Modérons nos transports

2021/10/01 | Par Jean-François Boisvert

L’auteur est président de la Coalition climat Montréal, membre du Comité de coordination du Front commun pour la transition énergétique et membre du Regroupement Des Universitaires

DES UNIVERSITAIRES (11 de 15) - Au Québec, le secteur des transports est celui qui produit le plus de GES, avec 43 % des émissions. À lui seul, le transport routier représente 80 % des émissions de ce secteur et plus de 34 % des émissions totales du Québec. Ses rejets ont d’ailleurs bondi de 50 % entre 1990 et 2017 en raison de la hausse des émissions des camions légers (+127%) et des véhicules lourds (+171 %).

À ces émissions, il faut ajouter celles produites par l’extraction, le raffinage et le transport du pétrole, la fabrication des véhicules, la construction et l'entretien des routes et des ponts. Diminuer et, à terme, abandonner l’utilisation de véhicules qui carburent aux combustibles fossiles est donc essentiel à l’atteinte de la carboneutralité et au respect des limites de la nature.
 

Un défi de taille

Le défi est de taille : 6,7 millions de véhicules sont immatriculés au Québec, dont 5 millions de véhicules de promenade. Seulement 1,5 % de ceux-ci sont électriques ou hybrides/rechargeables. Les véhicules personnels consomment 48% de l’énergie, comparativement à 37 % pour le transport de marchandises et 14 % pour le transport aérien.

L’auto solo tient le haut du pavé. Près de 7 personnes sur 10 vont habituellement travailler seules dans leur véhicule, contre 1 sur 10 en covoiturage; seulement 14 % le font généralement en transport collectif et 7% à pied ou à vélo. Durant la pointe matinale dans le Grand Montréal, les voitures transportent en moyenne 1,2 personne, ce qui contribue à la congestion routière.

Soulignons aussi que, depuis 2015, les ventes des camions légers (minifourgonnettes, VUS et camionnettes) dépassent celles des voitures, ce qui explique en partie que les ventes d’essence aient bondi de 33 % entre 1990 et 2017, malgré la meilleure performance énergétique des moteurs.

Il ne fait donc aucun doute que, pour atteindre la carboneutralité, des transformations très importantes doivent être apportées à nos façons de déplacer les personnes et les marchandises.
 

Un système de transport « zéro émission nette » au Québec

Imaginons un instant les transports dans un Québec « zéro émission nette ».

Globalement, dans cette société post-carbone à laquelle nous aspirons, le secteur des transports consommera beaucoup moins d’énergie. Le nombre de véhicules personnels aura considérablement diminué, tout comme leur poids. La marche, le vélo, le vélo électrique, le vélopartage, le covoiturage, le bus, le train, le tramway, le métro, le taxi, le taxi collectif et l’autopartage se complèteront, dans des proportions variables selon les milieux, pour combler efficacement la plupart des besoins de mobilité. L’auto solo sera l’exception, étant utilisée là où il n'y aura pas d'autres options, comme dans les zones faiblement peuplées.

La mobilité se sera améliorée, y compris pour les populations en régions éloignées, les familles, les personnes vulnérables, vivant avec un handicap ou à mobilité réduite.

Le nombre de camions en circulation sur nos routes aura radicalement chuté. L’achat de produits locaux sera devenu la norme dans tous les secteurs où cela est possible. L’efficacité du système logistique aura énormément augmenté, répondant aux besoins essentiels de transport des marchandises. Dans les villes, les livraisons s’effectueront au moyen de camions électriques et de vélos cargo. Les transports par navires et sur rails seront préférés au transport routier pour le déplacement de marchandises sur de longues distances.

100 % des véhicules légers et presque tous les véhicules lourds seront électriques et presque entièrement recyclables localement; les biocarburants alimenteront certains véhicules industriels et agricoles lourds.

Le travail à domicile, les centres de travail à distance, les téléconférences et les services intelligents de livraison multimodale auront éliminé une bonne partie des besoins de déplacement. Arrimés aux réseaux de transport verts, les quartiers urbains et les cœurs des villages seront denses, mixtes et conviviaux, offrant tous les produits et services essentiels à distance de marche. L’essentiel des déplacements pour le travail se fera localement, dans un rayon de quelques kilomètres.
 

Des changements nécessaires

Ces changements sont non seulement possibles, mais nécessaires, pour répondre à l’urgence climatique. Il nous faut donc choisir sans compromis les transports actifs, collectifs et partagés, couplés à l’électrification, tout en appliquant une politique d'aménagement du territoire qui stoppe l'étalement urbain, réduisant ainsi la dépendance à l'automobile.

Bien sûr, cela exigera de modifier significativement nos habitudes. La voiture individuelle sera détrônée, nos façons de nous déplacer revues et une bonne partie de nos besoins de déplacement remis en question. Les voyages en avion, les croisières maritimes et l’utilisation des véhicules récréatifs à essence seront drastiquement réduits.

Cette transition sera soutenue par une stratégie en écofiscalité visant à tarifer les coûts réels du transport, toujours dans une perspective de transition juste permettant à toutes et tous de se déplacer à un coût abordable. Différentes options peuvent être considérées : hausse des taxes sur les carburants, taxe kilométrique, péages urbains et interurbains, taxe sur les stationnements, malus sur l'immatriculation des véhicules énergivores…

Il faut aussi éviter les erreurs qui nous empêcheraient de réussir, comme poursuivre le développement du réseau routier, subventionner l'usage de l'automobile avec des routes gratuites, des stationnements gratuits et de nombreux autres services publics, privatiser les transports collectifs, utiliser nos précieuses terres agricoles pour produire des carburants ou recourir aux fausses énergies de transition comme le gaz naturel.

Les solutions existent, mais, bien souvent, des contraintes légales ou administratives empêchent de les mettre en œuvre. Il faut lever ces obstacles, par exemple, pour permettre le partage de véhicules entre particuliers ou utiliser en dehors des heures de pointe des espaces libres dans le métro, le tramway et les autobus pour transporter les marchandises.

Les gouvernements ont évidemment un rôle essentiel à jouer, tant au niveau de la législation que dans celui du financement et de la construction des infrastructures. Il leur faut une vision à long terme, basée sur la science, des changements à réaliser, et surtout une volonté ferme et le courage d’agir sans tarder. De leur côté, les entreprises devront adapter leurs pratiques aux nouveaux paramètres. Quant à nous tous, il nous faut apprendre à « modérer nos transports » et à réduire leurs impacts sur l’environnement et le climat. Dans certains cas, nous perdrons peut-être un peu en facilité et en confort, mais il s’agit d’un bien faible tribut pour éviter le chaos d’un apocalyptique monde à +3 ou +4 degrés Celsius.

Questions ou commentaires?

Ce texte fait partie d’une série de 15 articles qui visent à faire connaître la Feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité Québec ZéN 2.0. Ce projet a été élaboré par des membres du Front commun pour la transition énergétique et leurs allié.e.s. Créé en 2015, le Front commun regroupe 90 organisations environnementales, citoyennes, syndicales, communautaires et étudiantes représentant 1,8 million de personnes au Québec.

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