Culture vivace et obstinée pour pays incertain

2022/04/01 | Par Olivier Dumas

Dans un numéro de la revue Jeu, le spécialiste du théâtre Gilbert David écrivait que Jean-Claude Germain « appelle les superlatifs. (…) conteur intarissable et impayable chroniqueur de notre histoire théâtrale, pédagogue exigeant et polémiste redouté, il est taillé tout d’une pièce1 … » Le plus récent ouvrage récent du « conteur intarissable », Le Pari québécois d’une culture avant le pays (Les Éditions du Renouveau québécois, 2021) replonge dans notre histoire collective avec une jubilation émancipatrice.       

La culture québécoise se sentirait de plus en plus à l’étroit «dans ses souliers et ses habits de province». Le livre apporte un souffle courageux à une époque, où le parti au pouvoir se gargarise de son autonomisme politique («illustration contemporaine la plus probante de cet imbroglio psychotique du nationalisme traditionnel») et où les multiculturalistes nous serinent sur les vertus de la fameuse ouverture sur le monde. Or, depuis plus d’un demi-siècle, Jean-Claude Germain ne se gêne pas pour «tirer à boulets rouges sur nos mythes et nos réflexes de locataires2».
 

Une longue feuille de route

Journaliste, dramaturge, animateur, conférencier, parolier pour Pauline Julien et Louise Forestier (dont les truculents Tango de l’Orénoque et Oscar de Limoilou) et professeur (fondateur du programme d'écriture dramatique de l'École nationale de théâtre), conteur, vulgarisateur, Jean-Claude Germain a dirigé le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui de 1972 à 1982, seule institution à ce jour dans la métropole qui se consacre au théâtre québécois. À sa fondation, la petite salle de 75 places était située dans un local au fond d’une ruelle au 1297 rue Papineau, avant son déménagement sur la rue St-Denis à l’automne 1991.    

L’un des bâtisseurs du théâtre québécois contemporain a toujours défendu une langue québécoise non-empruntée, qui nous corresponde. Il a fondé le Théâtre du Même Nom (TMN) en 1969 et deux troupes successives, Les Enfants de Chénier (1969-1971) et Les P’tits Enfants Laliberté (1971-1973). Cette année-là, le spectacle Les Enfants de Chénier dans un autre grand spectacle d’adieu, constituerait la première création collective marquée explicitement par le développement d’une dramaturgie nationale. La grande et regrettée écrivaine Hélène Pedneault parlait de « la générosité de sa parole, une langue de plaisir, très jouissive3». En 1968-1969, surgissent d’autres électrochocs culturels : Les Belles-Sœurs, de Michel Tremblay, L’OsstidchoLes Girls, de Clémence Desrochers, sans oublier le Grand Cirque Ordinaire (T’es pas tannée Jeanne d’Arc?). Parmi les réalisations scéniques de Jean-Claude Germain, soulignons Dédé Mesure, Diguidi, diguidi, ha!, ha!, ha!, et surtout Les Hauts et les bas dla vie d’une diva, une monologuerie-bouffe, avec une inoubliable Nicole Leblanc, sur la libération sexuelle d’une femme wise et game, la chanteuse Sarah Ménard (clin d’œil à la célébrissime Sarah Bernhardt).
 

Une culture populaire typiquement québécoise

Dans la continuité des trois tomes du Feuilleton de Montréal (Stanké) (qui couvrent de 1642 à 1992, période reprise ici dans un chapitre sur les occasions manquées pour célébrer sa fondation française), Le Pari québécois d’une culture avant le pays nous raconte avec une verve colorée les difficiles, mais jamais ennuyantes, évolutions d’une culture populaire typiquement québécoise. Si celle-ci devance le pays, aux dires de Germain, elle a dû s’imposer envers, et surtout contre certains.

Les premières lignes du livre rappellent qu’à la fin du 19e siècle, la culture était confondue avec l’agriculture (son ministère gérait à Ottawa même le droit d’auteur). Mais, de nos jours, « de la pouponnière aux soins intensifs, tout relève de la Santé ». Or, la culture donne tout son sens à notre quotidien, demeure la mémoire tangible de l’histoire. « Sans la culture, la santé est comme un hôpital sans lit. » Par ailleurs, Jean-Claude Germain distingue le folklore, associé au passé et au souvenir, de la culture qui nous permet d’envisager notre présent et un meilleur vivre-ensemble, notamment avec les gens que nous accueillons sur notre territoire. « C’est la culture qui a donné et donne sa voix et son visage au Québec. » 

Même nos jurons révèlent notre distinction. Alors que des peuples s’en prennent à Dieu et à la Sainte Vierge (notamment l’Espagne), les Québécoises et Québécois dirigent leurs frustrations sur le mobilier de l’église (le chrisse, le tabarnacque, le câlice, le ciboire).   
 

Lord Durham et ses fils spirituels

Or, notre culture singulière a croisé des adversaires redoutables dont Lord Durham (un Britannique « associé généralement à une sorte de Bonhomme Sept Heures ») pour avoir « voulu nous assimiler pour nous sortir de notre torpeur historique ». Pourtant, Jean-Claude Germain précise que l’auteur d’un rapport de 300 pages d’une « lucidité implacable » (présage à la Confédération) ne ressemble en rien à son prédécesseur, le général «épouvantable et épouvantail» John Colborne qui détruisait les villages patriotes.   

Parmi les trois fils spirituels du célèbre Durham, nous rencontrons d’abord dans Le Pari québécois, Wilfrid Laurier, septième premier ministre du Canada, orateur remarqué et homme de la double appartenance (la France qui lui a donné la vie, l’Angleterre qui lui a apporté la liberté). Cette dualité lui apporterait une supériorité qui n’empêchera pas son isolement pour son opposition à la Loi sur les mesures de guerre en 1914. Ainsi, Germain se montre vindicatif quant à cette double filiation canadian : « abstraction de l’esprit ».    

Dans le chapitre « Le Mononcque oublié », nous croisons le second fils spirituel, Louis Saint-Laurent, né d’un père canadien et d’une mère irlandaise qui a toujours refusé de parler français. Pendant neuf ans, cet homme, aux antipodes « d’une bête politique », a dirigé le Canada avec des ambitions centralisatrices, en rival acharné de Maurice Duplessis, où le Québec ne doit espérer qu’être «une simple province comme les autres».   

À la double allégeance de Saint-Laurent, surgit «l’homme du quiproquo», Pierre Elliot Trudeau, d’une mère écossaise et d’un père canadien-français millionnaire. Parmi les passages les plus savoureux de l’ouvrage, soulignons cette succession de personnages de pièces de William Shakespeare (répertoire anglo-saxon !). Ces costumes donnent l’illusion du changement, mais favorisent le statu quo : « Depuis le Marc-Antoine arrogant de 1968 jusqu’au roi Lear malveillant de 1987 à 1995, en passant par le César vieillissant de 1980, le Crassus roublard de 1972 et le Brutus démagogue de 1974. » Le rejet trudeauiste de toute autodétermination pour le peuple québécois vient-il de son complexe affirmé à l’égard de son géniteur ?

Soulignons qu’au printemps 1979, Jean-Claude Germain avait convoqué Durham et ses trois fils spirituels dans un « exorcisme rituel », A Canadian Play/Une plaie canadienne, au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, coïncidence amusante, alors situé sur Papineau.

Jeu, automne 1979, numéro 13, p. 5. Pour lire le numéro en ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/jeu/1979-n13-jeu1064194/feuilletage/#mode/2up
Ibid.
https://www.ledevoir.com/culture/theatre/90668/la-dramaturgie-comme-outil-d-identite

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