Gestion des forêts et de la faune : L’Action boréale demande une enquête publique

2021/12/08 | Par Richard Desjardins et Henri Jacob

Depuis 20 ans que l’Action boréale milite pour une fores­te­rie rai­son­née et pour le main­tien de ter­ri­toires à l’état natu­rel, force est de consta­ter que le MFFP désa­voue ces objec­tifs et méprise de plus en plus ouver­te­ment ceux qui le contestent.

Les récentes déci­sions que le minis­tère a prises ne laissent aucun doute quant à son obs­ti­na­tion à demeu­rer un simple comp­toir de per­mis de coupes, sans plus.

En effet, il a fallu dix ans de tra­vail (20102020) pour que la société civile en arrive à défi­nir un plan de pro­tec­tion du ter­ri­toire à hau­teur de 17 % des grandes régions éco­lo­giques du Qué­bec, et ce, confor­mé­ment aux accords inter­na­tio­naux enté­ri­nés par le Qué­bec. En décembre 2020 cepen­dant, le MFFP a uni­la­té­ra­le­ment écarté les pro­jets pré­vus au sud du 49e paral­lèle (Chi­bou­ga­mau) pour les « dom­per » dans la grande toun­dra sans arbres, qui se pro­tège toute seule. Quatre-vingt-trois pro­po­si­tions d’aires pro­té­gées venaient ainsi de pas­ser à la trappe dans le sud, là où la bio­di­ver­sité est la plus mena­cée à court terme.

Quelques jours plus tard, le MFFP accor­dait des droits de coupe dans l’un de ces pro­jets d’aires pro­té­gées, le ter­ri­toire du Péri­bonka, au Lac-Saint-Jean. Un «bijou natu­rel», comme l’avait qua­li­fié le pre­mier ministre. Face à une opi­nion publique démon­tée, le MFFP a « sus­pendu » les coupes pour un an.
 

Les derniers caribous

Autre déci­sion aber­rante : la mise en enclos des sept der­niers cari­bous fores­tiers de Val-d’Or. Depuis 1984, nous savons que le trou­peau de cari­bous fores­tiers de Val-d’Or péri­clite. On sait par­fai­te­ment pour­quoi. Cet ani­mal se nour­rit en hiver de lichen qu’on ne retrouve que dans les vieilles forêts de rési­neux. Quand un che­min fores­tier est tracé, l’ori­gnal l’emprunte, et der­rière lui, ses pré­da­teurs, dont le loup, qui se tape un cari­bou en amuse-gueule, en pas­sant. Plu­tôt que de sim­ple­ment fer­mer les accès, le minis­tère encourage l’abat­tage main­te­nant des loups. En réa­lité, le MFFP est inca­pable de s’ima­gi­ner une vieille forêt qui vive d’elle-même. Sur­tout quand elle se trouve à 30 kilo­mètres de Val-d’Or et de ses usines. Fai­sant sem­blant d’être embêté par cette affaire de cari­bous, le ministre du MFFP, Pierre Dufour, a demandé en 2018 à l’Action boréale de lui sou­mettre un plan de réha­bi­li­ta­tion du trou­peau. Ce qui fut réa­lisé avec l’assis­tance de deux bio­lo­gistes émi­nents à la retraite. Aucun accusé de récep­tion du plan.

Mais ce n’est pas tout à fait vrai. Il y a eu effec­ti­ve­ment un accusé de récep­tion, sous la forme de la visite d’un huis­sier à la rési­dence du pré­sident de l’Action boréale lui enjoi­gnant de ne plus évo­quer publi­que­ment le nom du haut fonc­tion­naire du MFFP res­pon­sable du « dos­sier cari­bou », en l’occur­rence Fran­cis For­cier.

Dans la fou­lée, notre pré­sident fut cava­liè­re­ment exclu d’une table de concer­ta­tion por­tant sur le sort du cari­bou. Nous ne sommes pas de nature impres­sion­nés par l’inti­mi­da­tion, mais nous savons quand même en détec­ter l’odeur.
 

Le ministère vénère l’industrie forestière

À la fin des années 1800, l’unique ren­trée d’argent dont le gou­ver­ne­ment pou­vait dis­po­ser pro­ve­nait exclu­si­ve­ment des droits de coupe de bois. Cette véné­ra­tion abso­lue du gou­ver­ne­ment envers l’indus­trie fores­tière per­dure en dépit du fait qu’une com­mis­sion d’étude majeure (rap­port Cou­lombe, 2004) ait éta­bli que nos forêts sont sur­ex­ploi­tées, mal exploi­tées. Et en dépit du fait que la popu­la­tion ne perçoit plus notre ter­ri­toire comme un stock de mètres cubes à la dis­po­si­tion des com­pa­gnies. Or le MFFP entre­tient tou­jours son archaïque véné­ra­tion envers l’indus­trie. Il est là, le pro­blème.

C’est pour cette rai­son qu’une enquête publique, indé­pen­dante, sur la ges­tion de nos forêts et de leur faune s’impose.

À l’inté­rieur de ce minis­tère, au fil du temps, s’est consti­tuée une cel­lule puis­sante d’une ving­taine de hauts fonc­tion­naires – un bun­ker – imper­méable aux autres uti­li­sa­tions du ter­ri­toire fores­tier. Tous nos gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs ont toléré cette « créa­tion tech­no­cra­tique », pre­nant bien garde de la coif­fer d’un ministre sans grande enver­gure, sur­tout inex­pé­ri­menté dans le domaine com­plexe de la ges­tion fores­tière, et qui répé­tera en public les phrases creuses, sinon absurdes, que lui dic­tera le bun­ker.

L’actuel ministre, Pierre Dufour, en est un par­fait exemple. Avant sa pro­mo­tion minis­té­rielle, il n’a jamais eu de contact avec le monde fores­tier. Récem­ment, on lui a même demandé de décla­rer solen­nel­le­ment que plus on cou­pait d’arbres, mieux on lut­tait contre les gaz à effet de serre ! Une aber­rante affir­ma­tion reje­tée par l’entière com­mu­nauté scien­ti­fique du monde.

Le bun­ker effec­tue les inven­taires, attri­bue les volumes de bois, pla­ni­fie les coupes, les encadre, se débar­rasse d’espèces ani­males qu’il estime encom­brantes. Il exerce son droit de veto sur les ententes entre les tierces par­ties, y com­pris les Pre­mières Nations. Puis il dis­tri­bue les amendes pour non-confor­mité à ses dik­tats, per­pé­tuant ainsi, et sans gêne, son embar­ras­sante situa­tion de juge et par­tie. Même l’Hydro ne jouit pas d’une telle impu­nité.
 

Une meilleure utilisation du territoire

Ce minis­tère doit être déman­telé afin de lui sub­sti­tuer une orga­ni­sa­tion capable de réflé­chir à un plan pour une uti­li­sa­tion beau­coup plus convi­viale du ter­ri­toire fores­tier, impli­quant tout d’abord les Pre­mières Nations. Une enquête publique indé­pen­dante pourra expli­quer mieux que nous cette dérive majeure qui a entraîné le MFFP à renier sa loi fon­da­men­tale : pro­té­ger la forêt.