Loi sur le Statut de l’artiste : Tous nos membres sont considérés comme des artistes

2021/10/20 | Par Orian Dorais

Quand j'ai appris que l'Alliance québécoise des techniciens et techniciennes de l'image et du son (AQTIS)  lançait une campagne pour soutenir la réforme promise de la Loi sur le statut de l'artiste, qui a plus de trente ans, j'ai immédiatement voulu faire un article sur le sujet. D'abord, parce que je me suis déjà intéressé au sujet du statut de l'artiste, lors d'une entrevue avec la présidente de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ). Ensuite parce qu'il faut maintenir la pression sur le gouvernement Legault afin de faire adopter cette importante réforme avant le scrutin de 2022, d'autant plus que la CAQ a refusé de s'engager à agir avant la prochaine élection, en rejetant une motion à cet effet déposée par Catherine Dorion. Enfin, parce qu'en tant que jeune artisan dans le milieu du cinéma, je suis moi-même membre de l'AQTIS et fier de la décision de l'association de mener cette campagne. Je ne pouvais pas laisser passer l'occasion d'écrire un article sur un syndicat duquel je suis membre. Je me suis donc entretenu avec le président de l'AQTIS, Christian Lemay, qui m'a appris des faits que j'ignorais sur les conditions syndicales des techniciens audiovisuels.

O. : Je dois avouer, M. Lemay, que j'ai été agréablement surpris de voir l'AQTIS se prononcer dans le dossier du statut de l'artiste. Je croyais qu'en tant que techniciens, les membres de l'AQTIS étaient couverts par la Loi sur les normes du travail.

C.L. : En fait, non. La Loi sur le statut inclut tous les techniciens et artisans de l'audiovisuel, donc les 7000 syndiqués de l'AQTIS. Nous sommes tous considérés comme des artistes depuis 2009. Avant cette année-là, la partie patronale (les producteurs membres de l'Association québécoise de la production médiatique-AQPM) reconnaissait de facto que les techniciens sont des artistes au sens de la Loi et qu'ils ont donc droit à la syndicalisation. Mais c'est seulement en 2009 que le statut de nos membres a été reconnu au sein du cadre juridique de la Loi. Ça fait que depuis douze ans, les travailleurs de l’AQTIS sont régis par le Code du travail, avec lequel la Loi sur le statut a des rapprochements d'application. Depuis 2009, le code guide nos principes d'associations et de contrats, en plus de nous donner accès au tribunal administratif du travail.

O. : C'est bien que les techniciens de l'AQTIS soient reconnus pour ce qu'ils sont, soit des artistes, mais est-ce que la Loi sur le statut vous met sous la protection de la Loi sur les normes du travail ?

C.L. : Non, aucunement ! En fait, on milite pour changer ça, parce qu'en ce moment, les gens considérés comme artistes au sens de la Loi n'ont pas accès aux protections sociales québécoises. Au moment où on se parle, les travailleurs culturels sont exclus de la Loi sur les normes du travail, de la Loi sur la santé et sécurité au travail, de la Loi sur l'équité salariale, du retrait préventif et de l'assurance parentale. C'est quand même incroyable ! Les femmes dans l'AQTIS n'ont pas droit à leurs semaines de congés parentaux ! On demande que, dans la réforme de la Loi, les artistes aient accès aux mêmes droits que les autres travailleurs, parce qu'on n'est pas différents des autres travailleurs.

O. : Pour avoir travaillé sur des plateaux de tournage, ça peut parfois être dangereux; je trouve ça peu rassurant que les membres AQTIS ne soient pas couverts par la Loi sur la sécurité au travail. Mais le fait que les femmes artistes n'aient pas accès à leurs semaines de congé parental, je trouve ça choquant. Chaque année, il y a plus de femmes que d'hommes qui sortent des facultés d'art, mais le milieu culturel reste surtout masculin. Peut-être que ceci explique cela.

C.L. : Je vais te dire, moi, garantir à nos membres l'accès au retrait préventif et à l'assurance parentale, ça me tient beaucoup à coeur. Sans ça, je crains que les employeurs du milieu culturel rechignent à engager des femmes enceintes. On régresserait à cette vieille discrimination- là. En plus, on sait que notre milieu en est un où la conciliation travail-famille peut être très difficile, ce qui peut décourager les plus jeunes générations de persévérer dans le métier. On sait que ta génération a un rapport différent au travail que la mienne... et tant mieux ! Mais étendre les politiques progressistes québécoises, principalement l'assurance parentale, aux artistes, ça peut aider à mieux concilier sa vie professionnelle et familiale. Si on passe la réforme, ça pourrait très bien encourager plus de jeunes à travailleur en culture. C'est ce qu'on demande au gouvernement de faire.

O. : Pensez-vous qu'on pourrait aussi réformer la Loi pour diminuer la précarité qui touche la plupart des travailleurs culturels ?

C.L. : Encore une fois, nous donner accès à toutes les lois sur le travail, ce serait déjà un pas en avant pour lutter contre la précarité ! Sinon, le gouvernement pourrait envisager d'abolir la section « nouveaux médias » de la Loi sur le statut. Savais-tu qu'en ce moment, le contenu sur les plateformes numériques est considéré différemment du cinéma et de la télévision ? Ça fait que, selon la Loi, les producteurs de contenu numérique ont le droit de négocier des moins bonnes conditions syndicales pour leurs techniciens, parce qu'ils sont encore considérés comme des nouveaux médias émergents avec une rentabilité incertaine. Je m'excuse, mais des plateformes comme Noovo, QB Radio, Club Illico, et ainsi de suite, c'est plus vraiment des nouveaux médias. À vrai dire, ces plateformes-là s'en viennent plus rentables que la télévision traditionnelle. Les soi-disant nouveaux médias auraient les moyens de payer les techniciens au moins aussi bien que les producteurs de télévision. Il faut que la réforme prenne en compte l'importance des revenus du streaming. Il ne faut plus considérer la télévision numérique comme moins riche que la télé traditionnelle.

O. : Avez-vous d'autres revendications dans le cadre de la réforme ?

C.L. : On demande une meilleure protection par rapport à la sous-traitance. Je m'explique. Souvent, après le tournage, le producteur membre de l'AQPM a tendance à confier la postproduction de son oeuvre audiovisuelle à une maison de service. Il y en a plusieurs, à Montréal, qui offrent des services de montage et qui sont très compétentes. Malheureusement, ce qui arrive souvent c'est que la maison de service reçoit trop de commandes en même temps et se mette à recruter des techniciens à la pige. En tant que syndicat, ça nous inquiète, parce que ces techniciens-là ne sont pas syndiqués, donc pas protégés.

La position de l'AQTIS c'est que le producteur doit rester le maitre à bord pour l'ensemble de la production. Il ne peut pas céder ses droits et obligations syndicaux à un sous-traitant. On veut travailler de syndicat à syndicat, que le lien d'emploi entre la partie patronale et nos techniciens demeure, sans sous-traitance et sans recours à la pige. Les producteurs pourraient donner des contrats syndiqués aux techniciens de postproduction, ou bien, s'ils font affaire avec un sous-traitant, exiger que le sous-traitant en question engage juste des travailleurs syndiqués. La plupart des maisons de service, en postproduction, comptent des employés syndiqués. Il faut que la Loi établisse des balises claires par rapport à la sous-traitance.

O. : Êtes-vous solidaires de la demande de l'UNEQ que les écrivains reçoivent le statut d'artiste comme vous en 2009 ?

C.L. : Je ne connais pas les détails de ce dossier-là en particulier, mais, philosophiquement, je suis d'avis que s'il y a un groupe qui mérite d'être protégé, c'est les artistes. Donc, oui, sur le principe, l'AQTIS appuie tous les créateurs qui veulent une reconnaissance. Et on veut que la loi soit réformée pour mieux protéger tous les travailleurs culturels. Ces derniers temps, on parle beaucoup de protection de la langue française et c'est tant mieux. Mais ce qui fait vivre une langue, c'est la culture et les arts. Et là, si on parle des écrivains, c'est eux qui font des miracles avec les mots de notre langue. On a un bon espoir que la réforme va passer, il y a une mobilisation forte dans le milieu culturel pour ça et on serait déçu si c'était reporté après 2022. L'AQTIS va continuer à sensibiliser le gouvernement, mais aussi les oppositions – bref, tous les parlementaires – à l'importance d'agir maintenant.

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