Sunday, bloody Sunday

2022/02/04 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est artiste pour la paix
 

Faits politiques tenus dans l’ombre

Des milliers de manifestants pacifiques marchent pour les droits de l’homme à Derry le 30 janvier 1972. Quatorze d’entre eux sont tués par des membres du premier bataillon de parachutistes britanniques, réputé féroce. Retranchés devant leur caserne où ils reçoivent sur la tête quelques bouteilles de bière d’excités, ils décident de se venger en pourchassant des marcheurs. S’ensuit le massacre.

Les rangs de la branche armée de l’IRA s’en trouveront renforcés pour des décennies, jusqu’à ce que le général De Chastelain, chassé de l’armée canadienne par Harper parce que trop pacifiste - il avait refusé que l’armée tire une seule balle contre les manifestants de Kanesatakeh en 1990 -, vienne en mission en Irlande du Nord avec des idées précises sur comment arrêter la violence : à la tête du Corps international de commission des armes, il va détruire les dépôts d’armes illégaux, alternant intelligemment ceux du révérend protestant Ian Paisley avec ceux de l’IRA, jusqu’à ce que les adversaires irréductibles catholiques et protestants acceptent, plutôt que de s’affronter en stériles et meurtrières chicanes, de s’asseoir dans un parlement. Ils y partagent finalement…le légendaire sens de l’humour irlandais (Oscar Wilde, James Joyce, George Bernard Shaw, Samuel Beckett…), un résultat de paix obtenu aussi grâce à l’action civile de Mairead Maguire, prix Nobel de la Paix 1976.

Une enquête conduite par Lord Saville sur une décennie complète conclura que les civils de 1972 n’étaient pas armés et que les soldats ont livré de faux témoignages, provoquant en 2010 des excuses du Premier ministre David Cameron (« injustifié et injustifiable »), mais aucune accusation contre les commandants coupables. Et De Chastelain rentrera à la maison, non reconnu face à d’autres généraux qui auront dépensé vingt mille fois plus pour faire une guerre ratée en une Afghanistan dévastée qui meurt de faim aujourd’hui.
 

U2 pour la paix

À Paul David Hewson dit Bono (né le 10 mai 1960 à Dublin), des Irlandais reprocheront d’avoir créé une chanson non patriote, pacifiste, puisque U2 la présentera souvent dans une mise en scène avec drapeau blanc. En mémoire, ses mots non partisans mais prophétiques : « Je ne peux croire aux nouvelles d’aujourd’hui; je ne peux fermer les yeux ni faire tout disparaître; essuie les larmes de tes yeux, essuyez vos yeux injectés de sang; nous devrions être immunisés, quand les faits sont une fiction et la télé une réalité. Combien de temps devra-t-on chanter cette chanson? »

Quelques semaines avant le massacre, j’étais à Londres, dans une foule nerveuse, encerclée par des policiers hostiles, à vibrer à un discours patriotique de Bernadette Devlin, qui affirmait avec courage l’indépendance irlandaise face aux colonialistes militaristes. Mais la complainte lancinante géniale Sunday, bloody Sunday, répétée tout au long, reflète le désespoir d’une population excédée des bombes patriotiques et de la répression britannique : véritable art pour la paix, elle apaisera le conflit! Jusqu’à ce qu’on trouve le moyen, espérons-nous, d’unifier l’Irlande sans brimer le droit des protestants de l’Ulster.
 

Pacifistes patriotes

Rayon chanson patriotique, on trouve entre autres chez nous Un nouveau jour va se lever, de Jacques Michel chanté par Pauline Julien, la Bit' à TiBi de Raôul Duguay qu’il a pensé refaire en rap avec Samian et aussi Gens du pays que son co-créateur Gaston Rochon refusa à René Lévesque comme hymne national, parce qu’il ne voulait pas qu’une future armée québécoise marche sur ses rythmes.

Après Les ordres de Michel Brault gagnant au Festival de Cannes, le film patriotique de Pierre Falardeau Octobre pâlit, surtout en comparaison à son propre chef d’œuvre, 15 février 1839 où le couple Sylvie Drapeau-Luc Picard nous arrache les larmes en personnifiant les patriotes résistant contre l’imposition d’une autorité britannique bafouant la démocratie parlementaire. Ils réitéreront l’émotion, en lisant Gaston Miron et Pierre Vadeboncoeur aux funérailles de Pierre le 3 octobre 2009 à Longueuil.

À la manière des Claude Gauthier et Claude Léveillée, du Bozo-les-culottes de notre co-fondateur des APLP Raymond Lévesque et de l’Alouette en colère de Félix Leclerc, le fils de Paul Rose, Félix, livrera un message moins abrasif que le FLQ au Gala Québec Cinéma, en recevant le Prix du public pour son film attachant, en particulier pour le portrait de sa mère, Les Rose : « Vous venez d’envoyer un message fort à l’industrie. Le genre documentaire, fondateur de notre cinéma, est populaire. Donnons-lui davantage de visibilité, et ce, dans toutes les régions du Québec. J’ai été particulièrement ému par le fort achalandage chez les jeunes qui m’ont souvent répété On ne connaît pas notre histoire et on veut en savoir plus. Merci aux cinéastes, aux archivistes et aux institutions qui conservent notre mémoire. Votre rôle est précieux. »

Florent Vollant APLP1993 a entonné la marche tranquille des Innus dans leur propre langue, tandis que Gaston Miron, ressuscité en chansons par Chloé Sainte-Marie, triomphe en 2003 avec Je marche à toi, prix Félix de l'album folk, couronné aussi d’un prix Coup de cœur de l’Académie Charles-Cros en France. Et grâce aux cours de son amie Joséphine « Bibitte » Bacon, l’APLP 2009 lance un album entièrement chanté en langue innue, une création de l'auteur-compositeur-interprète Philippe McKenzie.

En dénonciation du racisme, Gilles Vigneault créa le personnage inoubliable de Jack Monoloy, qu’il vient de retirer de SPOTIFY en solidarité avec Neil Young et Joni Mitchell outrés du contrat de millions de $ accordé par la multinationale qui spolie les créateurs et donne sa tribune à un radioman complotiste trumpiste.

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