Des négociations syndicales permises, interdites ou requises

2021/10/27 | Par Luc Allaire

Promouvoir la diversité, l’équité et l’inclusion grâce à la fonction publique, tel était l’un des objectifs visés par l’American Federation of Teachers (AFT) lors d’une conférence tenue en présence à New York du 8 au 10 octobre derniers, à laquelle j’ai assisté.

C’était la première fois que des représentantes et représentants des 50 États américains pouvaient se rencontrer en chair et en os depuis le début de la pandémie. La conférence avait pour thème Together We Thrive – Strengthening Our Communities through Public Service, « Ensemble, nous prospérons – Renforcer nos communautés grâce à la fonction publique ».

Comme son nom ne l’indique pas, l’American Federation of Teachers (AFT) représente 1,7 millions de membres dans l’ensemble des services publics œuvrant dans le réseau de l’éducation de la petite enfance à l’université, dans les services publics des gouvernements fédéral, étatiques et locaux, ainsi que dans le secteur de la santé et les services sociaux.
 

Des atteintes au droit du travail

« La réalité vécue par les membres de l’AFT varie énormément selon l’État dans lequel on travaille », affirme Jonathan Rodrigues, du département des droits humains et des relations avec la communauté de l’AFT. « En effet, sept États interdisent la négociation des conventions collectives sur leur territoire. Il s’agit des Caroline du Nord et du Sud, de la Georgie, du Tennessee, du Texas, de la Virginie et du Wisconsin. Dix-sept États permettent aux gouvernements locaux de signer des conventions collectives. Dans les 26 autres États et dans le District de Columbia, c’est requis. »

Questionné sur le fait que l’interdiction de négociation va à l’encontre des normes internationales du travail, Jonathan Rodrigues répond que les gouverneurs républicains se foutent complètement de ce que pourrait dire l’Organisation internationale du travail (OIT).

Sans surprise, ce sont les États républicains qui bannissent la négociation collective; et les États démocrates qui l’exigent. Sans surprise également, les écarts de salaires entre les secteurs public et privé sont beaucoup plus grands dans les États qui interdisent la négociation, et ces écarts sont encore plus grands pour les minorités racisées.
« Une nuance importante, note M. Rodrigues, car les Noirs sont plus susceptibles d’être employés par un gouvernement local, car seulement 17 % des employeurs privés ont une politique pour favoriser la diversité. Le secteur public a donc un rôle important à jouer pour réduire les écarts entre les taux d’emploi des personnes racisées et les Blancs. Les travailleurs noirs et hispaniques bénéficient particulièrement de la négociation collective du secteur public. »

L'écart salarial pour les travailleurs du secteur public est plus important dans les États où les droits de négociation collective sont faibles ou inexistants

Différences entre les salaires du secteur public et ceux du secteur privé

 

Négociation collective

Niveau d’éducation

Interdite

Autorisée

Requise

Ensemble

-22,9 %

-16,6 %

-10,5 %

Sans formation universitaire

-13,6 %

-7,9 %

6,8 %

Avec formation universitaire

-30,1 %

-23,7 %

-20,6 %

Note : Les droits de négociation collective sont basés sur les droits accordés à divers employés des secteurs publics des États en 2015-2019. La catégorie « interdite » regroupe les États dans lesquels les employés du secteur public ne sont pas autorisés à participer à des négociations collectives. Les États « autorisés » sont ceux dans lesquels les entités gouvernementales locales peuvent engager des négociations collectives avec divers employés du gouvernement, mais il n'y a pas de mandat à l'échelle de l'État. Les États « requis » sont ceux dans lesquels les entités gouvernementales locales sont tenues de s'engager dans des négociations collectives avec les employés des administrations locales. L'écart salarial est la différence entre les gains hebdomadaires des fonctionnaires locaux à temps plein âgés de 18 à 64 ans par rapport à ceux de leurs homologues du secteur privé, en tenant compte de l'éducation, de l'âge et des heures travaillées.
 

Comme on peut le constater dans ce tableau, les écarts entre les salaires du secteur public et du secteur privé varient énormément selon que le droit à la négociation collective est respecté ou non.

L'écart salarial entre les secteurs public et privé est en grande partie dû aux salaires moins élevés des fonctionnaires ayant une formation universitaire. À l'échelle de l’ensemble des États-Unis, l'écart est de -23,0 % pour les travailleurs détenant un diplôme universitaire alors que l’écart est de -0,6 %, ce qui est statistiquement non significatif pour les travailleurs sans baccalauréat. Dans les États dotés de droits de négociation collective solides, les travailleurs sans diplôme gagnent en réalité 6,8 % de plus que leurs homologues du secteur privé.

« Ceci prouve que les syndicats permettent de réduire les écarts de salaires entre le secteur public et le secteur privé », souligne Jonathan Rodrigues. Celui-ci reconnait que l’engagement de l’AFT sur des enjeux de diversité, d’équité et d’inclusion peut entrainer des discussions animées dans les syndicats locaux. « Il y a des conflits sur ces enjeux, dit-il, mais les conflits sont bons si les gens restent autour de la table et discutent, s’ils ne partent pas dès qu’il y a un conflit. »
 

Victoire au Colorado

De son côté, la présidente de l’AFT, Randi Weingarten, était particulièrement fière de la victoire obtenue par le syndicat du Colorado qui a obtenu un premier contrat de travail, après une lutte de 35 ans. « Nous avons obtenu une augmentation de salaire à deux chiffres, des règles sur la diversité dans l’embauche, que l’État soit redevable, et ce, devant un gouverneur républicain. »

Elle reconnait que le gouvernement Biden a connu des difficultés avec la pandémie et la défaite en Afghanistan. Toutefois, ajoute-t-elle, « nous n’avons jamais eu un président aussi prosyndical que Joe Biden. »

Elle donne en exemple le projet Build Back Better défendu par le président démocrate. « Ce projet ressemble au New Deal du président Roosevelt. Il permettra d’améliorer les services à la petite enfance, de réduire les coûts de santé et de l’enseignement supérieur, de créer des emplois verts, etc. »
 

L’enseignement de l’histoire

« Jusqu’en 1965, nous avions une démocratie multiraciale, ajoute la présidente de l’AFT, car les entraves au droit de vote des Noirs étaient importantes. Aujourd’hui, des médias de droite et certains gouverneurs républicains veulent interdire l’enseignement de ces aspects de notre histoire. Je peux vous assurer que tant que je serai présidente, les enseignants enseigneront ces aspects de notre histoire. Il ne s’agit pas de politicaillerie entre démocrates et républicains, il en va de la vie dans les communautés où les gens peuvent se parler et vivre de manière harmonieuse malgré leurs différences. L’enseignement de l’histoire fait partie du combat pour la démocratie. Nous vaincrons les forces antidémocratiques et les forces du sectarisme. Ce sera notre héritage ! » a -t-elle conclu.

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