlent pas français. C’est pourtant le Québec qui sélectionne la majorité des personnes immigrantes permanentes pour son territoire. Le gouvernement de la CAQ est le premier à abandonner tout objectif en pourcentage de personnes admises déclarant connaître le français !

Ces doléances pour sauver la langue française par la sélection et la francisation des personnes immigrantes seraient plus convaincantes si le gouvernement se servait de tous les outils déjà à sa disposition.

Ainsi, concernant l’immigration permanente, le gouvernement du Québec établit les conditions de sélection dans la catégorie économique. Un nombre important de points est alloué pour les compétences en français dans la grille de sélection du programme régulier. Une connaissance du français oral, niveau intermédiaire, est nécessaire pour le programme d’expérience québécois qui vise les personnes à statut temporaire au Québec

Dans le passé, quand la sélection se faisait presqu’entièrement à partir de l’étranger, l’accent était mis également sur le recrutement et la sélection des personnes dans les territoires où un nombre significatif de personnes parlaient français. Cela n’est plus possible depuis que le bassin principal de candidatures est constitué des personnes à statut temporaire au Québec. Résultat : moins de la moitié des personnes admises déclarent connaître le français.

Quant aux catégories de regroupement familial et humanitaire, il est vrai que les conditions de base et le nombre sélectionné relèvent essentiellement du fédéral. Le Québec est néanmoins responsable des conditions et de la vérification des ententes de parrainage dans ces cas. Pourquoi ne pas vérifier, lors du traitement du dossier de parrainage, le niveau de connaissance du français des personnes parrainées et obtenir les coordonnées pour que le ministère fasse un suivi personnalisé des besoins de francisation ?

En ce qui concernent l’immigration temporaire, l’Accord Canada-Québec précise que le Québec doit donner son consentement à l’admission des étudiantes et étudiants étrangers et des travailleuse et travailleurs étrangers « dont l’admission est régie par les exigences du Canada touchant la disponibilité de travailleurs canadiens » (art. 22).

Il n’y a rien, à première vue, qui empêche le Québec d’établir ses propres conditions de consentement, surtout dans ces cas. Actuellement, un employeur doit, pour embaucher dans le cadre du PTET, obtenir une Évaluation d’impact sur le marché du travail du Québec. Cette étape vise à protéger les emplois de la main-d’œuvre locale. Pourquoi ne pas ajouter une condition, par exemple, que l’entreprise doit avoir son certificat de francisation de l’Office québécois de la langue française ou qu’elle s’engage à franciser ses nouveaux effectifs ?

Le gouvernement pourrait également encadrer le domaine de l’éducation internationale pour favoriser la désignation des établissements qui offrent des programmes en français et les inscriptions dans ces programmes. Il pourrait faire un suivi auprès de ces jeunes pour encourager et faciliter la francisation.

Notons que le gouvernement fédéral fait, lui aussi, preuve d’incohérence dans ses politiques d’immigration. Il vante dans la Stratégie d’éducation internationale le fait que les jeunes de l’étranger qui obtiennent un diplôme au Canada constituent d’excellentes candidatures pour la résidence permanente. Il a créé le permis de travail ouvert post-diplôme et les permis de travail semblables pour les conjointes et conjoints, justement pour leur permettre d’accumuler le temps de travail nécessaire pour une demande de résidence permanente. Il est donc choquant, après cela, de lire dans les médias que le ministère de l’Immigration fédéral refuse les permis d’études aux jeunes africains parce... qu’ils n’ont pas fait la démonstration qu’ils allaient quitter le pays après leurs études ! Cherchez l’erreur.

Le Québec n’a pas les pouvoirs pour élaborer et mettre en place une politique d’immigration globale (une place à la table des négociations internationales, contrôle des frontières, la citoyenneté…), mais il a plus de pouvoirs que le gouvernement de la CAQ veut avouer. Peut-il au moins démontrer un peu plus de cohérence et d’humanité dans son discours et ses actions ?

  1. Programme des travailleurs étrangers temporaires (permis fermés) - 15 480 en 2019, programme de mobilité internationale (permis ouverts) 50 200 en 2019 et programme de permis d’étude 87 285 en 2019.
     

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