Plaidoyer pour la laïcité

2022/02/18 | Par Nadia El-Mabrouk

Mon engagement pour la laïcité a débuté avec le projet de Charte du Parti Québécois. Exiger des employés de l’État de ne pas afficher leur religion dans l’exercice de leur fonction me paraissait relever du simple bon sens. Mais les attaques démesurées contre le Québec qui en ont découlé m’ont choquée. C’est ce qui m’a fait prendre conscience, après une dizaine d’années passées au Québec, du fossé qui sépare le Québec du reste du Canada en termes de valeurs, de modèle social, de modèle d’intégration. C’est là que j’ai compris l’importance de protéger le modèle québécois qui favorise une citoyenneté commune, basée sur une langue commune, des valeurs communes, un modèle très différent du multiculturalisme canadien qui, au contraire, mise sur la valorisation des différences et des particularismes religieux et identitaires.

Ce qui m’a décidé à m’engager publiquement dans ce débat, c’est le fait que les plus virulents opposants au projet de laïcité du PQ étaient des musulmans et que, par ailleurs, on entendait très peu ceux qui souhaitent la laïcité et qui ont même choisi le Québec pour la laïcité.

Or, les partisans et les opposants à la laïcité ne se divisent en « Québécois de souche » et « minorités ethniques ». C’est absurde ! Les débats sur la laïcité et les droits des femmes ont aussi court dans les pays musulmans. Il suffit de penser à Raïf Badawi emprisonné en Arabie saoudite en raison de ses positions en faveur de la laïcité, la liberté d’expression, les droits des femmes. La société tunisienne d’où je viens est tiraillée par des tensions islamistes auxquelles la société civile résiste, pour défendre la liberté des femmes, décriminaliser l’homosexualité, établir l’égalité dans l’héritage, permettre à une femme d’épouser un non-musulman, dénoncer le voilement des filles. Il faut savoir que le port du voile islamique a longtemps été interdit dans la fonction publique tunisienne.

C’est la raison pour laquelle j’ai trouvé important de joindre ma voix à celle de Djemila Benhabib, de Fatima Houda-Pepin, ou de mes amis de l’Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité, pour exprimer, en tant que Québécoise d’origine musulmane, mon soutien au projet de loi du PQ.
 

Pourquoi la laïcité ?

Pour s’assurer que des règles religieuses n’interfèrent pas, à travers des «accommodements religieux», avec des règlements, des lois adoptées démocratiquement.

Pour respecter le contrat social qui fait que les employés de l’État, les enseignants, les policiers, sont au service de la population, et non l’inverse, et sont donc tenus de respecter un devoir de neutralité dans les faits et dans les apparences. Et plus la société est diversifiée, plus ce devoir de neutralité s’impose.

C’est aussi, pour s’assurer que nos enfants ne soient pas soumis à des pressions religieuses à l’école, à des valeurs religieuses contraires aux valeurs citoyennes que l’école se doit de transmettre, comme l’égalité entre les femmes et les hommes.

Pour que l’école ne soit pas l’écho des croyances, des dogmes et des idéologies, mais le lieu de transmission des connaissances appuyées par le raisonnement logique, la rigueur scientifique.

Pour que l’école soit le lieu de socialisation et de valorisation d’une citoyenneté commune, et non pas un lieu qui exacerbe les appartenances et les pratiques religieuses individuelles. En un mot, pour que l’école soit un lieu de liberté et non pas d’enfermement communautaire.

Les Québécois qui ont vécu avant et pendant la Révolution tranquille savent très bien ce que signifie l’emprise religieuse, notamment celle de l’Église catholique, sur leur vie et savent très bien l’importance de la laïcité notamment pour préserver les droits des femmes. D’ailleurs, le mouvement féministe au Québec est particulièrement impressionnant. Il a permis des avancées sociales uniques qui profitent autant aux femmes qu’aux hommes. Ces femmes et ces hommes connaissent le sens du mot liberté, et comprennent bien ce que leur disent les femmes venues de pays musulmans qui ont combattu l’emprise de l’islam politique. C’est pourquoi je me suis sentie en phase avec ce mouvement féministe, avec mon amie Diane Guilbault, Présidente de Pour les droits des femmes du Québec, qui est malheureusement décédée en 2020. Nous avons porté ce dossier de la laïcité dans les médias, à l’Assemblée nationale, nous avons fait entendre les voix des Québécois, de toutes origines, pour qui la laïcité est essentielle.

Mais, malheureusement, tout est toujours à refaire, et on continue d’entendre la même rengaine sur le fait que la laïcité serait un projet exclusivement « Blanc », de « Québécois de souche », raciste, liberticide, discriminatoire envers les musulmans. C’est absurde ! Si la religion s’apparentait à une « race », à une caractéristique immuable de la personne comme la couleur de peau, alors on ne pourrait pas parler de « liberté religieuse ». Par ailleurs, la Loi 21 s’applique à toutes les religions de la même façon, aux deux sexes de la même façon. S’il y a discrimination, c’est dans les règles religieuses qu’il faut les voir, pas dans la loi.

Et, encore une fois, l’aspiration à la laïcité de l’État n’est pas un projet de Québécois de souche. Yasmine Mohammed, une Canadienne de Vancouver qui s’est libérée de l’emprise d’une famille islamiste qui l’a voilée de force, mariée de force à un membre d’Al-Qaida, défend la Loi 21 du Québec et dénonce le fait que les musulmanes qui s’expriment pour la laïcité et contre l’idéologie islamiste et le voilement des femmes soient ignorées ou même accusées d’islamophobie.

Parce qu’au Canada c’est la promotion du voile qui prime. On préfère ignorer la réalité, le fait que des femmes soient emprisonnées, tuées dans certains pays musulmans parce qu’elles ne sont pas suffisamment voilées, que des petites filles soient obligées de le porter, même ici au Canada et au Québec, interdites de faire du vélo, du sport. On préfère ignorer cette réalité et écouter plutôt celles qui nous présentent le voile comme une liberté individuelle.

Quelle sorte de liberté ces anti-loi21 veulent-ils défendre? Comment se fait-il que les chartes des droits soient maintenant utilisées pour défendre cette vision étriquée de la liberté individuelle, au détriment des libertés collectives? En fait, cette interprétation abusive de la liberté religieuse est en train de faire reculer les libertés, et de fragiliser les droits des femmes, les droits des enfants qui ne sont plus protégés contre l’endoctrinement et l’enfermement communautaire.

La laïcité de l’État est un projet progressiste, émancipateur, solidaire, porteur de valeurs citoyennes importantes. Et c’est le modèle social et le modèle d’intégration qu’a choisi le Québec. C’est un choix légitime qui nous appartient.

Je reprends la 2e raison qui est donnée sur la page du RPS, sur l’importance de l’indépendance du Québec : «Avoir la capacité de choisir nous-même les voies de notre avenir selon nos intérêts collectifs, en particulier pouvoir faire toutes nos lois.»

Défendre notre modèle québécois de laïcité, c’est donc défendre notre indépendance. On a le droit et le devoir de le faire.