Autochtones : L’héritage de l’Approche commune (1)

2022/02/04 | Par André Binette

Pour relancer fondamentalement le dossier autochtone au Québec, un traité avec la nation des Innus doit être une priorité. Cette nation francophone, plus proche de la majorité québécoise que certaines autres, occupe un territoire ancestral, le Nitassinan, situé dans de vastes régions qui sont vitales pour l’économie québécoise. Le Nitassinan recouvre le Saguenay-Lac-Saint-Jean, l’ensemble de la Côte-Nord et la région de Schefferville. Il chevauche également une partie du Labrador et du territoire de la Convention de la Baie James.

Les Innus ont déposé une demande officielle de négociation d’un traité en 1979, il y a plus de quarante ans. Après plusieurs années d’efforts, une entente de principe, appelé l’Approche commune, a été signée en 2004 par le gouvernement canadien, le gouvernement du Québec et quatre des neuf communautés innues. Normalement, une entente de principe donne lieu à un traité peu après, dont elle établit les grandes lignes. Cela ne s’est malheureusement pas produit jusqu’ici dans ce cas.
 

Question de volonté politique

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation. En 2003, le gouvernement Charest a pris le pouvoir. Le négociateur du Québec depuis quelques années était Louis Bernard, qui avait été le secrétaire général du gouvernement au moment des deux référendums sur la souveraineté. Il bénéficiait d’un accès direct aux premiers ministres Lucien Bouchard et Bernard Landry, ainsi que d’une autorité morale sur l’ensemble de la fonction publique, deux des clés du succès dans une telle entreprise. Après le changement de gouvernement, le ministre libéral Benoît Pelletier a signé l’Approche commune, mais on peut penser que la volonté politique n’y était plus dans la même mesure que sous le gouvernement précédent. Les gouvernements péquistes ont été les plus proactifs dans le dossier autochtone.

La Convention de la Baie James, que Robert Bourassa a négociée en catastrophe sous la contrainte judiciaire et qui a été modifiée par la Paix des Braves à la suite d’un second recours majeur des Cris, était le premier traité avec les Premières nations au Canada à avoir été signé par une province. Sauf erreur, c’est toujours le seul à ce jour. Il ne peut pas être question d’un traité entre le gouvernement fédéral et une nation autochtone au Québec sans la participation active du gouvernement du Québec. Une pratique spécifique de négociation des traités s’est élaborée au Québec qui le distingue encore une fois du Canada.

Du côté fédéral, Paul Martin a remplacé Jean Chrétien au poste de premier ministre en 2004. Même s’il était sensible à la question autochtone, le gouvernement Martin a tout de suite été affaibli par le scandale des commandites légué par son prédécesseur et a amorcé un déclin rapide qui a conduit à la perte du pouvoir au profit de Stephen Harper deux ans plus tard. C’est d’autant plus dommage que la collaboration fédérale-provinciale avait été bonne dans ce dossier. Le négociateur fédéral, André Maltais, et un ancien sous-ministre de la Justice influent à Ottawa, Roger Tassé, avaient réussi à infléchir une position fédérale qui avait été immuable pendant deux siècles : l’exigence de l’extinction des droits ancestraux comme condition première de la signature d’un traité. Les Cris et les Inuit avaient accepté en 1975 cette condition traditionnelle d’Ottawa, qui est décriée à l’ONU et incompatible avec le droit international; par l’article 2.1 de la Convention de la Baie James, ils ont renoncé à leurs droits ancestraux de nature territoriale. Pour les Innus et d’autres nations autochtones du Québec et du Canada, il ne pouvait pas en être question, ce qui a retardé considérablement leurs perspectives d’obtenir un traité.

L’Approche commune se distingue par le fait qu’elle ne conduit pas, pour la première fois dans l’histoire canadienne, à l’extinction des droits ancestraux. Elle a plutôt pour but de les définir dans une perspective de coexistence contemporaine. Si certains droits ancestraux ne sont pas visés par le traité annoncé, ils continueront d’exister sous une forme évolutive qui pourra être déterminée par les tribunaux.
 

Manque d’unité chez les Autochtones

Un autre obstacle majeur à la signature d’un traité a été le manque d’unité politique de la nation innue. La demande initiale de négociation avait été faite au nom de la nation entière, composée de neuf communautés, conjointement avec la nation attikamek. La partie autochtone s’est fragmentée au cours des années 1990. Les Attikameks ont créé leur propre démarche parallèle, et les neuf conseils de bande innus créés par la Loi sur les Indiens n’ont pu maintenir une position unanime. Certains d’entre eux, tels que Pessamit près de Baie-Comeau, ont toujours des litiges majeurs contre Hydro-Québec et les deux gouvernements au sujet d’infrastructures hydroélectriques telles que Manic 5. L’Approche commune ne tenait pas suffisamment compte de tels enjeux particuliers, qui peuvent être résolus par la négociation.

Lorsqu’ils ont signé la Convention de la Baie James, les Cris et les Inuit avaient des structures nationales fortes, sauf quelques dissidences inévitables. Les Innus, en vertu de leur droit à l’autodétermination interne, peuvent s’organiser autrement. L’absence d’un organisme central qui agit au nom de l’ensemble de la nation a conduit à des revendications territoriales par communauté qui alourdissent les négociations. La gestion des fonds reçus dans le cadre du traité serait également problématique dans ce contexte.
 

Des signes encourageants

Il existe des signes encourageants. Hydro-Québec a signé récemment une entente sur la production d’énergie éolienne, appelée Apuiat, avec les neuf communautés innues. Et en janvier 2022, celles-ci ont signé ensemble une entente avec les Cris sur l’exercice de leurs droits de chasse ancestraux sur le territoire de la Convention, qu’elles fréquentent depuis des temps immémoriaux, réglant ainsi un autre contentieux qui durait depuis plusieurs décennies. Ce sont peut-être les signes annonciateurs d’une unité retrouvée.

Un traité équitable avec les Innus est clairement dans l’intérêt de la nation québécoise. Il pourrait être obtenu d’ici environ deux ans si toutes les parties y mettent la volonté requise. Un traité avec les Innus pourrait créer un modèle rapidement applicable à d’autres nations autochtones, davantage que la Convention de la Baie James qui s’applique à un milieu nordique particulier. Il constituerait un déblocage majeur du dossier autochtone au Québec.

L’Approche commune de 2004 demeure pertinente et devrait, avec certains ajustements nécessaires, servir de base à la négociation. La semaine prochaine, j’en ferai un examen plus détaillé.

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