Écoles privées et loi 101 : Saluons les positions adoptées par le PQ

2021/12/08 | Par Pierre Dubuc

Saluons l’adoption par le Parti Québécois de deux résolutions phares, l’une en faveur de l’application des dispositions de la loi 101 au cégep et l’autre prônant la suppression des subventions publiques aux écoles privées. Si elles sont propagées largement et adoptées une fois le parti au pouvoir, elles témoigneraient d’une volonté de transformation majeure de la base électorale du Parti Québécois et un signe de perspectives prometteuses.
 

Un peu d’histoire récente

Ces deux résolutions ont marqué l’histoire du Parti Québécois. À son congrès de 2005, le PQ a adopté une résolution réclamant l’abolition des subventions publiques aux écoles privées, mais a battu celle réclamant l’application de la loi 101 au cégep. Ce rejet a été la cause de la démission de Bernard Landry, les militants en faveur de cette résolution ayant refusé de lui renouveler leur confiance, le privant des votes qui lui aurait permis d’atteindre son objectif d’un taux d’approbation de 80 %. Déjà, en 1996, Lucien Bouchard s’était fait servir la même médecine pour s’être lui aussi opposé à la loi 101 au cégep. Contrairement à Landry, courroucé lui aussi de n’avoir obtenu qu’un taux d’approbation de 76 %, Bouchard avait attendu quelque temps avant de démissionner.

Dans la course à la chefferie déclenchée après la démission de Landry, et à laquelle j’ai participé, j’ai été le seul des neuf candidats à prendre clairement position pour la proposition du congrès concernant la fin des subventions publiques aux écoles privées. Mme Marois s’y est ralliée in extremis lorsque je lui ai signifié, au terme de la campagne, que mon ralliement à sa candidature était à ce prix. Pourtant, elle aurait dû soutenir avec enthousiasme une telle position puisque c’était une des principales conclusions des États généraux sur l’éducation qu’elle avait pilotés lorsqu’elle était ministre de l’Éducation (1996-1998) dans le gouvernement Bouchard.

Quant à l’application des dispositions de la loi 101 au cégep, la proposition est revenue sur le plancher au congrès de 2011 et a été adoptée après une âpre bataille menée par Pierre Curzi appuyé, entre autres, par le SPQ Libre. Mais, une fois au pouvoir, le gouvernement Marois a exclu cette proposition de sa réforme de la loi 101. Par la suite, les congrès subséquents du Parti Québécois ont biffé ces deux propositions du programme.
 

Une direction élitiste fondée sur la ségrégation scolaire

Le rejet des propositions concernant les écoles privées et la loi 101 au cégep reflète la composition sociale de la direction du Parti Québécois et la base sociale élitiste qu’elle représente. L’élite québécoise tient à envoyer ses enfants à l’école privée et au cégep anglais, même si cela produit le système scolaire le plus ségrégationniste du Canada – comme l’a montré le Conseil supérieur de l’Éducation (CSE) dans son Rapport de 2016 – et va à l’encontre des intérêts fondamentaux de la population et de la nation québécoise.

Dans ce rapport, le CSE révélait que le nombre d’élèves qui fréquentent une école privée avait quadruplé depuis 1970 (21,5 % par rapport à 5,2 %). Cette proportion atteignait 35 % en Estrie, 39 % à Montréal et 42 % à Québec ! De plus, pour concurrencer les écoles privées, les écoles publiques ont mis en place des programmes particuliers pour les élèves plus performants. Le nombre d’inscrits dans ces programmes particuliers au secondaire atteignait 17,2 %. Une majorité de ces programmes proposent l’anglais intensif et préparent les élèves à leur admission au cégep anglais.

Cela a pour conséquence que la proportion d’élèves du réseau public déclarés en difficulté est passée, en dix ans, de 13 % à 20,8 % et 70 % de ces élèves sont intégrés en classe ordinaire. Le résultat est que ces classes sont ingérables et entraînent la démission rapide d’enseignantes et d’enseignants. La moitié quitte la profession dans les cinq premières années. Pourtant, affirme le CSÉ, de nombreuses études démontrent que la mixité scolaire ne retarde pas l’étudiant brillant, tandis qu’elle aide grandement celui qui est en retard.

Le caractère de classe de cette ségrégation a été bien documenté par le CSE. Seulement 16 % des écoles secondaires publiques dont l’indice de milieu socioéconomique est faible proposent à leurs élèves des programmes particuliers, alors que pour les établissements dont l’indice de revenu est moyen ou élevé, ce pourcentage atteint respectivement 46,2 % et 42,4 %.

Concernant l’école privée, 7 % de l’effectif provient de milieux à faibles revenus (revenu familial moyen de moins de 50 000 $), 21 % de la classe moyenne (revenu familial entre 50 000 $ et 100 000 $) et 72 % de milieux favorisés (revenu familial supérieur à 100 000 $).

Cette ségrégation n’est évidemment pas étrangère au fait que l’analphabétisme demeure un fardeau pour près de 2,5 millions de Québécois, selon une récente étude commandée par le Fonds de solidarité FTQ.

Le financement public représente près de 70% du budget des écoles privées. En Ontario, par exemple, il n’existe aucun financement public des écoles privées. Au Québec, les classes ouvrière et populaire financent à même leurs impôts le réseau privé où cette élite envoie ses enfants. La situation est semblable, sinon pire au cégep et à l’université, où le réseau anglais est largement surfinancé à même les fonds publics – pensons à Dawson et McGill – comme l’a documenté notre chroniqueur Frédéric Lacroix.

Sur ces deux enjeux, l’école privée et le cégep anglais, le Parti Québécois va-t-il avoir le courage d’en faire un thème majeur de la prochaine campagne électorale et opérer ainsi ce virage qui lui permettrait de renouer avec ses origines, soit de représenter les intérêts fondamentaux de la majorité de la population ?
 

Un peu d’histoire longue

Dans le deuxième tome de sa biographie consacrée à Guy Rocher, Le sociologue du Québec (Québec Amérique), Pierre Duchesne raconte les péripéties entourant ces deux questions lors de la Commission Parent où siégeait à titre de commissaire Guy Rocher.

Dès les premières séances privées des commissaires avec les intervenants du monde de l’éducation, raconte Duchesne, Guy Rocher ne songe aucunement à remettre en question l’existence du collège classique. Mais, rapidement, il en vient « à constater que la culture de l’élite promue par le collège classique génère une dimension ‘‘qui pose un problème social’’ à la société canadienne-française. »

La discrimination sociale était patente. En 1953, le collège classique est fréquenté par 7 % des jeunes de treize à vingt ans. Les fils de professionnels et d’administrateurs occupent, en 1954, 46 % des places dans les collèges classiques, bien qu’ils ne représentent que 14 % des enfants du Québec. Quant aux trois quarts des enfants du Québec, fils d’ouvriers et de cultivateurs, ils ne constituent que 43 % de la clientèle de ces mêmes collèges.

Duchesne rappelle qu’à l’époque, la moitié des adultes n’avait pas fait plus que cinq à six années d’études. Dans certaines régions, c’était plus de 60 %. Aux États-Unis, où la condition des Noirs américains n’est guère enviable, ces descendants d’esclaves, qui doivent vivre dans un régime ségrégationniste, avaient pourtant accumulé en 1960 une année de scolarité de plus, en moyenne, que les francophones du Québec. (D’où l’origine et l’à-propos, permettons-nous d’ajouter, de l’expression de Pierre Vallières « Nègres blancs d’Amérique ».)

Il est particulièrement intéressant de voir comment les membres de la Commission Parent en sont venus à remettre en question la pertinence même des collèges classiques qu’aucun mémoire n’avait osé critiquer.

C’est tout simplement, après avoir élaboré un ensemble de scénarios, favorisant plusieurs réformes simultanées, et dessiné une nouvelle structure générale de l’enseignement, en s’appuyant sur « le principe de la démocratisation de l’éducation » !

Ce principe a été évacué au cours des dernières décennies, constate aujourd’hui Guy Rocher. Déjà, en 1973, puis à nouveau en 1993, il dénonce dans des publications la place occupée par le secteur privé. « Nous avons laissé se développer un secteur privé financé par les fonds publics aux dépens de l’enseignement public, lequel a connu une attristante dévalorisation, alors qu’on avait pu espérer, à la suite de la Révolution tranquille, en faire l’école commune, accueillante par la polyvalence à tous les talents et à tous les goûts. »

À partir des années 1980, une autre conception de l’égalité des chances s’est imposée : celle du libre choix des parents. Commentant le rapport de 2016 du Conseil supérieur de l’éducation, que nous évoquions précédemment, Guy Rocher reconnait que « les politiques des trente dernières années, tiraillées entre la recherche de l’équité et la valorisation de l’excellence méritocratique » ont entraîné des dérives et donné naissance à une école à plusieurs vitesses, devenue inégalitaire.

« La multiplication des programmes particuliers sélectifs et des établissements privés entraine des inégalités de traitement au bénéfice des plus favorisés. Autrement dit, ceux qui en auraient le plus besoin ne profitent pas des meilleures conditions pour apprendre, ce qui est contraire à l’équité », constate-t-il.

« Nous avons une école secondaire de plus en plus élitiste. Le décrochage est dû à un système qui favorise les meilleurs », estime Guy Rocher. L’idéologie méritocrate, écrit-il, basée sur la concurrence, domine le système actuel d’éducation, « devenu sélectif par le haut, à tendance élitiste et standardisé à l’excès ».

Le chercheur Pierre Doray, cité dans le livre, explique que seulement 37 % des étudiants confinés aux filières régulières se rendent au cégep; mais pour ceux qui ont été sélectionnés dans les programmes enrichis, 69 à 95 % vont au cégep.
 

La petite porte devenue grande

La réforme du présent système ne sera pas facile, comme ne l’ont pas été les transformations proposées à l’époque par la Commission Parent.

En 1964, le nouveau ministre de l’Éducation, Paul Gérin-Lajoie, avait déclaré : « Ne nous leurrons pas de mots, et appelons les choses par leur nom. La deuxième tranche du rapport Parent préconise un système unique d’enseignement dans lequel il n’y aura plus de place pour des institutions telles que les écoles normales, les collèges classiques, les instituts familiaux et autres cours tels que nous les connaissons maintenant. »

Quelques jours plus tard, il avait dû corriger le tir dans un communiqué distribué aux médias : « Contrairement à ce qu’une dépêche de presse m’a attribué lundi dernier, la mise en application des recommandations de la commission Parent n’entraînera pas nécessairement la disparition des institutions indépendantes. »

Pour que les choses soient claires, le premier ministre Lesage avait renchéri : « Il n’est pas question, par exemple, que mon petit bonhomme voie se fermer le pensionnat Saint-Louis-de-Gonzague, où je continuerai de l’envoyer. »

Guy Rocher a confié à Pierre Duchesne que proposer un système d’éducation qui met fin au monopole des collègues classiques comme passerelle unique menant aux études supérieures fut une tâche « beaucoup plus difficile à vendre que l’idée du ministère de l’Éducation ».

« C’était un grand débat entre nous, rappelle Guy Rocher. Il y avait un désaccord profond. » Les commissaires Paul Laroque et Jeanne Lapointe sont favorables au retrait de toutes les subventions à l’école privée, ainsi que David Munroe, alors que sœur Marie-Laurent de Rome souhaite les maintenir.

Guy Rocher, qui a longtemps hésité avant de prendre position sur cette question, accepte finalement le financement au privé, mais ces subventions doivent demeurer complémentaires. « On a finalement ouvert une petite porte, explique-t-il. On subventionne les écoles privées dans la mesure où elles s’insèrent dans le projet public. »

L’application que le gouvernement fera de cette recommandation sera tout autre. « On a été très ambigus dans le rapport à ce sujet. Ça me choque encore ! Je suis en colère. » Rapidement après le dépôt de l’ultime rapport, le gouvernement mettra en place un groupe de travail sur l’enseignement privé. « Cela a permis au lobby des institutions privées d’utiliser ce comité pour élargir le financement, pour le solidifier et pour créer aussi un fort lobby. »
 

L’anglicisation des immigrants

L’autre grand débat de la Commission Parent est celui de l’anglicisation des immigrants. Guy Rocher raconte : « Je n’ai jamais eu l’occasion de reparler de ce débat que nous avons eu à la Commission Parent. Mais il a constitué, pour moi en tout cas, un des moments difficiles de la Commission Parent. Probablement un débat plus difficile que celui concernant la confessionnalité, où finalement, on voyait assez clair, malgré tout. »

Ce débat brise à nouveau l’unité de la Commission. Jeanne Lapointe, sœur Marie-Laurent de Rome et Guy Rocher en viennent à développer une argumentation justifiant que des mesures étatiques soient prises afin que « les immigrants envoient leurs enfants à l’école française ». Cette éventualité est solidement repoussée par Gérard Filion et Paul Laroque, de même que par les commissaires anglophones, David Munroe et John McIlhone. Quant au président, il demeure neutre, fidèle à son habitude. 

La Commission Parent ne statuera pas sur la question. Mais Guy Rocher aura l’occasion d’y revenir puisqu’il fera partie de l’équipe qui épaulera le Dr Laurin pour la rédaction de la loi 101.
 

À la croisée des chemins

Sur ces questions de l’école privée et de la loi 101 au cégep, le Québec est à la croisée des chemins. « Notre système scolaire, de plus en plus ségrégé, court le risque d’atteindre un point de bascule et de reculer sur l’équité », déclarait, il y a déjà 6 ans, le Conseil supérieur de l’éducation dans son Rapport. Mais notre élite s’est bien gardée d’entendre la sonnette d’alarme. Il n’y a évidemment rien à attendre sur cette question du gouvernement Legault. Tout comme sur la loi 101 au cégep.

Quant à Québec solidaire, il a adopté lors de la dernière campagne électorale, « un plan pour transférer graduellement au réseau public les subventions données aux écoles privées et permettre à ces écoles de s'intégrer au réseau public avec leur personnel », mais il en a peu parlé. Même silence sur la question de la loi au cégep. Manifestement, on ne veut pas déplaire à sa base électorale qui envoie ses enfants à l’école privée et au cégep anglais.

Alors, au Parti Québécois de relever ce défi et d’en faire des thèmes majeurs de la prochaine campagne électorale. Ce serait faire preuve d’un réel courage politique, qui serait annonciateur de sa détermination à mener le combat pour l’indépendance.