Une élection qui alimente le cynisme

2021/10/01 | Par Monique Pauzé

L'auteure est députée du Bloc Québécois.

Selon Élections Canada, 62 % des électeurs admissibles ont voté lors du scrutin du 20 septembre. Les libéraux ont récolté 32,6 % du vote populaire. Ce qui veut dire qu’ils gouverneront avec l'appui de seulement 20,3 % de la population éligible à voter. Malgré ce faible pourcentage, le gouvernement Trudeau aura toute la latitude pour nommer la gouverneure générale, des sénateurs, les membres du Cabinet (avec bien sûr l’approbation de la gouverneure générale), faire adopter des lois, contrôler l’ordre du jour des sessions, sélectionner les membres des comités, décider de proroger le parlement ou déclencher des élections. Bien évidemment, il devra aussi concilier les intérêts ou régler les divisions à l’intérieur de son propre parti.

Mon constat est que notre démocratie aurait besoin d’un sérieux examen de conscience.  Mais ne comptez pas sur Justin Trudeau qui comptait sur notre mode de scrutin pour obtenir une majorité parlementaire.  Pour ma part, je n’ai pas oublié qu’en 2015, Justin Trudeau, la main sur le cœur, s’était engagé à instaurer un mode de scrutin proportionnel mixte. D’ailleurs, à cette époque, le Bloc Québécois avait lancé une consultation au cours de laquelle la population avait qualifié le système uninominal à un tour de système désuet créant des écarts importants entre la volonté populaire et la composition de la Chambre des communes. Les répondants avaient également souligné que, comme seuls les votes en faveur de celui qui l’emporte comptent, cela pouvait décourager les gens de voter ou accroître leur désaffection à l’égard du système.

On connait la suite des choses. Après s’être vus octroyer 100 % du pouvoir en 2015 avec l’appui de seulement 39,5 % des électeurs, les libéraux de Justin Trudeau ont soudainement jugé que cette réforme n’était plus nécessaire. Élu à la tête d’un gouvernement minoritaire en 2019, le premier ministre n’a pas hésité un seul instant à déclencher des élections, même si le Parlement fonctionnait bien.

Toujours préoccupé par sa popularité et par son image, sur quoi est-ce que Justin Trudeau va se concentrer maintenant ?  Son image ou les besoins des citoyennes et citoyens comme la santé, les aînés, les emplois et l’environnement?

Après l’élection, La Presse publiait un appel de Réseau Climat, d’Équiterre et d’autres organisations environnementales :

« Le soir des élections, les libéraux n’ont pas obtenu la majorité, mais un mandat climatique, oui. Près de 60 % des électeurs canadiens ont voté pour des partis promettant plus d’action climatique. Maintenant, des organisations représentant des millions de Canadiens exhortent le premier ministre Trudeau à écouter la majorité – les électeurs préoccupés par le climat – et à tenir rapidement ses promesses en matière de climat. »

On pouvait aussi lire : « Le premier ministre Trudeau doit adopter les politiques les plus ambitieuses et remplir ses promesses. Tous les chefs des partis doivent intensifier leurs efforts en matière de climat : laissez de côté les politiques partisanes et travaillez ensemble pour protéger nos communautés et notre planète. »

Ce n’est pas la première fois qu’ils font cette analyse que je ne peux m’empêcher de m'interroger.  D’abord, il a été peu question de l’environnement au cours de cette campagne électorale.  Ensuite, les partis n’ont pas tous la même définition de l’action climatique. Ainsi, lors de l’étude du projet de loi sur la carboneutralité, les néo-démocrates et les libéraux ont scellé une entente, qui fait en sorte que cette loi  est nettement insuffisante pour  répondre à l’urgence climatique. Pour le NPD, les bottines ne suivent vraiment pas les babines.

Les États qui sont de vrais leaders en matière de lutte aux changements climatiques adoptent plutôt des lois qui fixent dans la loi même les cibles de réduction d’émissions des GES. C’était une demande des groupes environnementaux, c’était un amendement apporté par le Bloc, amendement qui a été battu par l’alliance entre les néo-démocrates et les libéraux. Un sort identique attendait les articles que nous proposions pour un mécanisme crédible d’imputabilité, ainsi que la nécessité d’avoir des experts et des scientifiques de divers domaines incluant le domaine de la santé.

Donc, il y a beaucoup de travail à faire.

Pouvons-nous  nous accrocher à ce que le premier ministre a déclaré au cours de la campagne électorale, à savoir qu’il souhaite que le secteur pétrolier et gazier soit carboneutre d’ici 2050 ? En août, les libéraux fédéraux ont promis de rejeter tout projet d’exploitation pétrolière et gazière qui ne permettrait pas au Canada de respecter l’objectif de plafonner, puis de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’industrie des énergies fossiles.

Ils ont affirmé qu’un futur gouvernement libéral forcerait également ce secteur polluant à réduire ses émissions à partir des niveaux actuels au rythme et à l’échelle nécessaires  pour respecter cet objectif.  Pour ce faire, un plan comprenant des cibles de réduction, qui seraient révisées tous les cinq ans, serait mis en place dès 2025.

On le sait, dans le camp des libéraux, on peut toujours compter sur Steven Guilbeault pour reverdir le blason gris des libéraux. Ce dernier a même affirmé que « si les projets ne pouvaient se faire dans le respect des plafonds, ils ne seront pas autorisés ». Je rappellerai ici que c’est le même Steven Guilbeault qui nous a menti aux Communes en promettant d’inscrire les cibles du gouvernement dans sa loi climat, ce qui n’a jamais été fait.

Et, comme on peut dire une chose et son contraire, M. Guilbeault a aussi fait valoir qu’un futur gouvernement Trudeau ne fermerait pas la porte à de nouveaux projets d’exploitation d’énergies fossiles. Quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi le gouvernement fédéral s’entête à aller dans cette voie alors que l’Agence internationale de l’énergie affirme que ce secteur devrait disparaître  d’ici 2050 ? N’y voyant aucune rentabilité à long terme, même la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) entend être complètement sortie de la production pétrolière d’ici 2022.  

Il n’y a pas à dire, le lobby de l’Association canadienne des producteurs pétroliers est puissant. Le chemin vers une véritable relance verte continuera d’être tortueux, car les entreprises du secteur voudront toujours hausser leur production. À cet effet, le plan du gouvernement Un environnement sain et une économie saine, publié le 11 décembre 2020, ne comporte aucun engagement à freiner l’augmentation de la production des sables bitumineux, qui devrait se poursuivre jusqu’en 2045, selon le nouveau rapport de la Régie de l’Énergie du Canada de 2020.

Je ne veux pas être trop cynique, mais sachant les jeux de coulisse en cours, je crois que la démocratie s’effrite de plus en plus. Lors de la dernière législature, le NPD et les libéraux ont fait équipe pour s’assurer que la loi sur la carboneutralité ne soit aucunement contraignante. Pour des raisons différentes, ils n’ont pas  tenu compte des besoins de nos communautés, de notre planète. Ils se sont souciés de leur image, point à la ligne. Finalement, peut-être que la réforme de notre mode de scrutin pourrait être salutaire pour la planète également.

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