Système de santé : «il faut que toute la chaine soit forte»

2022/03/18 | Par Orian Dorais

Certains métiers de la Santé ont moins de visibilité dans les médias, mais sont cruciaux pour le bon fonctionnement de notre système public. Je m'entretiens avec Robert Comeau, président de l'Alliance du Personnel Professionnel et Technique de la Santé (APTS) depuis automne 2021. Il faut dire que la situation des membres de l'APTS est particulière, car leur convention collective ne dure que trois ans et celle qui aurait dû couvrir 2020 à 2023 n'a été signée qu'en début 2022 ! Ainsi, le syndicat va devoir repartir en négociation dans moins d'un an et risquent de nouveau faire face à l'intransigeance du gouvernement, ce qui risque de laisser les syndiqués sans convention collective. Comment le président va-t-il faire face à cette situation durant son mandat ?

O. : Pour commencer, M. Comeau, pourriez-vous nous préciser quelles professions sont représentées au sein de votre syndicat ?

R. C. : L'APTS représente autour de 112 titres d'emplois au sein du réseau public et parapublic. Ça peut aller des psychologues qui travaillent au public, aux travailleurs sociaux, en passant par les physiothérapeutes, les ergothérapeutes ou  les techniciens et techniciennes de laboratoire. Je tiens à préciser que l'immense majorité de nos membres sont des diplômés collégiaux et universitaires. Aussi, c'est important de le dire, 86 % des syndiquées sont des femmes, donc c'est certain que, pour nous, les enjeux féministes, comme la parité, sont plus qu'importants. On prône une vision féministe et diversifiée du système de Santé, on veut casser l'image d'un réseau où tout tourne autour des médecins. Au Québec, la santé publique c'est une affaire de collaboration entre tous les travailleurs et travailleuses, il faut que toute la chaine soit forte, qu'on arrête de favoriser certaines corporations.

O. : Est-ce que c'est l'orientation que vous allez donner à votre – jeune – mandat ?

R. C. : Ce que je veux, en tant que président, c'est faire reconnaitre la contribution des membres de l'APTS au sein du réseau public. Par exemple, monsieur Dubé annonce une « refondation » du système de santé. On s'entend tous sur le besoin de réformer en profondeur notre milieu, mais on ne pense pas que plus de privé en Santé va être une bonne solution. C'est le contraire, en fait, n'en déplaise au ministre. Donc, on va se battre pour qu'il n'y ait pas d'intrusion d'organisations privées à but lucratif dans un système, qui est censé soigner les gens gratuitement avant tout.

Les syndicats, dont le mien, ont les ressources et les compétences pour favoriser un système public à une seule vitesse, où tout le monde est soigné adéquatement, peu importe le montant écrit sur leur rapport d'impôt. Mais, si monsieur Dubé veut refonder le système de santé, il pourrait commencer par abolir la « réforme Barrette », qui a eu presque juste des effets négatifs. En ce moment, les travailleurs et travailleuses de la Santé, dont nos membres, se sentent très loin des décideurs administratifs et des gestionnaires. Tout est hiérarchisé et, au final, beaucoup de pouvoir reste centralisé entre les mains du ministre de la Santé et des hauts fonctionnaires de Québec. Ça fait que les employés de la Santé ont l'impression qu'il n'y a pas de reconnaissance et de considération.

O. : Justement, parlant de manque de considération, vous avez été sans convention collective pendant deux ans, plus longtemps que de nombreux syndicats qui ont réglé à l'été 2021. Et vous devez repartir en négos début 2023 ?

R. C. : Bien, on a voulu tenir le plus longtemps possible pour envoyer un message au gouvernement : on ne tolèrera pas la dégradation, pour ne pas dire l'effondrement, du système de santé à coups de sous-financement. Parce qu'il faut se rendre compte que la santé, oui, c'est un gros poste de dépense, mais c'est jamais « juste » une dépense. C'est un investissement dans le bien-être de la population. On a fini par régler il y a quelques semaines, parce qu'on sentait qu'on ne pouvait pas aller plus loin à cette table de négos. Mais le syndicat retourne bientôt en consultations pour la prochaine table, on dépose notre offre au gouvernement en octobre.

Je peux déjà te dire que, quand l'inflation est à 5 %, une hausse salariale de 2 % par année n'est pas suffisante. Aussi, les membres de l'APTS n'ont pas eu du tout de prime COVID. Pourquoi ? Pourtant, on était à côté des infirmières et des préposés durant les deux ans de crise sanitaire. On méritait des primes autant qu'eux. Là, le gouvernement a commencé à offrir des primes COVID aux membres de l'APTS, mais seulement en 2022. Je mentionne comme ça qu'on part en élections bientôt. Ceci explique peut-être cela.

O. : Je comprends, ils vous offrent des primes COVID quand la COVID est presque finie...

R. C. : Oui, nos membres devraient avoir le droit à plus de primes, même après la COVID, et/ou à une hausse salariale importante, pour ne pas perdre le pouvoir d'achat. L'APTS se bat aussi contre la surcharge de travail. D'abord, les techniciennes et techniciens de laboratoire ont carrément du Temps Supplémentaire Obligatoire et, pour nos autres membres, il y a une pression administrative incroyable pour qu'on prenne plus de patients, comme ça le gouvernement va pouvoir dire qu'il diminue les listes d'attente.

Si, disons, des physiothérapeutes ou des psychologues prenaient en moyenne 17 patients, on leur demande maintenant d'en prendre 20, ou 22. Ça diminue le temps qu'on peut passer avec chaque patient. Aussi, il y a une manipulation des listes d'attente, parce que si quelqu'un sur une liste d'attente se fait contacter par un de nos membres, le gouvernement va classer la personne comme « sortie de la liste d'attente »... mais ce n’est pas parce qu'une personne a été contactée qu'automatiquement elle va avoir accès au service professionnel dont elle a besoin, dans des délais raisonnables. Faire appel au privé, je le répète, ce ne sera pas suffisant, au contraire, ça va encourager encore plus de gens à quitter le réseau public, et ça va laisser les gens du public avec des cas plus lourds. Augmenter la place du privé ne va pas baisser le coût de la Santé, au contraire, nos impôts vont servir à enrichir des entreprises qui offrent les mêmes services pour plus cher.

O. : J'imagine que la COVID a beaucoup affecté vos conditions ?

R. C. : En tous cas, le personnel est épuisé et la crise va laisser des séquelles pendant des années. Le virus a créé une pénurie de main-d'oeuvre incroyable dans tous les corps de métiers de l'APTS. Avant la pandémie, nos membres se battaient pour avoir des postes permanents; maintenant, on manque de gens pour combler les postes permanents. Nos professions sont moins attirantes depuis 2020. Je pense que, pour redonner le goût aux jeunes de revenir, il faut faire une promotion de notre réseau, mais pas une promotion mensongère. Autrement dit, il faut améliorer les conditions, puis vanter l'importance de nos professions et du réseau... public ! Encore une chose, on ne veut surtout pas normaliser l'utilisation du télétravail, dans nos professions, le contact humain est essentiel, surtout quand les patients sont en détresse. Il faut que le retour au bureau soit permanent.