En France : Mathieu Bock-Côté, faire valoir d’Éric Zemmour

2021/10/29 | Par Pierre Dubuc

« À Europe 1, le matin, la promotion des thématiques zemmouriennes par Sonia Mabrouk et Mathieu Bock-Côté est devenue une farce », écrit le Canard Enchaîné dans son édition du 27 octobre 2021. Ces thématiques zemmouriennes – du nom d’Éric Zemmour, candidat présumé à la présidence de la France – se résument essentiellement aux questions relatives à l’immigration musulmane. Elles sont centrées sur le « grand remplacement », une théorie qui soutient que les musulmans sont en train de remplacer les Français « de souche » en France. Pour forcer leur assimilation, Zemmour veut interdire le prénom « Mohammed » et les « christianiser ». Il veut également renvoyer dans leur pays cinq millions d’immigrants en cinq ans, etc.

Pour le Canard, la prestation de MBC confirme le jugement posé dans son édition du 25 août où il l’étiquetait de « Québécois réac » en décrivant ainsi son arrivée à la chaîne radio : « L’extrême droite a déjà largement son rond de serviette à Europe 1. Le recrutement du Québécois réac Mathieu Bock-Côté, qui officiera tous les dimanches aux côtés de Sonia Mabrouk, a achevé de convaincre les plus sceptiques ». Le duo anime également l’émission de télé « Faut se parler » sur les ondes de CNews.
 

Le Fox News français

Les deux médias, Europe 1 et CNews, appartiennent au milliardaire Vincent Bolloré, 14e fortune de France selon le magazine Forbes. Il veut faire de CNews (et d’Europe 1), le Fox News français, sur le modèle de la chaîne de télé américaine, appartenant à Rupert Murdoch, qui a fait campagne pour Donald Trump.

L’article du Canard enchaîné rapporte que la reprise de contrôle d’Europe 1 par Vincent Bolloré a déclenché un exode des journalistes et des administrateurs de la station. Dans un premier temps, 42 personnes (dont la moitié de journalistes) ont quitté. Puis, 25 cadres ont démissionné ou négocié un départ, n’étant pas d’accord avec la nouvelle orientation de la station de radio.

Ce n’était pas une première. En 2016, la reprise en main du groupe Canal+, renommé CNews en 2017, par Vincent Bolloré avait entraîné une grève d'un mois de la rédaction pour réclamer son indépendance. Par la suite, plus des trois quarts des journalistes avaient quitté la chaîne télé.

« Il faut savoir, rapporte le Canard, que Bolloré, catho de choc, est obsédé, comme Zemmour, par le combat civilisationnel, la question de l’islamisme et la théorie du ‘‘grand remplacement’’ ».

Dans sa volonté de devenir le Fox News français, CNews est sur la bonne voie comme en témoignent ces faits rapportés par le Canard. Lundi 25 octobre, un journaliste a fabriqué « une scène à peine orientée, dans laquelle Zemmour croise opportunément une femme voilée à Drancy et la convainc, quel héros, d’enlever son fichu en direct ».

« On le sait depuis, poursuit le Canard, la dame en question a été recrutée par la production, transportée de chez elle à Drancy (elle habite à 40 bornes) et postée à proximité du Zemmour Circus avant d’être envoyée dans l’arène. »

Le Canard révèle également que la dame a été à l’emploi du groupe Bolloré jusqu’en 2017 et qu’elle « n’a pas eu trop de mal à ôter son voile, qu’elle ne porte que ‘‘depuis quelques mois’’ ». Bien entendu, le journaliste a juré « qu’il ne s’agissait pas d’une mise en scène de campagne grossière… » Le Canard conclut : « On se croirait dans l’Amérique de Donald Trump ! »
 

Qui est Éric Zemmour

Éric Zemmour était pratiquement inconnu jusqu’ici au Québec. Mais on ne perd rien pour attendre. Il va faire l’objet de nombreux reportages au cours des prochains mois car, avec un score de 17 % dans les sondages, il dispute à Marine Le Pen la possibilité d’affronter Emmanuel Macron au 2e tour de l’élection présidentielle.

Juif d’origine marocaine, ce chroniqueur-provocateur se permet des prises de position qui auraient amené les Français à descendre dans la rue si elles avaient été énoncées par une personne qui ne serait pas d’origine juive.

Ainsi, dans son livre Le Suicide français, publié il y a sept ans, il défendait la théorie du « moindre mal », selon laquelle le maréchal Pétain aurait « sacrifié les Juifs étrangers pour sauver les Juifs français, alors qu’en fait, souligne le Canard, « dès son arrivée au pouvoir, Pétain a de sa propre main durci le statut des Juifs, comme le prouve un document rendu public par l’avocat Serge Klarsfeld ». Plus de 24 000 Juifs français ont été déportés.

Lors de la Seconde Guerre mondiale, le maréchal Pétain avait capitulé devant l’invasion de la France et collaboré avec les Nazis. Il s’était octroyé le titre de « chef de l’État français ». Le régime de Vichy, qu’il a dirigé, a été déclaré « illégitime, nul et non avenu » par le général de Gaulle à la Libération. Jugé pour haute trahison en juillet 1945, il est condamné à la peine de mort. Sa peine sera commuée en emprisonnement à perpétuité.

Zemmour se proclame gaulliste et pétainiste, alors que ce sont des positions incompatibles et irréconciliables. En fait, il cherche à effacer cette démarcation historique entre la droite (gaulliste) et l’extrême-droite (pétainiste) pour élargir sa base électorale. MBC s’emploie également à cette tâche dans ses chroniques hebdomadaires dans le journal français Le Figaro.

Zemmour remet aussi en question l’innocence de Dreyfus. Officier militaire de confession juive, le capitaine Alfred Dreyfus a été faussement accusé de trahison, à la fin du XIXe siècle, pour avoir prétendument livré des documents secrets français à l’Allemagne. « L’Affaire Dreyfus » a profondément et durablement divisé la France en deux camps opposés : les « dreyfusards », partisans de l'innocence de Dreyfus, et les « antidreyfusards », partisans de sa culpabilité, sur fond de campagne antisémite. Zemmour, le Juif, fait du racolage auprès de la droite en affirmant que « ce n’est pas évident » que Dreyfus soit innocent. De quoi rallumer une vague d’antisémitisme. Il reprend en quelque sorte les mots d’une de ses références idéologiques, l’écrivain et homme politique français Maurice Barrès (1862-1923) : « Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race. »

Sur la question ultra-sensible de la guerre de libération de l’Algérie, il a déclaré se situer « du côté » du général Bugeaud qui, lors de la conquête de l'Algérie par la France, « massacrait les musulmans et même certains juifs ».

Zemmour a été condamné à plusieurs reprises pour provocation à la haine et à la discrimination raciale. Il a, entre autres, traité les mineurs étrangers non accompagnés de « voleurs », « violeurs » et « assassins ».
 

Deux ingrédients explosifs

Dans une chronique parue dans le journal Le Monde, le politiste italien Giuliano da Empoli, affirme, citant les exemples de Trump et du Mouvement Cinq étoiles du clown Bebbe Grillo en Italie, que « l’extrémisme d’Éric Zemmour ne constitue pas sa limite, ce qui le condamnera tôt ou tard à ‘‘plafonner’’ », mais bien au contraire « le carburant qui nourrit sa course ».

Il poursuit : « Son sujet de prédilection, l’immigration, est précisément celui qui a permis aux nationaux-populistes du monde entier de faire exploser le clivage droite-gauche pour capter les suffrages de tous les fâchés, et pas simplement des fachos. »

Il suffit d’une personnalité capable de traduire électoralement un mouvement basé sur « la combinaison de deux ingrédients explosifs : la rage de certains milieux sociaux et l’algorithme de Facebook ».

C’est le rôle auquel aspire Éric Zemmour, avec la complicité, entre autres, d’un Mathieu Bock-Côté.

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