Les porcs étaient mieux représentés que nous autres

2021/10/01 | Par Orian Dorais

Début septembre 2021, mon collègue Michel Rioux consacrait un article aux employés de l’usine d’abattage Olymel à Vallée-Jonction. Les conditions de travail à cette usine décrites par Michel étaient assez troublantes : mépris des patrons, longues heures de labeur passées dans des températures torrides ou glaciales, odeurs putrides, épuisement physique et psychologique des travailleurs du fait de l’agression sonore constante que représentent les cris des animaux.

Malheureusement, ces problèmes ne sont que la pointe de l’iceberg ; les employés d’Olymel doivent faire face à bien d’autres défis, et la pandémie les a durement affectés. À vrai dire, les dernières années ont été si dures qu’en 2021, à l’occasion du renouvèlement de la convention collective, les syndiqués ont voté pour la grève et l’ont maintenue durant quatre mois. Alors qu’une entente a été conclue, il y a peu, avec l’employeur, je m’entretiens avec Martin Maurice, le président du syndicat, sur le déroulement de cette grève.

O. : Ce qui frappe, dans ce conflit de travail, c’est surtout sa longueur. Comment se fait-il que le débrayage ait duré autant de semaines ?

M.M. : Pour te le dire franchement, on a tenu aussi longtemps parce que nos membres sont écoeurés. Ça fait presque quinze ans qu’on travaille dans des conditions inacceptables et l’industrie n’a aucun respect pour nous. Jusqu’en 2007, les abatteurs avaient d’excellents salaires et de meilleures conditions mais, depuis la négo de 2007, les patrons de l’industrie de la viande utilisent souvent la menace de fermer des usines pour intimider les syndicats.

En 2007, Olymel a fermé son usine de Princeville pendant quinze mois pour affamer les employés ! Quand ils sont rentrés, ils ont dû accepter une convention épouvantable, parce qu’ils ne pouvaient pas se permettre de manquer de travail plus longtemps. Princeville servait d’exemple. Les patrons ont passé une usine après l’autre pour briser les syndicats, avec des fermetures ou des menaces de fermeture. À Vallée-Jonction, en 2007, l’employeur nous a imposé une coupe de 40 % du salaire, a aboli notre REER et a diminué sa participation à nos assurances. Donc, je te dirais que, depuis des années, les gens sont encore amers. En plus, il y a eu la COVID en 2020.

O. : Comment la pandémie a touché votre milieu ?

M.M. : En fait, les abatteurs ont été déclarés travailleurs essentiels, parce que l’industrie de la viande fait partie du secteur agroalimentaire, donc des « lignes d’approvisionnement » prioritaires. À cause du statut de travailleur essentiel, les employés ont été obligés de retourner au travail… mais le gouvernement a donné une exemption à nos patrons pour qu’ils ne soient pas obligés de nous donner les protections habituelles réservées aux travailleurs essentiels. On a eu des responsabilités de travailleurs essentiels, mais pas les avantages. Nos abatteurs n’avaient même pas accès aux listes d’urgence pour inscrire leurs enfants aux garderies réservées pour les essentiels.

Pendant longtemps, il n’y avait pas de plexiglas et pas de distanciation sociale dans l’usine. Je rappelle que c’est une usine où les températures sont proches de zéro, en moyenne, donc où le virus se propage beaucoup plus facilement. En plus, si quelqu’un développait des symptômes, il avait l’occasion de se faire tester à l’usine, sauf qu’en attendant son résultat, on lui disait de retourner travailler. Si on apprenait que son résultat était positif, la réaction des patrons, c’était juste « Ha, bien, désolé ».

Mes collègues tombaient comme des mouches. Pendant la première vague, on a eu 30-40 cas, c’était encore endurable, mais pendant la deuxième vague, il y a eu 167 cas, sur un peu moins de mille employés. Et un décès. Il aurait peut-être été évitable, ce décès-là, si l’employeur avait établi des mesures de protection dès le début. À la place, y a fallu qu’on fasse rentrer la CNESST et la santé publique dans la place pour enfin y avoir accès.

O. : On vous comprend d’avoir fait la grève. Comment s’est-elle déroulée ?

M.M : Au début du débrayage, l’employeur s’est trainé les pieds pendant des semaines avant de s’assoir à la table. Les patrons ont les moyens d’attendre que le syndicat s’épuise, l’industrie de la viande rapporte des milliards par année, ça fait une bonne réserve. Nous, tout ce qu’on demande c’est qu’ils nous redonnent une petite partie de cette richesse-là. Après, quand la négociation a commencé pour vrai, ils se sont mis à essayer de nous salir dans les médias pour mettre de la pression populaire contre nous.

L’employeur a même coulé de l’information confidentielle dans les médias, par exemple en révélant des offres que le syndicat a refusées. T’es pas censé de révéler au public des offres qui sont discutées en médiation. Les patrons ont mis de la pression sur les travailleurs immigrants. Plusieurs des abatteurs sont Malgaches, Mauriciens ou Tunisiens, et ils doivent envoyer de l’argent rapidement dans leur pays d’origine, donc ils sont une cible facile pour les employeurs. Les nouveaux citoyens ou nouveaux résidents ont un contrat « fermé » avec l’employeur, ça veut dire que, contrairement au reste des employés, ils ne peuvent pas prendre des petites jobs ailleurs pendant la grève. Ils doivent vivre uniquement du fond de grève de la CSN, donc c’est moins d’argent pour les familles. Mais ils nous ont suivis jusqu’au bout.

Ensuite, des maires de la région se sont mêlés de dire que la grève faisait perdre de l’argent et des emplois dans nos communautés. Le syndicat ne leur dit pas comment gérer leurs villes, je vois pas pourquoi ils venaient nous dire comment gérer notre négo. À un moment donné, le ministre du Travail, Jean Boulet, est venu pour essayer de nous imposer un arbitrage. Il est arrivé nous rencontrer un vendredi matin et a exigé que la situation soit réglée le soir même, pour 17h. Il voulait qu’on accepte un arbitrage, mais un syndicat c’est là pour négocier, pas pour se faire imposer des conditions par un arbitre nommé par des patrons. Le gouvernement, encore une fois, a juste pris le parti des employeurs. Mais nos membres ont refusé l’arbitrage.

Vers la fin de la grève, les patrons ont essayé de se donner une belle image en allant brailler dans les médias. Ils disaient que si la production ne reprenait pas, les éleveurs n’auraient plus d’espace où placer les porcs destinés aux abattoirs et seraient obligés de les euthanasier. Et des porcs euthanasiés, c’est pas consommable. Donc, ils accusaient les grévistes de causer du gaspillage alimentaire et de priver la population québécoise de viande abordable. C’était n’importe quoi, comme argument, parce que la viande d’Olymel est surtout destinée à l’exportation. Puis, si les patrons étaient si inquiets du gaspillage de bétail, s’ils voulaient vraiment que la production reprenne vite, ils auraient pu négocier plus vite, au lieu de niaiser pendant des semaines. Quand on a enfin réussi à s’entendre, ils ont essayé de nous faire reculer sur nos gains en menaçant de fermer l’usine pendant la nuit, ce qui aurait éliminé les emplois du quart de soir.

O. : Avez-vous reculé ?

M.M. : Non, le syndicat ne s’est pas laissé intimider. On a gardé nos gains : augmentation de 26,4 % de la paie sur six ans, aucune baisse de nos journées de vacances et la part des assurances  payée par l’employeur est maintenant de 70 %. Nos membres espèrent aussi que notre succès va inspirer les autres travailleurs qui se sont fait fourrer en 2007.
 

O. : Avez-vous une bonne solidarité intersyndicale ?  

Oui, pendant la grève, plusieurs autres syndicats nous ont soutenus par des dons. Et nous, on est allé aider les grévistes d’Exceldor, l’entreprise de volaille, qui étaient en grève en même temps que nous. On est allé piqueter avec eux. Il y a de la collaboration entre les unions et même entre les différentes centrales. Notre travail reste difficile, mais l’entraide, ça nous redonne de l’espoir. D’ailleurs, l’industrie de la viande se plaint beaucoup de manquer de main-d’œuvre, mais s’ils écoutaient les syndicats, de temps en temps, ce serait surement moins pire. Si les conditions sont meilleures, les gens sont plus attirés par une industrie, c’est pas si compliqué.

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