Un colonel contre l’achat de F 35

2022/04/01 | Par Les Artistes pour la paix

Les Artistes pour la Paix appuient avec conviction l’opinion informée du colonel Paul Maillet. « Paul a été mon collègue avec qui j’ai beaucoup échangé lors des deux réunions au ministère des Affaires étrangères auxquelles nous avons participé en 2017 et 2018, avec des points de vue très proches. Voici la traduction effectuée par Alice La Flèche de sa lettre à la ministre de la Défense », écrit Pierre Jasmin.
 

Madame la Ministre Anand,

En tant qu’ancien colonel des forces aériennes canadiennes où j’étais directeur des Systèmes Embarqués du chasseur CF 18, je vous écris pour exprimer ma profonde déception quant à la sélection du  F 35 comme prochain avion de combat des forces aériennes, tel qu’annoncé récemment.

Non seulement s'agit-il d’une promesse électorale brisée, mais aussi d'un écart fondamental du gouvernement du Canada du chemin de paix et de stabilité internationale. C’est une fausse note qui altère aujourd’hui la déclaration « nous sommes de retour », émise en 2015 par le Premier Ministre.

Vous comprenez, certainement, que cet avion de combat n’a nul autre objectif que de tuer et d’abattre des infrastructures.  Il s’agit ou il s’agira d’un avion possiblement porteur d’arme nucléaire, optimisé pour des combats guerriers, air-air et air-sol.  Ceci en fait une contribution exclusive à la guerre. Il s’agit d’une arme terrifiante, telle que celles utilisées ces dernières décennies lors de missions de bombardements de villes, qui ont causé tant de souffrances et de décès parmi les civils. On n’a qu’à observer la souffrance et la mort en Ukraine aujourd’hui, suite à de telles attaques.

L’OTAN dépense bien davantage que dix fois plus que la Russie en termes de ressources militaires, annuellement. Quelle proportion est suffisante? Pourquoi ce tollé de dépenses supplémentaires de « défense » face à la situation présente?  Que sont devenues nos brigades militaires si dévouées, entraînées et équipées pour créer des havres de paix, pour livrer de l’aide humanitaire, pour protéger les civils en surveillant des cessez-le-feu?

J’étais si optimiste lorsque vous avez assumé la fonction de ministre de la Défense, avec votre voix indépendante, prête à confronter l’establishment militaire face à leurs exigences financières croissantes et éternelles, selon les lobbys intéressés particuliers. Leur liste d’exigences représente un puits sans fond.  Je ne vous reconnais plus aujourd’hui.  Vous n’avez qu'à refuser, à trouver un autre moyen. On peut facilement investir dans un avion de combat beaucoup moins onéreux et complexe, tout en répondant aux exigences de la défense canadienne, pour qu’elle soit en mesure de contrôler l’espace aérien canadien et assurer la souveraineté nationale.

Il est évident que le F 35 est hors de prix. Il s’agit du projet d’armement le plus onéreux de l’histoire militaire des États-Unis et il épuisera notre budget pour la défense d’ici quelques années.

Le F 35 exige une infrastructure très complexe et inabordable de gestion de combat militaire atteignant l’espace afin de réaliser son potentiel, nous rendant complètement dépendants de l’autorité militaire des États- Unis. Nous ne représenterons alors plus qu’une ou deux escadrilles des forces aériennes américaines et, comme telles, devrons nous plier à la politique étrangère américaine et à sa propension à la coercition militaire.  Les coûts de son cycle de développement seront astronomiques, dépassant largement les 40 milliards $, alors que ses insuffisances techniques et les comptes en souffrance accableront l’aéronef et le budget de la défense, pendant des décennies.

J’ai participé à l'approvisionnement d’avions, tout au long de ma carrière. Par conséquent, je sais combien leur sélection dépend de la déclaration d’exigences (SOR). Celle-ci pouvant être biaisée à volonté doit être supervisée par une autorité civile; l’importance accordée, par exemple, à la furtivité de l’appareil représente une qualité très, très périssable, en ces temps d’accélération des développements technologiques contemporains. Cette qualité peut profiter au F 35, nonobstant le potentiel compétitif émergeant des drones.

Il est inconcevable qu’un tel investissement en chasseurs-bombardiers puisse être financièrement gagnant, pas plus qu’il ne peut l’être en termes de résultats indépendants et d’exigences opérationnelles pour le Canada.  Le F 35 dépasse largement nos besoins. Comme si on achetait une Ferrari pour aller au supermarché.

Si nous souhaitons vraiment contribuer à la paix internationale et à la stabilité, les fonds à verser seraient avec grand avantage octroyés ailleurs.  Je vous implore de reconsidérer votre position et vous propose de comparer l’avis de plusieurs experts en la matière. Il n’y a aucun futur dans la guerre.

Bonne chance, Madame la Ministre. C’est votre testament.  Veuillez nous rendre fiers du Canada. Aujourd’hui, nous nous sentons amoindris.

Sincèrement vôtre,
Paul Maillet
Colonel à la retraite.