Le mirage d'une industrie québécoise des hydrocarbures fossiles

2022/04/05 | Par Clément Fontaine

L’auteur est journaliste indépendant et membre du Regroupement Des Universitaires
 

Une de mes récentes interventions parues sur le site de L'aut'journal s'intitulait «Le lobby pro-gazier n'a pas fini de nous empoisonner » Je ne croyais pas si bien dire. Après l'Association pétrolière et gazière du Québec, alias l'Association de l'énergie du Québec, ce fut au tour de l'Institut économique de Montréal (IEDM) de critiquer la décision du gouvernement caquiste de renoncer à l'exploitation des énergies fossiles, à la faveur d'articles publiés dans Le Soleil, les deux quotidiens de Québecor Média et même Le Devoir !

Dans ce dernier cas, on pouvait lire, dans la version en ligne de cette édition, une majorité écrasante de commentaires réprobateurs de la part de lecteurs avertis. Paraissait aussi, le même jour, la prise de position éditoriale de la rédactrice en chef en faveur d'une véritable décarbonisation. Un texte du Collectif scientifique sur les enjeux climatiques paru trois jours plus tard, dans la même rubrique Idées, a remis les pendules à l'heure, mais en termes qui ne dénoncent pas directement l'intervention de l'IEDM et qui ne remettent pas en cause sa pertinence dans les pages d'un journal censé s'adresser à un public averti.

On me rétorquera que la liberté d'expression est essentielle en démocratie. Cependant, je m'insurge contre cette constante nécessité de rétablir des faits qui devraient faire consensus depuis longtemps. Ce phénomène de re-nivellement par le bas que l'on croyait être l'apanage des réseaux sociaux et des radios-poubelles a contaminé nos grands médias. Nous sommes maintenant partout exposés aux discours les plus rétrogrades comme si la controverse et la provocation étaient devenues payantes même pour un organe de presse aux prétentions intellectuelles comme Le Devoir.
 

La Presse se met de la partie

Entretemps Ressources Utica avait déjà fait paraître à son tour un plaidoyer pro-hydrocarbures, cette fois dans La Presse. Partant d'un éditorial du journal qui appuie la volonté de la CAQ de miser sur le développement de la filière de la batterie électrique, le PDG de la firme québécoise affirme que la production d'énergies fossiles serait un complément lucratif essentiel à l'effort de valorisation du secteur minier dans le cadre de la transition verte.

L'auteur, Mario Lévesque, fait valoir au passage que les investisseurs de l'industrie de l'extraction des ressources minérales doivent être rassurés quant à la volonté du gouvernement de tenir ses engagements contractuels. Selon lui, le meilleur signal à leur envoyer serait de ne pas résilier les permis d'exploitation sur notre territoire de gisements de combustibles fossiles, particulièrement en ce qui a trait au gaz naturel.

M. Lévesque sous-entend en somme que le Gouvernement n'a pas le droit de changer d'idée sous peine de s'aliéner la confiance du secteur privé. Il termine son argumentaire en invoquant le fait que « les Québécois, dans de nombreux sondages publiés au cours des derniers mois, se disent largement favorables à l’exploitation de nos ressources. Le gouvernement devrait écouter la population et favoriser notre économie, dans le respect de l’environnement ».

Voyons cela de plus près.
 

Les sondages opportunistes

Les coups de sonde surfant sur les vagues populistes font partie de l'arsenal des groupes d'influences. Dans leur argumentaire paru dans Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, les deux porte-parole de L'IEDM s'appuient eux aussi sur les résultats d'un récent sondage Ipsos indiquant qu'une majorité (52%) de Québécois est en faveur de l'exploitation du pétrole sur notre territoire afin de réduire notre dépendance envers l'étranger. Concernant le gaz naturel, 54% des répondants estiment que le Québec devrait suivre l'exemple de l'Union européenne qui, faute d'avoir amorcé suffisamment tôt le virage vers les énergies renouvelables, vient d'étiqueter le gaz naturel comme vert, au même titre que... le nucléaire.

Le questionnaire du sondage commandé par l'Institut ne fournit aucune précision quant à la nature des hydrocarbures en question, c'est-à-dire leur méthode d'extraction, de livraison et leur impact environnemental. Des données pourtant essentielles à la compréhension de leur valeur de substitution au pétrole et au charbon.

Les initiateurs de ce sondage tablent manifestement sur le manque d'information et la contrariété qu'éprouve une majorité de Québécois (73%) devant la perspective d'une hausse soutenue du coût de l'essence. Un grand nombre d'automobilistes roulent en VUS énergivores et en camions légers ; s'ils s'imaginent que le prix à la pompe pourrait diminuer dans un Québec devenu producteur d'hydrocarbures, il n'en faut pas plus pour orienter les résultats d'un sondage opportuniste.

Même les automobilistes albertains ont dû subir dernièrement une hausse importante du prix du carburant parce que celui-ci fluctue en fonction de l'offre et de la demande sur le marché mondial. Pour espérer rentabiliser ce type d'industrie, un État doit viser l'exportation sur le long terme et non la satisfaction de ses seuls besoins.
 

Démystifier pour enfin avancer

Le Québec n'est pas aussi dépendant des ressources énergétiques étrangères que certains voudraient le faire croire. La quasi-totalité du pétrole raffiné et consommé chez nous provient des provinces de l'Ouest canadien et du nord des États-Unis. Contrairement à un préjugé tenace, le peu de pétrole que le Canada importe de l'Arabie saoudite est destiné à une raffinerie de la compagnie Irving au Nouveau-Brunswick.

Avec la filière électrique qui se développe dans notre province, Québec n'a plus aucun intérêt à autoriser des forages de puits d'extraction dans les territoires écologiquement fragiles présentement ciblés par l'industrie, telle la Gaspésie. Comme ce fut le cas, il y a quelques années, pour ce joyau naturel qu'est l'île d'Anticosti, sauvée de justesse.

Pour le gaz naturel, dont la provenance est identique à celle du pétrole et qui ne comble que 14% des besoins énergétiques de notre province, le scénario d'une reprise de l'exploitation afin de compenser une pénurie en Europe et en Asie s'avère encore plus irréaliste. Même si le Québec se lançait dans la production et l'exportation du gaz de schiste – le seul que recèle encore notre sous-sol –, cela ne ferait pas diminuer pour autant le prix de la ressource ni les émissions de GES à l'échelle mondiale.

Comme on l'a vu avec le défunt projet Énergie Saguenay, la seule façon de conférer une apparence de vertu écologique au gaz naturel de fracturation canadien consiste à utiliser l'hydroélectricité pour sa liquéfaction à des fins d'exportations par super méthaniers. Or ce détournement massif d'une précieuse énergie renouvelable nécessiterait chez nous la construction de nouvelles infrastructures (barrages, éoliennes, panneaux solaires, etc.) dont le coût financier et l'impact environnemental seraient assumés par l'ensemble des contribuables québécois.
 

Vivement la fin des hostilités

Tout le monde devrait le savoir et en prendre acte : c'est malheureusement Vladimir Poutine qui détient le gaz naturel à la fois le plus économique et le moins nocif pour la planète. Extrait de gisements conventionnels, il peut être directement livré à l'Allemagne et au reste de l'Europe par les pipelines North Stream 1 et 2. Le second était justement en voie d'être complété au moment du déclenchement de l'offensive russe en Ukraine.

Oui, vivement la fin des hostilités, et par des moyens pacifistes dans la mesure du possible et même de l'impossible...

D'ici là cessons donc de jouer de jeu des opportunistes de bas étage en entretenant des mirages. Le gouvernement caquiste a fait le bon choix en fermant la porte à l'exploitation des hydrocarbures, quitte à verser à l'industrie des compensations de l'ordre d'une centaine de millions de dollars afin de maintenir sa réputation de bon partenaire d'affaires.