It’s a Mad, Mad, Mad World…

2022/02/16 | Par Michel Rioux

Le Bilan du siècle de l’Université de Sherbrooke rapporte que le 7 février 1993, 45 000 personnes avaient bravé un froid de moins 25 pour dénoncer le projet de loi 105 présenté à Ottawa par le ministre Bernard Valcourt. Cette loi mettait la hache dans les mesures progressistes mises en avant vingt ans plus tôt par le ministre Bryce Mackasey dans la Loi de l’assurance-chômage. Perché sur une estrade d’environ 25 pieds, Steve « Cassonade » Faulkner, faisant preuve d’un grand courage, avait agrémenté la manifestation avec son piano.

Le président de la CSN, Gérald Larose, avait averti le Parti conservateur de Mulroney : « Cette loi, c’est votre tombe politique et ce sont les travailleurs et les travailleuses du Québec qui vont la mettre en terre ! »

Neuf mois plus tard, il ne restait plus qu’un député conservateur au Québec et ce parti avait été rasé de la carte électorale, ne faisant élire que deux députés dans tout le Canada.

Les manifestations organisées au fil du temps par les organisations syndicales n’ont pas l’honneur, en dépit du nombre de protestataires, de faire les manchettes, ce genre d’évènement étant la plupart du temps relégué au mieux en page trois.

Vingt ans auparavant, en septembre 1973, le président élu du Chili, Salvador Allende, tombait sous les balles de l’armée du général Pinochet. Une mobilisation dite populaire contre le gouvernement avait alors été organisée par des... camionneurs. On apprendra plus tard que cette grève avait été menée en sous-main par la CIA et financée, entre autres, par l’International Telephone and Telegraph (ITT).

Aujourd’hui, ce sont encore des camionneurs qui ont servi de prétexte au siège de la ville d’Ottawa et à une fin de semaine de carnaval à Québec. Les manifestations syndicales auraient sans doute reçu davantage d’échos si elles avaient joui de la bénédiction des Trump, du gouverneur de la Floride, d’une organisation regroupant des suprémacistes blancs dans les Plaines de l’Ouest, de policiers et militaires à la retraite, de Maxime Bernier, de Fox News et de la frange la plus à droite du Parti conservateur. Soyons assurés que les caméras se seraient certes délectées des drapeaux ségrégationnistes, nazis et de QAnon.

Les manifestants ont beau dénoncer les « merdias », laquais du pouvoir, pourchasser les journalistes pour leur faire un mauvais parti, que ne ferait-on pas, par contre, pour une belle photo, pour un beau cadrage télévisé ou encore pour un touchant reportage de type « human interest », devenant ainsi les fusées porteuses d’un populisme infect et de plus en plus dangereux. « Vous êtes des ostis de complices, » leur a lancé monsieur Bernard Gauthier, dit Rambo, terminant son point de presse improvisé par un tonitruant : « Allez chier tabarnak ! »

Avouons qu’il faut être un peu maso sur les bords pour prendre tout ça avec le sourire.

À cet égard, un reporter s’est surpassé. Encore ébaubi sans doute de se retrouver assis sur le siège arrière du pick up Ford-150 de monsieur Bernard Gauthier, et de son acolyte, monsieur Kevin Grenier, dit Big, on aurait cru assister à la montée triomphale de Napoléon vers Paris, après son évasion de l’île d’Elbe, en 1815. 

À Chicoutimi, « une foule d’adorateurs… »  

« Big Grenier crie pour enterrer la tempête de klaxons et de hourras qui souffle sur son passage... » 

« Ils ont cinq à six kilomètres de partisans à leurs trousses – et un journaliste à l’arrière… »  

« Les gens nous voient quasiment comme des sauveurs… »  

« Sur leur route, l’accueil est triomphal… »

 « Le long de la 175, les gens se massent… »

 « Les pancartes affichent un cœur ou un merci… »

« Lui et la nuée d'internautes qui les appuient… » 

« Une foule d'adorateurs réunis devant l'hôtel Mont-Valin … » 

« Les chefs de la locomotive libertaire… ».
 

Que voilà d’éjaculations multicolores dans un si court trajet. Décidément, Napoléon n’en aurait pas demandé autant à ses agents de propagande… 

Voilà un journaliste qui projette l'image d'un groupie, émerveillé de se trouver en compagnie de deux taupins qui se présentent comme des libérateurs de peuple. Il y est précisé que les principales qualités de monsieur Big Grenier semblent son âge, son poids et sa hauteur. À ne pas confondre avec la grandeur, qui se mesure des épaules en montant...

Et les médias ? « Pour ce qui est de nos médias, je trouve ça cool, ils n'ont eu aucune entrevue des organisateurs, de nous autres, pis ça va continuer comme ça », a dit monsieur Rambo. Il avait sans doute oublié qu'au même moment, il y avait un journaliste dans son pick up… C'est d'ailleurs un coup de communication remarquable : ses pantalonnades sont publiées dans un grand quotidien sérieux, de ceux qui, dit-il, écrasent les p'tits culs comme lui... La réussite est totale !

Mais la chose qui devient de plus en plus dramatique et inquiétante, c’est de voir la plupart des camionneurs, dont la revendication initiale pouvait se discuter, et ces honnêtes citoyens, fatigués comme des millions d’autres des nécessaires mesures visant à préserver la santé du plus grand nombre, être utilisés et manipulés par des complotistes qui, à l’instar de ce que pratiquait Saddam Hussein, vont jusqu’à utiliser des enfants pour empêcher que ne soit mis fin, à Ottawa, au siège de la capitale du ROC.

Toujours en retard dans le siècle, les conservateurs en ont appelé à la levée du siège, constatant avec stupeur qu’ils ont contribué, comme le père de Frankenstein,  à créer un monstre dont ils ont perdu le contrôle.

Le mot de la fin appartient au même Gauthier, dit Rambo : «  S’ils nous écoutent pas, on sait ce qui s’est passé ailleurs… » Oui ! Il y a eu le Capitole… Et monsieur Grenier, dit Big, d’ajouter : «  J’ai du monde qui m’ont dit qu’ils étaient prêts à faire des tueries tabarnak ! », ajoutant qu’ils sont « prêts à prendre les armes et aller au parlement ! ». 

Un monde fou, oui. Drôle ? Pas pantoute !