De l’expansion de l’Otan à la destruction de l’Ukraine

2022/03/08 | Par Gabriel Laverdière

Introduction et traduction par Gabriel Laverdière
 

De nombreux médias, politiciens et politologues estiment que l’expansion de l’Otan vers l’Est n’a pas constitué une menace pour la Russie et que, donc, elle ne saurait expliquer l’agression russe de l’Ukraine. Ces voix actuellement prédominantes associent plutôt cette explication à un argumentaire « pro-russe » – et donc trompeur. Or, quantité de spécialistes – politiciens, chefs d’État, chercheurs – ont, depuis maintes années, mis en garde l’Occident contre ces manœuvres de l’Otan, qui pouvaient, selon eux, mener à une catastrophe militarisée. Hélas, ces avertissements n’ont pas été entendus. Voici quelques citations (puisées au fil Twitter de @RnaudBertrand) qui en rendent compte.

• William James Perry, ministre de la Défense sous Clinton, rapportait, dans ses mémoires parus en 2015, des propos tenus en 1996 : selon lui, l’élargissement de l’Otan était responsable de « la rupture des relations avec la Russie ». Il avait, à l’époque, vigoureusement protesté contre le projet d’inclure de nouveaux pays dans l’alliance.

• En 1997, Paul Keating, premier ministre de l’Australie, a déclaré : « La décision d’élargir l’Otan en invitant la Pologne, la Hongrie et la République tchèque à y prendre part et en proposant la même chose à d’autres nations – autrement dit en déplaçant la démarcation militaire européenne jusqu’aux frontières de l’ex-URSS – c’est, selon moi, une erreur que l’on pourra ultimement comparer aux mauvais calculs stratégiques ayant empêché l’Allemagne d’intégrer le système international, au début du [XXe] siècle. »

• En 1997, cinquante experts en politique étrangère (d’anciens sénateurs, officiers militaires, diplomates, etc.) ont envoyé une lettre au président Clinton pour signaler leurs objections quant à l’élargissement de l’Otan : « Nous soussignés pensons que les manœuvres actuelles des États-Unis pour élargir l’Otan [...] constituent l’une des pires erreurs politiques de son histoire. De notre avis, l’expansion de l’Otan aura pour effet de réduire la sécurité de ses membres et de mettre en péril la stabilité européenne ».

• Jack F. Matlock Jr., ambassadeur américain en URSS, avertissait en 1997 que « loin d’améliorer la sécurité des États-Unis, de ses alliés et des nations qui souhaitent intégrer l’Alliance, [l’expansion de l’Otan] risquait plutôt de provoquer la plus grave menace à la sécurité américaine depuis le démantèlement de l’Union soviétique. »

• En 1998, après l’approbation d’un nouvel élargissement de l’Otan, George Kennan, un réputé stratège en matière de politique internationale et ancien ambassadeur américain à Moscou, a déclaré : « À mon avis, c’est le début d’une nouvelle guerre froide. [...] Je pense que c’est une erreur tragique. [...] Évidemment, la Russie réagira avec hostilité, et puis [les partisans de l’expansion de l’Otan] diront qu’ils nous avaient toujours mis en garde contre les Russes, qu’ils sont naturellement hostiles – mais c’est tout simplement faux. »

• Le journaliste et homme politique américain Pat Buchanan écrivait, dans un livre de 1999 : «En déplaçant les frontières de l’Otan jusqu’au seuil de la Russie, nous avons prévu à l’ordre du jour du XXIe siècle un affrontement. [...] Sommes-nous vraiment prêts à user d’armes nucléaires pour défendre l’Europe de l’Est ?»

• En 2008, le directeur de la CIA, Bill Burns, affirmait que « pour [la Russie], l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan constitue un fait absolument inacceptable » et que « la présence de l’Ukraine au sein de l’Otan ne saurait être conçue comme autre chose qu’une atteinte directe aux intérêts de la Russie ».

• En 2014 (dans le Washington Post), le diplomate et politologue américain Henry Kissinger avisait que « pour la Russie, l’Ukraine ne saurait être un pays étranger comme les autres ». Kissinger était d’avis que « l’Ukraine ne doit pas rejoindre l’Otan » et que « si l’Ukraine doit survivre et prospérer, il lui faut n’être l’avant-poste ni de l’Est ni de l’Ouest – il lui faut opérer comme un pont entre les deux ».

• En 2014, le premier ministre de l’Australie, Malcolm Fraser, déclarait que « l’élargissement [de l’Otan] vers l’Est est une manœuvre provocatrice, imprudente, qui envoie un signal très clair à la Russie [et risque d’entraîner] une situation difficile et extraordinairement dangereuse ».

• Stephen Cohen, un réputé chercheur spécialisé dans les études russes, avertissait en 2014 que « si [les États-Unis] déploient les forces de l’Otan jusqu’aux frontières russes, cela va forcément militariser la situation [et] la Russie ne reculera pas, c’est pour elle une question de survie ».

• En 2015, le ministre de la Défense des États-Unis Bob Gates écrivait, dans ses mémoires : « Le fait d’avoir convaincu Gorbachev d’accepter que l’Allemagne réunifiée fasse partie de l’Otan avait été une victoire décisive. Mais c’était une erreur que de se préparer à intégrer, si tôt après la chute de l’Union soviétique, un aussi grand nombre d’États qui lui avaient été auparavant soumis. [...] Tenter d’intégrer la Géorgie et l’Ukraine dans l’Otan dépassait les bornes. Les racines de l’Empire russe remontent jusqu’à Kiev au IXe siècle, alors il s’agissait d’une provocation tout particulièrement monumentale. »

• Le politologue John Mearsheimer a maintes fois mis en garde contre l’expansionnisme de l’Otan. Il affirmait, en 2015 : « Les dirigeants américains et européens ont commis une erreur en tentant de faire de l’Ukraine un bastion occidental à la frontière de la Russie. [...] Les États-Unis et leurs alliés européens sont maintenant confrontés à un choix concernant l’Ukraine. Ils peuvent poursuivre leur politique actuelle, qui ne fera qu’exacerber les hostilités avec la Russie et dévaster l’Ukraine dans le processus [...]. Ou bien ils peuvent [...] œuvrer à la création d’une Ukraine prospère mais neutre, qui ne menace pas la Russie et permet à l’Occident de rétablir ses relations avec Moscou. »

• Le célèbre penseur Noam Chomsky a déclaré, en 2015, que le projet d’intégrer l’Ukraine à l’Otan « ne protège pas l’Ukraine, mais fait plutôt peser sur elle la menace d’une guerre dévastatrice ».

• En 2018, le journaliste russo-américain Vladimir Pozner affirmait que pour la Russie, l’expansion de l’Otan est inacceptable et qu’un compromis devrait inclure « la garantie que l’Ukraine ne devienne pas membre de l’Otan ».

• En 2021, Sir Roderic Lyne, ancien ambassadeur britannique en Russie, a déclaré : « au sommet de l’Otan à Bucarest en 2008, l’Occident a commis une erreur fatale en avançant l’idée d’une intégration de la Géorgie et de l’Ukraine. [...] c’était stupide à tout point de vue. Si on voulait déclencher une guerre avec la Russie, on ne trouverait pas meilleure façon d’y arriver. »

• Le 8 février 2022, tout juste avant que la guerre éclate, l’économiste Jeffrey Sachs écrivait : « Les alliés occidentaux de l’Ukraine affirment la protéger en défendant son droit d’adhérer à l’Otan, mais c’est le contraire qui s’avère. En se portant à la défense d’un droit purement théorique, ils mettent en jeu la sécurité de l’Ukraine en faisant augmenter les risques d’une invasion russe. »

• En 2022, avant le déclenchement de la guerre, George Beebe, ancien directeur d’analyse de la Russie à la CIA et conseiller spécial du vice-président Cheney pour la Russie et l’Eurasie, a déclaré dans Le Figaro : « Les Russes n’ont pas cessé d’envoyer des signaux que nous n’avons pas compris. Les signaux sont d’ordre négatif, comme de déployer des troupes à la frontière, et de faire savoir qu’un rapprochement de l’Ukraine avec l’Otan ou un partenariat stratégique avec les États-Unis représentaient des lignes rouges inacceptables. »

• En 1994, l’expert en politique internationale Ted Galen Carpenter écrivait que l’expansion de l’Otan « constituerait une inutile provocation de la Russie ». En 2022, il écrit : « Nous savons depuis très longtemps que l’expansion de l’Otan ne pouvait mener qu’à la tragédie. Nous subissons désormais les conséquences de l’arrogance américaine. »

• Pino Arlacchi, sociologue et politicien italien, qui fut aussi sous-secrétaire général des Nations Unies, a déclaré, en 2022 que « la cause fondamentale de la crise ukrainienne est l’expansion incessante de l’Otan. [...] À mon avis, la solution est assez simple. La solution fondamentale dépend des États européens, qui devraient déclarer que l’Otan n’acceptera pas l’Ukraine en son sein ».