La question critique de l’immigration francophone

2022/04/08 | Par Anne Michèle Meggs

Anne-Michèle Meggs, ancienne directrice de la Planification et de la reddition de compte, ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Gouvernement du Québec
 

Merci de m’avoir invitée à vous parler de la question critique de l’immigration francophone.

Pourquoi critique? Parce que le nombre de personnes qui utilisent une langue dans leur vie quotidienne détermine sa vitalité et sa pérennité. Pour le français, ce nombre est à la baisse, tant au Québec que dans le reste du Canada.

Soyons clairs. Si la pérennité du français au Québec n’est pas assurée, celle du français hors Québec est illusoire.

Quels facteurs influencent l’adoption du français dans la vie quotidienne des personnes immigrantes allophones?

Une étude commandée par l’Office québécois de la langue française, publiée en 2013, a analysé le parcours linguistique complet d’une personne immigrante allophone -- de la naissance et du pays d’origine jusqu’à quelque temps après l’arrivée au pays, et même la 2e génération.

Les résultats sont très clairs :

• Chez les adultes allophones, utiliser le français à la maison, est associé à une utilisation beaucoup plus fréquente du français dans l’espace public, que s’il n’est pas parlé à la maison. On appelle ce processus un transfert linguistique.

• Plus les personnes sont jeunes à l’arrivée, plus il y a de transferts linguistiques.

• 62 % des personnes ayant fait un transfert vers le français l’ont fait avant l’arrivée au Canada, alors que 38 % l’ont fait après.

• Les transferts effectués après l’arrivée sont survenus rapidement, la moitié au cours des cinq premières années.

• Autre facteur important : le pays d’origine. 76 % des allophones issus de pays francotropes, utilisent le français dans leur vie quotidienne. Pour ceux issus des pays anglotropes, c’est à peine 25 %.

• Finalement, la fréquentation scolaire en français est associée à l’utilisation quotidienne de cette langue. Ce constat s’applique tant aux études primaires, secondaires, que post-secondaires.

Signalons pourtant que les trois quarts de l’immigration permanente au Québec, et presque 100 % de l’immigration temporaire, est d’âge adulte. La grande majorité des personnes immigrantes a donc complété ses études avant l’arrivée.

Ces constats plaident en faveur de mesures pour accueillir, dans la mesure du possible, les personnes immigrantes ayant déjà choisi le français avant d’arriver. Des personnes jeunes, de pays francotropes, ayant fait leurs études en français, qui parlent déjà le français à la maison. Pour les personnes qui ne parlent pas encore le français dans leur vie quotidienne, il est critique que celles d’âge scolaire étudient en français. La francisation de celles d’âge adulte doit se faire le plus rapidement possible. Déjà difficile au Québec. Presque inimaginable hors Québec.

Au moins un tiers de l’immigration permanente découle des catégories familiale et humanitaire. Aucune exigence linguistique dans ces catégories. Il faut donc compter sur l’immigration économique.

Pourtant, la majorité de personnes admises dans cette catégorie passent maintenant d’abord par un séjour temporaire au pays de quelques années, pour étudier et/ou pour travailler. Les connaissances linguistiques exigées sont déterminées par la langue du programme d’études ou par l’employeur.

La voie de prédilection est d’obtenir un diplôme au Canada et, ensuite, de travailler le temps qu’il faut pour être éligible à la résidence permanente. Le gouvernement canadien facilite ce parcours par les permis de travail ouverts pour ces jeunes post-diplôme et pour leurs conjointes et conjoints.

Le Canada semble avoir compris que l’immigration temporaire est devenue la porte d’entrée. Il a mis en place un type de permis de travail ouvert pour les employeurs hors Québec qui recrutent des francophones de l’étranger. Pourquoi priver les employeurs québécois du même privilège?

Aussi, l’année dernière, le Canada a accordé la résidence permanente hors Québec à au moins 5 000 étudiantes et étudiants étrangers francophones, dans le cadre d’une politique d’intérêt public. Une telle politique semble être faite sur mesure pour attirer hors de la province des jeunes de l’étranger diplômés au Québec.

Le taux de refus élevé des permis d’étude pour les jeunes destinés aux établissements d’enseignement francophones, au Québec comme à l’extérieur du Québec, est totalement contre-intuitif. Nous avons démontré l’importance de l’âge et de la trajectoire scolaire en français pour la pérennité la langue.

De plus, ce taux de refus est particulièrement inacceptable dans le contexte québécois. L’accord Canada-Québec prévoit que le Québec donne son consentement aux étudiantes et étudiants étrangers admis. Ces jeunes ont été acceptés dans un programme agréé et désigné par le ministère de l’Éducation. Ils ont obtenu un Certificat d’acceptation du Québec du ministère de l’Immigration. Ce n’est pas au gouvernement fédéral de refuser ensuite le permis d’études.

Si le gouvernement canadien est sérieux quant à la protection de la langue française partout au Canada, il est essentiel qu’il encourage et facilite l’arrivée, partout au pays, des personnes de l’étranger qui utilisent déjà le français, surtout dans le cadre de l’immigration temporaire.

Merci de votre attention.