Document : Quand le député Michel Bourdon prônait la finlandisation du Québec

2022/03/08 | Par Pierre Dubuc

Nous avons retrouvé dans nos archives, cette entrevue avec le syndicaliste Michel Bourdon, qui était alors député du Parti Québécois. Il a été le mari de la députée Louise Harel. Il est décédé en 2004. Il fut un temps – mais oui ! – où les indépendantistes militaient pour un Québec pacifique et pacifiste.
 

« Je vous parle d'un temps
Que les moins de vingt ans
Ne peuvent pas connaître »

• Charles Aznavour            

 

L’aut’journal, no 91, mars 1991

Est-il possible d’imaginer le Québec, petit pays de 6 millions d’habitants, développer une politique extérieure indépendante de celle du géant américain? Le Québec est-il condamné, au nom de la realpolitik, à abdiquer toute velléité de souveraineté sur les questions de guerre et de paix? Michel Bourdon, qui s’est toujours targué d’être pragmatique, nous fait part de ses réflexions sur ce sujet.

« Je pense, dit-il, qu’il faut développer au Québec l’idée d’une société pacifique et même pacifiste ». Il cite l’exemple de la Suède, à qui il reproche toutefois d’être aussi un gros producteur d’armes. Il nomme aussi la Finlande dont la politique extérieure prouve qu’il n’est pas nécessaire d’être servile lorsqu’on a un puissant voisin.
 

Pour la finlandisation du Québec?

« La Finlande, rappelle Bourdon, tient compte de l’existence de l’Union soviétique. Elle évite de la condamner à tout propos mais, à ce que je sache, elle n’a pas envoyé de troupes à Prague en 1968 ».

« J’ai toujours trouvé injurieux les propos des intellectuels européens qui parlaient de la finlandisation de l’Europe de l’Ouest comme étant synonyme d’asservissement à l’URSS. La politique extérieure de la Finlande est plus autonome à l’égard de l’URSS que celle du Canada vis-à-vis des États-Unis, même si le Canada est une plus grande puissance que la Finlande ».

Sur la question spécifique de la crise du Golfe, Michel Bourdon croit qu’il est possible de dire « à nos voisins américains qu’on ne partage pas le bellicisme de la droite américaine mais plutôt le pacifisme des 47 sénateurs sur 100 qui ont voté contre la guerre. Nous ne sommes pas revenus à l’époque du maccarthysme où toute dissidence à l’égard de la politique de la droite américaine était perçu comme un-american. Je suis un parlementaire québécois qui est en accord avec le sénateur Kennedy plutôt qu’avec le président Bush ».
 

Pacifisme n’égale pas angélisme ou isolationnisme

Bourdon ne partage pas l’avis de ceux et celles qui font équivaloir le pacifisme à de la cécité politique ou à de l’angélisme. « Je ne veux pas dire qu’en étant pacifique et pacifiste, on n’aura pas les yeux grands ouverts et qu’on ne tiendra pas compte de la conjoncture internationale. De plus, si on était attaqué, c’est sûr qu’on se défendrait. Mon pacifisme n’a pas de caractère religieux. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent : si les États-Unis, ou un autre pays, nous envahissent, on se laissera envahir ».

Un Québec indépendant devrait aussi, selon lui, respecter les ententes de défense mutuelle qu’il pourrait avoir avec des pays amis. Avec une réserve cependant. « Je ne voudrais pas, dit-il, qu’on fasse la guerre parce que la Turquie se serait faite attaquer après avoir permis l’attaque de l’Irak à partir de son territoire ».

Bourdon n’est pas d’accord non plus avec ceux qui, comme le Globe and Mail, voient dans l’opposition du Québec à la guerre une manifestation d’isolationnisme. «Il y a un petit côté raciste là-dedans, dit-il. Nous n’avons pas de leçons à recevoir de Toronto à ce chapitre. Les plus internationalistes de mes amis sont hostiles à la guerre. Il y a peu de pays au monde qui ont une conscience internationaliste aussi développée que le Québec. On en a eu une preuve avec la manifestation du 26 janvier, alors que plus de 15 000 personnes ont marché dans les rues de Montréal pour la paix. C’était la plus grosse manifestation au Canada. Je pense qu’étant un peuple victime de discrimination, nous sommes plus sensibles à ces questions».