50 ans après Allende, un président socialiste au pouvoir au Chili

2022/03/15 | Par Luc Allaire

Une foule euphorique d’une dizaine de milliers de personnes est venue acclamer Gabriel Boric, le 11 mars dernier, lors de son intronisation comme président. Geste hautement symbolique, le plus jeune président de l’histoire du Chili à 36 ans a pris la parole du balcon du Palais de la Moneda.

« Comme l’avait prédit Salvador Allende, il y a presque 50 ans, nous voici de nouveau, chers compatriotes, en train d’ouvrir de grandes avenues où passeront l’homme et la femme libres pour construire une société meilleure. Vive le Chili ! », a-t-il déclaré, faisant clairement référence au dernier discours de l’ex-président socialiste, prononcé juste avant son assassinat en 1973, depuis ce palais de La Moneda.

Dans la foule, se trouvaient l’ex-député du Bloc québécois, Osvaldo Nuñez, et sa conjointe, Zaida. Les deux étaient encore très émus lorsque je les ai rejoints par Zoom le lendemain matin. « Les gens étaient tellement heureux, m’ont-ils dit. Il y avait beaucoup de familles avec des jeunes enfants qui manifestaient leur joie et exprimaient leurs espoirs devant ce jeune leader étudiant qui venait tout juste de prendre ses fonctions de président après près de trois mois de transition. »
 

L’Assemblée constituante

À la tête d’une coalition de gauche, Gabriel Boric a été élu le 19 décembre 2021 avec un nombre de voix record – 56 % des suffrages – devant son rival d’extrême droite, José Antonio Kast.

Les attentes sont énormes pour le jeune président élu pour un mandat de quatre ans qui sera marqué par la réécriture en profondeur de la Constitution et l’ambition d’instaurer un État providence après 49 ans de néolibéralisme débridé.

Ce changement de constitution est primordial, affirme Osvaldo Nuñez, car il nous permettra de sortir du carcan imposé par la constitution adoptée par le dictateur Augusto Pinochet. Ce changement est souhaité par 78 % des électeurs qui ont voté pour l’élaboration de la nouvelle loi fondamentale du pays, lors d’un référendum en octobre 2020. Par la suite, une assemblée constituante a été formée de 155 personnes élues, largement issues de la société civile. Il s’agit du principal acquis du soulèvement social qui a débuté en octobre 2019.

« Cette assemblée constituante a dû prendre le nom de convention constitutionnelle, car la droite a rejeté le terme ʺassemblée constituanteʺ, précise Zaida Nuñez. Ceci illustre à quel point la droite est vigilante et dénonce tout changement majeur. »

Et des changements, il y a en a beaucoup. Ainsi, précise Osvaldo Nunez, « la constituante propose un État plurinational qui reconnaisse les dix peuples autochtones du Chili. La droite refuse et oppose une république unitaire. La constituante propose un système unicaméral afin de se débarrasser d’un Sénat conservateur qui bloque tout, la constitution actuelle prévoyant que les lois doivent être adoptées par une majorité des deux tiers au Sénat. La droite réplique en proposant de remplacer le Sénat par un Conseil territorial, mais le débat se poursuit sur les pouvoirs qu’aurait ce Conseil. La constituante propose également de consacrer de nouveaux droits sociaux – accès aux soins, à l’éducation, à un système de retraite, tous publics et de qualité – ainsi que la décentralisation du pouvoir, la protection de l’environnement et un système différencié de justice pour les Autochtones. »
 

Les minières canadiennes ciblées

La réduction des inégalités sociales est au cœur des promesses du gouvernement de Gabriel Boric. Le Chili a le revenu per capita le plus élevé en Amérique latine, mais la majorité de la population vit dans la pauvreté. Le gouvernement propose de hausser les impôts des riches et d’augmenter les royautés payées par les compagnies minières, très majoritairement canadiennes.

Osvaldo Nuñez a eu un avant-goût de la réaction qu’auront les compagnies minières lorsqu’il a assisté, dans la semaine précédant l’intronisation du nouveau président, à une cérémonie organisée par l’ambassade canadienne à Santiago. La députée fédérale libérale d’origine chilienne, Soraya Martinez Ferrada, était venue d’Ottawa pour l’occasion. Étrangement, aucun ministre canadien n’a fait le déplacement pour souligner l’intronisation du nouveau président, imitant les États-Unis qui étaient représentés par un secrétaire à la petite entreprise. En revanche, la majorité des présidents des pays d’Amérique latine avaient fait le déplacement.

Mais revenons à la cérémonie à l’ambassade. Le maire de Huechuraba, une commune située près de Santiago, Carlos Cuadrado Prats y était présent. Il a alors apostrophé les représentants des compagnies minières, en leur disant que c’était leur faute si un gouvernement de gauche avait été élu : Vous avez tellement appauvri le peuple qu’aujourd’hui le peuple se révolte et réclame de meilleurs droits et de se sortir de la pauvreté.

Interloqués, les représentants des compagnies minières semblaient très inquiets et redoutaient que le nouveau gouvernement chilien ait recours au mot en « n » qu’ils n’osaient prononcer eux-mêmes, ce mot en « n » étant la « nationalisation ».

Toutefois, Gabriel Boric est très conscient des difficultés qui l’attendent. Comme il n’y a pas de majorité claire au congrès, le nouveau président ne pourra pas introduire rapidement les nouveaux droits sociaux qui figurent à son programme, comme un système de retraite public, une éducation gratuite, une couverture santé universelle, une semaine de travail réduite à 40 heures et une augmentation du salaire minimum.

C’est pourquoi il cherche à modérer les attentes. Il dit que les réformes se feront de manière graduelle, pas à pas, en établissant des priorités.

Néanmoins Osvaldo Nuñez demeure optimiste. « La pression de la rue demeurera importante, dit-il, et Gabriel Boric s’appuiera sur cette pression populaire pour faire reculer la droite. » Il cite à ce sujet une phrase qu’a lancée le nouveau président lors de son discours d’intronisation : « Nous ne serions pas ici sans vos mobilisations », en allusion à la révolte sociale qui a secoué le pays en 2019. La foule de dizaines de milliers de personnes massées sur la place de la Constitution a alors entonné : « Boric, amigo, el pueblo está contigo » (Boric, ami, le peuple est avec toi).