À quand une saine gestion de l’immigration au Québec?

2022/01/21 | Par Anne Michèle Meggs

Voyons la réalité en face : le système d’immigration au Québec ne fonctionne plus. Concernant le Programme de travailleurs étrangers temporaires (PTET), Le Devoir du 11 janvier rapporte que les gouvernements et les employeurs se réjouissent des modifications au programme, sur la base d’un projet pilote, alors que le syndicat le plus concerné fait part de ses préoccupations.

Les employeurs sont contents de pouvoir augmenter à 20 % la proportion de leurs effectifs qui peuvent être embauchés dans le cadre de ce programme. En même temps, on souligne que le gouvernement fédéral ne réussit déjà pas à fournir des permis temporaires dans les délais raisonnables. S’il n’y arrive pas à 10 %, pourquoi penser qu’il arriverait à 20 % ?

Jean Boulet, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, mais également de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, répète pour la énième fois que le Québec veut rapatrier ce programme, sans nous dire quels changements il y apporterait. De toute manière, Marie-Claude Bibeau, la ministre fédérale de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, a répondu « non » à cette revendication, ajoutant que « l’immigration demeure une compétence fédérale ». Quelqu’un devrait lui rappeler que l’immigration et l’agriculture sont des compétences partagées. Les provinces et le fédéral peuvent légiférer dans ces domaines. Il est un peu surprenant que la ministre de l’Agriculture se prononce sur l’avenir de ce programme. Les négociations se sont toujours déroulées entre les ministres de l’immigration et de l’emploi du Québec et du Canada.

La lettre de mandat de Trudeau au nouveau ministre de l’Immigration, rendue publique le 16 décembre dernier, ne mentionne pas le Québec en lien avec le PTET. Le ministre est pourtant mandaté, avec son homologue responsable de l’emploi, pour « établir un système d’employeur de confiance pour les entreprises canadiennes embauchant des travailleurs étrangers temporaires ». Ce sera donc le fédéral qui déterminera quelles entreprises québécoises seront frappées de l’interdiction d’embaucher les travailleurs étrangers temporaires.

On répète sans cesse que ce programme est critique pour combler la pénurie de main-d’œuvre, sans jamais en faire la démonstration. Examinons quelques chiffres.

  • Selon Statistique Canada, à la fin septembre 2021, il y avait 238 050 postes vacants au Québec.

  • En 2021, il y a eu 29 570 titulaires de permis PTET, la majorité dans les mois de mars, avril et mai. Il s’agit du plus grand nombre au cours des six dernières années et le double qu’en 2017.

  • Au 31 décembre 2020 (les données les plus récentes), il y avait 17 155 titulaires de permis PTET au Québec.

  • Le nombre de titulaires de permis PTET admis, c’est-à-dire qui obtenu la résidence permanence dans les 10 premiers mois de 2021 était de 145. Cela fait au moins six ans que ce nombre n’a pas dépassé 600. Il est même à la baisse pendant cette période.
     

Le PTET est peut-être critique pour trouver des travailleurs dans quelques secteurs précis, notamment les secteurs manufacturier, de l’hébergement et de la restauration et de la transformation alimentaire, mais il est loin d’être LA solution à la pénurie de main-d’œuvre au Québec.

Le PTET est de loin le plus modeste des programmes d’immigration temporaire et le pire à presque tous les points de vue. Il offre uniquement des permis fermés, c’est-à-dire que le travailleur (d’ailleurs ils sont presque tous des hommes) est lié à un seul employeur. C’est ce type de permis qui donne lieu à presque toutes les histoires d’horreur, d’exploitation et de mauvaises conditions, couvertes par les médias. Même si ces histoires ne représentent heureusement qu’une minorité des employeurs qui embauchent les travailleurs étrangers temporaires, la nature même du programme ouvre la porte aux abus et cela en dépit de multiples annonces des deux niveaux de gouvernement concernant la surveillance des employeurs et des conditions de travail. Pour recruter, les employeurs ont souvent recours aux agences, qui sont une autre source d’exploitation potentielle et qu’il faut aussi réglementer. Les travailleurs étrangers temporaires qui se trouvent dans un lieu de travail syndiqué ont de la chance.

S’il y a un volet du PTET pour les postes à haut salaire, c’est le volet visant plutôt les postes à bas salaire1 qui intéresse le plus les employeurs. Pourtant, une étude de Statistique Canada a démontré que, contrairement aux personnes occupant un emploi temporaire bien payé, le fait d’avoir occupé un emploi à bas salaire temporaire au Canada ne donne aucun avantage à long terme, en termes d’intégration socio-économique, aux personnes immigrantes qui réussissent à obtenir leur résidence permanente. Elles demeurent à bas salaire pendant longtemps.

Ces postes n’exigent souvent même pas un diplôme d’études secondaires. Il n’y a aucune exigence de connaissance du français. Ce sont souvent des emplois extrêmement durs physiquement et même psychologiquement, qui peuvent avoir des conséquences néfastes sur la santé à long terme. Ce volet du PTET attire parfois des personnes parmi les plus démunies de la planète, venant des pays qui n’ont pas nécessairement les systèmes de santé développés et gratuits pour soigner les travailleurs qui retournent par la suite chez eux.

De plus, comme la porte-parole des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC, affiliés à la FTQ) Roxane Larouche précise : c’est une solution temporaire pour un problème permanent parce que la majorité de ces emplois sont eux-mêmes permanents. Pourtant le but exprès du PTET tel que défini sur le site du fédéral est clair : ce Programme « est destiné à être utilisé lorsque vous (l’employeur) faites face à des pénuries de compétences et de main-d’œuvre à court terme, et lorsque des Canadiens et des résidents permanents ne sont pas disponibles ».

Devant une situation où on essaie de combler des postes permanents, le TUAC revendique un processus d’immigration économique permanente pour ces travailleurs ou un mécanisme pour faciliter l’accès à la résidence permanente. Bonne idée. La résidence permanente s’assurerait que ces travailleurs ne seraient pas de seconde classe, qu’ils auraient les mêmes droits que tous les travailleuses et travailleurs québécois. Même les porte-paroles des employeurs reconnaissent que l’immigration permanente serait préférable.

Au Québec, c’est le gouvernement québécois qui contrôle l’immigration économique permanente. Il est envisageable que le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) élabore un programme qui satisferait beaucoup mieux que le PTET les besoins tant des travailleurs que des employeurs, et même de la société d’accueil. Mais il se félicite plutôt d’avoir obtenu des miettes de projets pilotes gérés par le fédéral.

Pourquoi le MIFI ne propose-t-il pas une telle solution permanente? Peut-être parce qu’il sait que la gestion de l’immigration permanente au Québec a donné lieu à un inventaire de plus de 60 000 personnes sélectionnées en attente actuellement de leur résidence permanente, dont 18 000 qui sont déjà au Québec, vivant dans la précarité avec un permis de séjour temporaire. Insister pour que le gouvernement fédéral accélère le traitement de ces demandes créerait à court terme l’apparence d’une hausse du nombre de personnes immigrantes accueillies. Mais ce serait faux. À cause de l’immigration temporaire, il y a plus de quatre fois le nombre de personnes immigrantes au Québec que les données d’admission laissent croire. Soit plus de 160 000 résidents non permanents à la fin de 2019, comparé à 40 000 nouveaux résidents permanents la même année.

On peut dire que la gestion de l’immigration va mal au Québec

1 Inférieur au salaire horaire médian provincial, 23,08 $ en 2019 au Québec, le dernier chiffre disponible selon le site fédéral.

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