Décoloniser le Québec

2022/01/14 | Par André Binette

L’auteur est avocat constitutionnaliste
 

Dans leur vaste majorité, les critiques du Québec par le Canada anglais sont mal fondées parce qu’elles visent à maintenir un rapport de domination entre nations. Les critiques du Québec par les minorités noire et musulmane sont également le plus souvent disproportionnées, même si elles détiennent un droit fondamental à la non-discrimination. La loi 21 n’est nullement discriminatoire. Le Québec peut à bon droit adopter le projet de loi 96 pour renforcer la langue française. L’usage de la clause dérogatoire pour contrer les effets néfastes d’une Constitution illégitime est valide et approprié.

Cependant, il en va tout autrement de la critique du Québec dans la perspective autochtone. Cette critique est fondamentalement juste et justifiée. Le Canada et le Québec sont des sociétés coloniales depuis Jacques Cartier et, malgré certains efforts ponctuels, elles le demeurent aujourd’hui.

Il ne sert à rien de se défiler en disant que notre colonialisme est moins affreux que celui du voisin. Cela ne change rien au fait que le colonialisme est par définition fondé sur l’inégalité raciale. Le colonialisme a d’abord été français; il a ensuite été britannique; il est aujourd’hui canado-québécois.

La situation historique du peuple québécois est compliquée parce qu’il est à la fois dominateur et dominé. Il se situe à un niveau intermédiaire, complice de l’oppression des nations autochtones et brimé par le Canada. Il n’existe pas le début de l’ombre d’une prise de conscience de cette situation historique chez aucun des partis représentés à l’Assemblée nationale du Québec ni à l’intérieur du mouvement indépendantiste.

Il y a des conditions incontournables à remplir pour espérer arriver à un dialogue respectueux et fructueux avec les Premières nations:

1. Reconnaître le racisme systémique au Québec. Nous ne nous rendrons jamais au premier but d’un dialogue approfondi et authentique avec les nations autochtones reconnues par l’Assemblée nationale sans cette reconnaissance, car pour elles le racisme systémique est au cœur de leur expérience historique avec les peuples canadien et québécois, et cette expérience se perpétue chaque jour. Il est absurde de soutenir que le Québec est le seul endroit en Amérique du Nord ou le racisme systémique n’existe pas. Le colonialisme est indissociable du racisme systémique depuis 1534. Les Autochtones n’ont jamais eu les mêmes droits que les Français en Nouvelle-France.

2. Reconnaître que l'oppression des Autochtones est canado-québécoise depuis l'obtention du gouvernement responsable en 1848. Les premières lois pour civiliser les Sauvages du Québec en les enfermant dans des réserves datent de 1851, à l’époque du gouvernement de Louis-Hippolyte Lafontaine à la tête du Québec et de l’Ontario réunis pour former temporairement le Canada-Uni. La Loi sur les Indiens et les lois québécoises sur le territoire et les ressources naturelles sont complémentaires. La Loi sur les Indiens a toujours eu pour fonction de déblayer le territoire de l’occupation autochtone pour permettre au gouvernement du Québec de procéder au développement des ressources naturelles sans obstacle. Dans la perspective autochtone, ce sont les deux volets d’une même oppression.

3. Modifier les lois québécoises sur les ressources naturelles et l'aménagement du territoire, ainsi que le Code civil, pour refléter et respecter les droits autochtones. Ces lois ne sont pas conformes au droit international, plus précisément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007, qui a été introduite à l’intérieur du droit canadien par une loi fédérale en juin 2021. Il faut procéder à une révision en profondeur des lois du Québec pour les rendre conformes à la Déclaration, comme ce fut le cas lors de l’adoption des chartes des droits du Canada et du Québec.

4. Étendre le modèle de la Paix des Braves aux autres nations autochtones qui y ont droit. Ces nations sont cinq d'entre elles à mes yeux : les Innus, les Attikameks, les Anishnabés, les Micmacs et les Malécites. Ces nations détiennent des droits territoriaux non cédés, c’est-à-dire sans traité. Les revendications des Cris, des Inuit et des Naskapis ont été réglées par un traité moderne, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, et ses nombreuses modifications. Les Mohawks, les Abénaquis et les Hurons-Wendat sont des cas particuliers qui peuvent néanmoins bénéficier du droit international et du droit constitutionnel canadien. Nous nous autocongratulons d’une Paix des Braves qui est un règlement hors Cour d’un recours judiciaire des Cris. Jamais le Québec n’a reconnu les droits des nations autochtones sur le territoire de son plein gré. Il est particulièrement odieux qu’en 2022 le seul moyen d’obtenir d’autres Paix des Braves est toujours par la voie judiciaire, dans des recours qui coûteront des millions à des communautés autochtones appauvries par le refus du gouvernement du Québec de partager avec elles les revenus du développement des ressources naturelles sur leurs territoires ancestraux. Ce refus illégal est une démonstration éclatante du racisme systémique, parce qu’il n’y a que les Autochtones qui sont victimes au Québec d’une telle violation massive, sur plusieurs siècles, de leurs droits fondamentaux.

5. Créer le forum parlementaire permanent promis par René Lévesque en 1985 pour un dialogue approfondi et constant avec les nations et les communautés autochtones. Si ce forum n’a pas été créé, c’est parce que tous les partis à l’Assemblée nationale préfèrent éviter un dialogue authentique avec les nations autochtones qui ne pourrait conduire qu’à la reconnaissance de leur oppression. Il faudra continuer à repenser nos institutions politiques afin que la représentation politique autochtone soit pleinement intégrée.

6. Associer les Autochtones au développement des ressources naturelles sur leurs territoires traditionnels en leur donnant une part équitable des revenus futurs et une compensation pour le passé, tout en leur réservant une partie des contrats (par exemple à des PME forestières et de voirie autochtones, comme c'est déjà le cas pour les Cris et les Inuit). La compensation sera comparable aux 3,5 milliards $ consentis par Bernard Landry aux Cris sur 50 ans. Il est normal et légitime que les Premières Nations deviennent des acteurs économiques majeurs dans leurs régions et dans l’ensemble du Québec.

7. Intégrer les Autochtones dans les gouvernements régionaux qu'il faut créer par ailleurs. La solution à la question autochtone est en grande partie régionale.

8. Adopter une Constitution du Québec qui sera conforme à la Déclaration des droits des peuples autochtones que l'ONU a adoptée en 2007.

C'est seulement à ces conditions que le colonialisme québécois prendra fin. Nous en sommes encore loin en tant que nation. D'ici là, l'autosatisfaction n’est pas de mise. Sur ce sujet, notre classe politique, tous partis confondus, a jusqu’ici lamentablement échoué.

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