Une Révision, un film à voir et à revoir

2021/12/15 | Par Pierre Mouterde

L’article est paru initialement sur le site Presse-toi à gauche

Peut-être qu’en jetant un oeil sur le synopsis d’Une révision, le dernier film de la Québécoise Catherine Therrien, vous n’y verrez qu’un film anecdotique, traitant d’une question bien spécifique : celle de la contestation d’une note donnée par un prof de philo dans une classe de cegep ; vous poussant par là même à ne pas y prêter plus d’attention qu’il ne faut.

Pourtant, voilà un film qui mériterait d’être vu et revu, tant il nous aide à comprendre ce qu’on tend si souvent à ignorer, et tant il nous permet de démystifier la manière dont dans nos sociétés contemporaines, et par conséquent au Québec, se joue aujourd’hui la question du pouvoir !

L’interrogation posée dès le départ par le film aurait pu néanmoins nous amener sur des chemins bien convenus, ceux par exemple d’un face à face caricatural entre Québécois « pure laine » adeptes du repli identitaire, et antiracistes indignés se revendiquant d’un wokisme sans nuances.

Mais ce n’est pas le cas d’Une révision, qui pourtant s’attaque à cette même thématique, en mettant en scène, d’un côté un prof de philo de cegep (joué par Patrick Robitaille) qui fait bien apercevoir devant une classe médusée, la profondeur de la pensée de Spinoza et sa volonté de rejeter tout ce qui ne ressort pas de conclusions rationnelles. Et de l’autre côté, une jeune étudiante musulmane studieuse et voilée (jouée par Nour Belkhiria) qui dans sa dissertation argumentative s’est appuyée sur des versets du Coran, lui valant de la part de son prof, une mauvaise note qu’elle va s’employer tout au long du film à contester.

Et bien sûr, on va voir se profiler dans ce film, au fil d’un scénario très vivant et plein de rebondissements, le fameux débat philosophique opposant les adeptes de la « raison » à ceux de la « foi » ainsi que toutes les questions oh combien d’actualité qui en découlent concernant la portée exacte de la laïcité, de l’enseignement public, ou encore de la liberté académique et de l’inclusion. Mais la réalisatrice n’en restera pas là. Elle va nous pousser à porter attention aussi à ce qui se joue à l’arrière plan de ce débat et auquel d’ordinaire nous ne prêtons guère attention.

Le pouvoir du 3ième larron

Car il y a un troisième larron qui va dans le film prendre de plus en plus d’importance et apparaître pour ce qu’il est vraiment. : c’est l’administration du collège représentée par la directrice des études (jouée par Édith Cochrane) et qui, au lieu d’aider à trouver une solution féconde à ce conflit —en somme à le dépasser— va au contraire en imposer une sur le mode répressif et manipulatoire.

En effet, comme cela tend à se faire de plus en plus dans les collèges, le film va nous montrer une administration qui, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, ne prendra pas parti pour les idéaux d’une école aspirant à faire connaître à tous et toutes le meilleur des savoirs de l’humanité universelle (rappelez-vous le rapport Parent !). Elle va au contraire dans le droit fil de cette nouvelle philosophie néolibérale qui hante les directions de maisons d’enseignement, choisir a priori le camp de l’étudiante, rappelant au prof que son rôle est moins d’enseigner un savoir donné que « d’accompagner ses étudiants » qui, eux, ont des droits qu’il s’agit de scrupuleusement respecter, à fortiori quand on croit aux valeurs de l’inclusion, et qu’on a dans sa classe une étudiante musulmane portant l’hijab.

Et quoi apparemment de plus convaincant, de plus progressiste, de plus « cool » qu’une administration qui prend le parti des étudiants ! Sauf que ce faisant, l’administration va être conduite, comme on le voit dans le film, à exiger du prof qu’il modifie la note qu’il a donnée à l’étudiante, en piétinant non seulement allégrement les plates bandes pédagogiques du professeur (ce qu’on appelle sa liberté académique) mais encore les exigences mêmes de sa discipline : cette fameuse recherche du vrai qui caractérise la philosophie.

Étouffer les questions de fond

Mais plus encore, obnubilée par la seule gestion d’une clientèle étudiante arrimée aux exigences sonnantes et trébuchantes du marché du travail, elle va tout faire pour éviter les questions de fond soulevées par un tel dilemme. Et – depuis la position de pouvoir qui est la sienne — elle s’emploiera à étouffer tout questionnement sur les exigences d’un authentique savoir concernant le vivre-ensemble pensé dans le cadre d’une société démocratique, faisant au passage l’impasse sur toute l’indéniable fécondité pédagogique d’un « dialogue confrontatif » qui devrait être au cœur de la relation prof/étudiant. Se contentant de se donner hypocritement bonne conscience, en jouant le jeu de la rectitude politique, c’est-à-dire en donnant l’illusion à tout un chacun qu’elle tient, elle, la solution vertueuse, alors qu’elle ne fait qu’alimenter et renforcer —en en cachant la véritable nature— les logiques d’un pouvoir autoritaire et néolibéral.

Résultats : c’est là où nous emmène peu à peu le film, la jeune étudiante aura gain de cause et le prof sera renvoyé, parce qu’il se refusera à changer la note de son étudiante qui néanmoins – dernier clin d’oeil de la réalisatrice — ne sera pas dupe, et finira par prendre son parti !

Loin de toutes les caricatures et simplifications, de toutes les pseudo-oppositions entre soit-disant « identitaires » et « wokistes », il nous permet d’apercevoir comment aujourd’hui fonctionnent les logiques de pouvoir dans une institution d’enseignement, et donc, si on en élargit la portée, comment elles s’expriment dans la société entière.

C’est là où gît la profondeur de ce film : nous rappeler –au fil d’un histoire apparemment bien banale de révision de note— les exigences du vrai comme de la liberté ! N’est-ce pas à cela qu’on peut reconnaître la véritable valeur d’une œuvre d’art ?