Répression en Colombie : L’appel à l’aide de Natalia Zapata

2022/02/16 | Par Luc Allaire

Que se passe-t-il vraiment en Colombie ? « J’ai peur pour ma vie, pour la vie de ma famille et celle de mes amis », affirmait Natalia Zapata dans un appel à l’aide envoyé sur Instagram le 6 mai 2021. Elle y explique qu’elle a 27 ans, qu’elle habite à Cali, troisième ville la plus peuplée de Colombie et qu’elle parle français, car elle a vécu en France pendant ses études. « Ce message, dit-elle, est un véritable appel à l’aide internationale. Depuis le 28 avril, le peuple colombien se fait réprimer dans le sang dans les rues des villes, parce qu’il manifeste contre la corruption. »

Cet appel à l’aide est devenu viral en France et en Belgique avec plus de 600 000 vues1.

La militante de la FTQ, Denise Gagnon, a rencontré Natalia Zapata à Cali dans le cadre d’une mission québécoise et canadienne de vérification des droits humains, qui s’est rendue en Colombie du 25 novembre au 7 décembre 2021. Cette délégation était composée de syndicalistes, d’une professeure universitaire, de membres de la coopération internationale, de membres de comités de solidarité Canada-Colombie, de travailleurs sociaux et d’un député du Bloc Québécois, Simon-Pierre Savard-Tremblay.

Natalia Zapata a rappelé à Denise Gagnon les horreurs qu’elle a observées lors des manifestations populaires qui ont eu lieu à la suite de l’explosion sociale consécutivement à de l’adoption d’une politique fiscale régressive par le gouvernement colombien. Une injustice de trop aux yeux de la population !

Face à la censure de plusieurs médias, Natalia Zapata a documenté comme photographe la répression qui s’est abattue sur les manifestations pacifiques qui ont eu lieu à Cali. « Les gens étaient assassinés sans scrupules par les forces publiques. Tous les jours, il y avait des morts, car la police tirait à balles réelles sur les manifestants. Quand on est en danger, on devrait pouvoir faire appel à la police, mais que peut-on faire quand ce sont les forces de police qui causent les dégâts ? »

Selon les rapports officiels, il y eut 30 morts et une centaine de personnes disparues au cours du premier mois de manifestations. Mais les organisations de défense des droits humains dénoncent la sous-estimation des cas de disparition. Plusieurs de ces organismes établissent le nombre de disparitions à 300, voire plus. Ces disparitions sont à l’origine du thème adopté par la mission québécoise et canadienne, « Vivos se los llevaron. Vivos los queremos » (Vivants ils ont été pris. Vivants nous les voulons).
 

 

Les manifestations de la grève nationale (le Paro) se sont arrêtées en juillet 2021. Depuis ce temps, le gouvernement colombien a invité les organisations de la société civile à participer à des tables de consultation. La majorité des personnes rencontrées par la mission ont mentionné avoir participé à ces consultations avec différents paliers et institutions du gouvernement, le tout sans succès.

Ces consultations n’aboutissent pas ou, pire, elles sont des façons pour le gouvernement d’identifier les leaders sociaux pour ensuite s’en prendre à eux. Les cas de criminalisation mensongère de leaders sociaux se sont multipliés.

Les membres de la délégation ont noté un profilage systématique des leaders sociaux et syndicaux avec de lourdes conséquences pour eux, leurs familles et les communautés. « Plusieurs des personnes qui critiquent les politiques et les actions de l’État sont stigmatisées, se font harceler, déplacer, enlever, criminaliser et même tuer, affirme la délégation dans un communiqué de presse publié le 7 décembre 2021. Même des personnes n’ayant pas participé aux différentes manifestations sociales sont touchées, les jeunes en particulier, et plusieurs victimes de la diversité sexuelle et de genre. De plus, des leaders et des membres de communautés autochtones ont souligné avoir été attaqués par des civils armés lors de grèves, parfois même appuyés par la police. Ces acteurs ont rapporté avoir été témoins de violence similaire perpétrée à l’encontre des communautés afro-colombiennes dans le contexte de la défense de leur territoire contre les compagnies minières. »

Sur sa page Facebook, le député fédéral Simon-Pierre Savard-Tremblay souligne qu’il s’est rendu à l'Escuela Nacional Sindical à Medellín où de nombreux leaders sociaux ont fourni « des témoignages sur la répression des travailleuses et travailleurs ainsi que des viols de droits sociaux et environnementaux commis par plusieurs entreprises minières enregistrées à Toronto ».

La délégation a visité plusieurs communautés directement affectées par les nombreuses activités de compagnies minières et hydro-électriques enregistrées au Canada et soutenues, dans plusieurs cas, par des investissements canadiens. Déplacements forcés, atteintes à la santé, à la mobilité, fracture du tissu social, militarisation du territoire, criminalisation et assassinats de défenseurs socio-environnementaux font partie des violations systématiques des droits fondamentaux observés dans toutes les régions visitées.

Les organisations colombiennes rencontrées par la délégation comptent beaucoup sur la solidarité internationale pour que cessent les crimes perpétrés par le gouvernement colombien. Étrangement, le président colombien Iván Duque compte lui aussi sur des appuis internationaux, à la veille des élections législatives qui auront lieu le 13 mars 2022 et les élections présidentielles, le 29 mai 2022.

En effet, il s’est rendu à Paris au début de février où il était aux côtés du secrétaire général de l’OCDE, Mathias Cormann, lors du dévoilement de la dernière Étude économique de l’OCDE sur la Colombie. M. Cormann a louangé les réformes structurelles visant à renforcer la protection sociale, les finances publiques et la productivité. « Les mesures énergiques et ciblées mises en œuvre par les autorités colombiennes pour faire face à la pandémie ont ouvert la voie à de nouvelles réformes structurelles visant à rendre la croissance durable et à s’assurer qu’aucun Colombien n’est laissé pour compte », a déclaré M. Cormann.

Chose certaine, contrairement à ce que prétend M. Cormann, de nombreux Colombiens sont laissés pour compte par le gouvernement Duque, qui maintient un modèle d’intervention systématique répressif et très inquiétant pour l’avenir.

Paradoxalement, l’étude de l’OCDE est beaucoup plus nuancée : « Néanmoins, à plus longue échéance, la croissance comme l’inclusion sociale sont entravées par les carences des politiques structurelles, qui excluent de l’emploi formel et de la protection sociale plus de la moitié des personnes exerçant une activité rémunérée, tout en empêchant les entreprises de se développer et de gagner en productivité. Rompre ce cercle vicieux en adoptant des réformes ambitieuses permettrait à la Colombie de progresser considérablement en termes de bien-être matériel. »

Rappelons que la Commission syndicale consultative de l’OCDE, dont sont membres la CSQ, la CSN et le CTC, s’était opposée à l’intégration de la Colombie à l’OCDE, compte tenu du non-respect des droits humains et notamment les droits des travailleuses et travailleurs. Malgré cet avis contraire, l’OCDE a admis la Colombie le 28 avril 2020.

Que se passe-t-il vraiment en Colombie ? "J’ai peur pour ma vie, pour la vie de ma famille et celle de mes amis" (rtbf.be)