Ambulances : « La CAQ manufacture des bris de services »

2022/03/15 | Par Orian Dorais

Depuis que j'écris pour l'aut’journal, j'ai consacré quelques articles aux négociations dans le secteur de la santé. Cela dit, je dois admettre que j'ai eu tendance à favoriser les infirmières et les préposées aux bénéficiaires, négligeant, ce faisant, de couvrir des corps de métiers tous aussi importants dans le réseau. Je tiens à rectifier cette situation, en donnant la parole à certaines professions injustement ignorées. C'est pourquoi je m'entretiens avec Jean Papineau, président de la Fraternité des Travailleurs et Travailleuses du Préhospitalier du Québec pour Granby (FTPQ-Granby\SCFP) à propos des conditions de travail des paramédics, sans convention depuis bientôt deux ans.

 

Il faut dire que, quelques jours avant notre rencontre, un coup d'éclat de M. Papineau en a fait réagir plusieurs, alors qu'il a dérobé le fleurdelisé ornant le bureau du ministre responsable de sa région – François Bonnardel – et l'a remplacé par un drapeau pirate. Si les politiciens se sont dits choqués de son geste, M. Papineau affirme que ce qui est vraiment choquant, c'est le manque de considération de la CAQ pour les paramédics et, par le fait même, pour la sécurité de la population.

O. : D'abord, Jean, je me demandais pourquoi le drapeau pirate et pourquoi avoir ciblé Bonnardel en particulier ?

J. P. : C'est que M. Bonnardel est mon député, à Granby, et, non seulement ça, il est aussi ministre-responsable de l'Estrie; donc, c'est certain que c'est à lui que je m'adresse en premier pour régler la crise actuelle. Et, en ce moment, en Estrie, il y a une méchante crise, parce qu'on est une des régions qui a le plus de misère avec la rétention des ambulanciers. Déjà que la relève est rare dans notre métier, mais en plus beaucoup de jeunes paramédics de l'Estrie quittent pour les grands centres. Ça, ç'a des conséquences très concrètes sur la sécurité des gens, surtout dans les communautés rurales plus éloignées parce que, moins on arrive à retenir les paramédics en région, plus ça va prendre du temps à ceux qui restent pour répondre aux appels. En ce moment, on doit déléguer des appels d'urgence aux policiers, qui sont un peu moins occupés que nous. En 2016, quand on s'est mis à tirer la sonnette d'alarme sur le manque d'effectifs en région, Gaétan Barrette nous a ri dans face, mais M. Bonnardel, qui était député de l'opposition a déchiré sa chemise. Il nous a promis qu'il améliorerait ça, qu'il ferait de grands changements dans sa région ! Ben, ça fait quatre ans qu'il est ministre et la situation est pire que sous les libéraux. Qu'est-ce qu'il fait mon député ? Mon ministre ?
 

O. : Mais, si vous dénoncez le financement de la santé en région, il aurait été plus logique de manifester devant le ministère de la Santé, non ?

J. P. : Attends, c'est pas la fin de l'histoire avec M. Bonnardel. En 2016, j'ai développé un projet-pilote qui devait nous aider à répondre plus efficacement aux appels. Dans le fond, l'idée c'était de détacher les paramédics de l'ambulance, donc d'envoyer des ambulances pour répondre aux urgences les plus graves, mais d'envoyer un paramédic dans un véhicule banalisé pour les cas non-prioritaires. Ç'aurait été un peu comme du 811, mais avec la présence physique d'un « paramédic communautaire ». Au lieu d'envoyer les gens à l'urgence, le paramédic aurait aiguillé les gens vers des ressources autres. Avec ce projet-là, on aurait baissé la pression sur les urgences, tout en économisant les fonds publics, parce que faire déplacer une ambulance, ça coûte une fortune. Dans l'opposition, M. Bonnardel était vraiment intéressé par ce projet-là, il nous encourageait à le développer. Finalement le projet a été développé...sur la Rive-Sud.

O. : Penses-tu qu'ils ont développé le projet sur la Rive-sud pour des raisons politiques ? Après tout, on est en année électorale et la Montérégie a beaucoup de sièges...

J. P. : Je sais pas. Ce que je sais c'est que ce projet-là devrait exister dans toutes les régions ! Pourquoi ça traine ? En fait, j'ai pour mon dire que les meilleures personnes pour changer le réseau, c'est pas les politiciens, mais bien celles et ceux qui travaillent sur le terrain. C'est pas le ministre non plus, clairement, parce qu’il a l'air de plus s'inquiéter de son drapeau que de la population de sa région. Mais moi je travaille en Estrie, j'habite ici, j'ai des gens de ma famille, assez âgés, qui vivent ici depuis longtemps. Qu'est-ce qui va leur arriver si on continue à avoir des bris de service en soins préhospitaliers ? Et on n'est loin d'être la seule région avec ces problèmes-là. Du monde va mourir ! Mais on dirait que même dire ça, ça suffit plus à attirer l'attention du gouvernement. Donc, des fois, on fait des actions plus fortes pour se faire entendre ! Et là, le gouvernement a le culot de nous traiter de «vandales» et dire qu'on fait du « syndicalisme d'une autre époque ».

O. : Ironique d'entendre le gouvernement dénoncer les mentalités d'une autre époque alors qu'il gère les politiques du travail comme dans les années 1950. Par exemple, ça fait deux ans que vous êtes sans convention.

J. P. : Oui, et je sais pas si ça va s'améliorer. La dernière offre c'est une augmentation de 2 % chaque année. Qu'est-ce que tu veux faire avec ça ? Nous, on demande au minimum plus de primes pour aller chercher un salaire convenable. Des primes de nuit ou de repas, par exemple. On voudrait aussi que nos membres qui partent à la retraite à 55 ans ne soient pas pénalisés, comme c'est le cas pour les pompiers et les policiers qui font la même chose. On demande l'abolition du 7-14, donc la politique qui dit qu'on doit être « sur le call » 24 heures par jour, pendant au moins sept jours sur quatorze. C'est inhumain le nombre d'heures que ça implique. Ça fait 20 ans que je suis ambulancier et mes vacances avec ma famille ne sont même pas garanties. Mais le gouvernement se traine les pieds dans la négociation, parce qu'il espère nous casser. Le pire c'est qu'on a vu passé des publicités gouvernementales pour encourager les jeunes à travailler en soins préhospitaliers et on s'est rendu compte que les photos de ces pubs venaient de la Grande-Bretagne ! Parce que si on montrait les vraies images de ce que c'est ici, je pense pas que les jeunes voudraient y être.

O. : En terminant, je me demandais si la COVID a eu des impacts sur vos conditions ?

J. P. : Oui, on n'est pas différents des autres professions. J'ai jamais vu autant d'épuisement professionnel chez les paramédics; on a tous pris un coup de vieux. Les ambulanciers se sentent dévalorisés. Nos primes COVID ont été de 4 % au lieu du 8 % des infirmières. Elles le méritaient, mais nous aussi on méritait au moins 8 %. Les paramédics c'est eux qui rentraient dans les résidences des gens au début de la pandémie, c'était hyper risqué au niveau de la contagion. Et un an et demi plus tard, avec Omicron, plusieurs de mes collègues sont tombés malades. Et les paramédics malades ont pas eu droit à leurs congés maladies garantis par la convention, parce que l'employeur reconnaissait pas la COVID comme une maladie professionnelle. Où tu penses qu'ils l'ont attrapé si c'est pas au travail ? Donc, les paramédics malades ont dû aller sur la PCU ou sur leurs économies personnelles. Avec son mépris, la CAQ a créé un exode des paramédics; elle manufacture les bris de service.